Un mystérieux esprit frappeur à Cadouin

C’est au “couvent” que ces faits étranges ont eu lieu. En fait, il s’agissait d’un établissement que « les filles de la charité », plus communément nommées « Sœurs de Saint-Vincent de Paul », ont ouvert à Cadouin le 2 février 1875. Dédié aux pauvres, à la fois orphelinat, maison de convalescence pour jeunes filles, il devient une école ménagère en 1940. C’est justement cette année-là que vont se manifester d’étranges phénomènes.

Entre le 30 septembre et le 6 novembre 1940, des choses bizarres se produisent. Des coups qui résonnent jusqu’à l’extérieur, des objets de piété qui se déplacent et se brisent, sans que nul ne constate la moindre présence humaine. C’est autour d’une vieille demoiselle, dont on a supposé qu’elle s’adonnait au spiritisme, que se déroulent les premiers faits. Et c’est Jeanne Martin, ou « Jeannette », une jeune employée apathique et peu franche qui semble particulièrement visée, jusqu’à une tentative d’enlèvement nocturne.

Tentatives d’explications…

Brigitte et Gilles Delluc, préhistoriens, ont tenté de porter un regard d’historiens sur cette affaire. Ils relatent différentes études médicales dans « Un mystérieux esprit frappeur à Cadouin », une publication destinée à la Société Historique et Archéologique du Périgord, revisitée pour le colloque des « Amis de Cadouin ». Neuf ans après les évènements, le docteur Christiansen ouvre une enquête et publie un rapport dans lequel il évalue le cas de Jeannette et la qualité des témoignages. Il rejette l’hallucination collective, la mystification, la possession démoniaque étant par ailleurs réfutée par les spécialistes. Et il conclut… finalement sans conclure !

En 1977, le neuropsychiatre Alain Assailly parlera d’emprise démoniaque d’une malade mentale. Depuis, les psychiatres modernes soulignent que de tels faits sont fréquemment rapportés au cours de l’histoire et qualifient les choses de « psychokinésie » (faculté d’agir par l’esprit sur la matière sans contact physique (1)) ou modèle de délire collectif. « On peut y voir, en ce qui concerne les initiatrices, un profil de personnalité prédisposant à la bouffée délirante ». Deux femmes seules, l’une âgée a l’esprit affaiblit, l’autre jeune est simplette.

D’après ces médecins, avec Freud on se rapprocherait de problèmes d’ordre sexuel. « On pourrait dire que le cas de Cadouin, qui n’est pas un fait personnel mais collectif, est une manifestation scénique d’un petit groupe, constitué autour d’une personne sexuellement excitée. Lequel groupe exprime le sexuel et son interdiction en utilisant les figurations religieuses qui lui sont propres ».

Fin des manifestations de l’esprit frappeur

Toujours est-il que ces manifestations inquiétantes ont cessé du jour au lendemain avec le départ de Jeannette. Alors, saurons-nous vraiment un jour ? Peut-être que ce n’est pas souhaitable… Le mystère étant en lui-même l’essence de l’histoire !

Michèle Fourteaux
Cartes postales coll. Gilles Queille

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Diable ou diablesse ?

« Vous avez dit “légende” ? Certainement pas… Nous y étions ! » Au sujet de ce mystérieux esprit frappeur, Guy et Robert sont intarissables.

Ils racontent…

C’était dans les années 40. Une jeune fille un peu simplette logeait au couvent de Cadouin, notre village. Elle était peut-être employée à la lingerie. Il y avait sœur Granier et sœur Madeleine. Nous étions alors enfants de chœur. Des phénomènes étranges étaient venus soudainement troubler la vie des gens d’ici. Des bruits sourds et forts alertèrent la population. Nous, on entendait les bruits la journée. On demandait : « tape dix coups » et ça tapait dix coups sur le mur !

Au bout d’un certain temps, les gens demandèrent des explications… L’évêque et le sous-préfet se déplacèrent alors pour constater les faits. Les gens du pays défilaient, la rumeur enflait. D’après certains dires, un jour les vitres se sont mises à vibrer. Cette jeune fille, nommée Jeannette, aurait répondu à la demande d’une dame pratiquant le spiritisme. En posant sa main sur les vitres, ce serait alors imprimée une silhouette de diable sur la paume de sa main ! À partir de cet instant, elle fut possédée par le Diable…

Les phénomènes se multipliaient. Madame Roquejoffre était bien placée, elle était cuisinière au couvent. Elle n’a jamais voulu en parler. Afin de trouver l’apaisement, cette jeune Jeannette se réfugiait parfois dans une maison près du couvent, chez Madame Dussel.

Anecdotes

Il y avait une vierge sur un guéridon qui tombait régulièrement. Tous les hommes de Cadouin, réunis autour de cette vierge, l’avaient ficelée afin qu’elle ne tombe plus. Bien que ficelée, elle tomba devant eux ! Parlons de la lumière : elle s’allumait et s’éteignait régulièrement, sans que personne ne touche les interrupteurs. Lorsque Jeannette se rendait à la pharmacie, les bocaux tremblaient. Tous ces phénomènes effrayaient les gens…

Ma belle-sœur, Emma, travaillait sur la propriété. Quand l’esprit frappait, elle était terrorisée. Dans le quartier tout le monde avait peur. Cela se savait dans toute la contrée, au point de faire du tort au couvent. Les sœurs l’ont tu longtemps, mais est arrivé un jour où l’on ne pouvait plus se taire ! Très perturbée, Jeannette a fini par fuir, à la demande du clergé.

Épilogue

Jeannette a été accompagnée au train par une sœur. Quand « ça » l’a quittée (à une certaine distance de Cadouin), elle a senti une brûlure au talon et le rideau du train a brûlé ! Les sœurs du couvent ont dit que par la suite elle avait épousé un gendarme… Pour nous tout est vrai, car nous l’avons vécu.

Ce fut un moment délicieux que cette rencontre avec Guy et Robert ! De ces moments où le temps est comme suspendu, livrant ses secrets à une oreille attentive.

Propos recueillis par Françoise Cheyrou


Historique du « Couvent »

  • 1875 – Quatre religieuses des Filles de la Charité s’installent dans une maisonnette au chevet de l’église. Elles y exercent un important rôle social et éducatif auprès des malades et des démunis.
    La petite maison est rapidement agrandie côté sud et élevée sur deux étages, le second étant consacré aux enfants orphelins, venus essentiellement de Bordeaux et de Paris.
  • 1904 – Dans une maison avec jardins en terrasse, de l’autre côté de la rue, est installé un hospice cantonal mixte pour vieillards qui est confié aux religieuses. Durant la guerre de 14/18, l’hospice cède provisoirement la place à un hôpital militaire où les sœurs prennent soin de blessés issus des quatre coins de France.
  • 1917 – Une maisonnette attenante à l’hospice reçoit des réfugiés russes, chassés de leur pays par la révolution d’Octobre. Buanderie du couvent, elle prend le nom de « La Russie ».
    1920 – Ouverture officielle d’une maison de convalescence. L’ancien préau est reconverti en un grand bâtiment avec dortoir au premier étage.
  • 1927 – Arrivée de sœur Granier dont les talents de gestionnaire vont donner tout son essor au couvent. Convalescence, école des cadres, enseignement ménager et agricole sont développés avec l’adjonction d’une ferme et d’une salle de spectacle.
  • 1930 – Construction du pavillon « Sainte-Thérèse ».
  • 1940 – Ce sont 9 religieuses dont 5 professeurs qui règnent sur le couvent désormais exclusivement consacré à l’enseignement. Durant la guerre, y sont cachés des familles juives et de jeunes réfractaires au STO.
  • 1957… signe le début de la fin ! Âgée, sœur Granier part discrètement. L’école des cadres est transférée dans la banlieue de Toulouse.
  • 1966 – Plus d’école. Création d’un centre de soins et d’un service d’aides ménagères à domicile, avant le déménagement des sœurs au Buisson.
  • 1970 – Peu à peu les bâtiments sont vendus. Après un projet d’hôtellerie de grand tourisme qui n’aboutira pas, le pavillon Sainte-Thérèse devient le Musée du vélo.
  • 2014 – Exit le Musée du vélo, le couvent est de nouveau vendu et abrite aujourd’hui six appartements locatifs.

Notes :

  • (1) La psychokinèse ou psychokinésie (PK) est l’hypothètique faculté métapsychique d’agir directement sur la matière, par l’esprit. C’est un mot introduit par Joseph Banks Rhine pour désigner tous les effets physiques et biologiques semblant se produire à partir du désir, conscient ou non d’un individu. […] Une absence de validation scientifique : lors des recherches effectuées dans le domaine de la psychokinèse, les expériences obtiennent des résultats différents d’un laboratoire à l’autre et rendent les phénomènes psychokinétiques irreproductibles et aléatoires. Cela invalide, scientifiquement, les résultats des recherches. Surtout, il n’y a pas de théorie permettant d’expliquer de façon causale les résultats attendus de ces expériences… – Wikipedia : Psychokinèse.

1 Commentaire

  • orchidea bat dit :

    Très proche de Cadouin, ces histoires me sont revenues car, entre 1960 et 1965, je venais en vacances chez mon oncle et ma tante… anciens personnages bien connue dans la commune, aujourd’hui malheureusement disparus. Mais la maison est restée dans ma famille. Je me souviens des sœurs avec leurs cornettes qui, le dimanche, allaient à la messe… Merci pour ce bon souvenir !

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