La bastide de La Linde (1267-2017)

Bastide de La Linde, © Photo aérienne Christophe Bricart

La bastide de La Linde est l’une des premières bastides anglaises du Périgord. Elle a été fondée en 1267, à l’initiative du Prince Edouard, fils aîné du roi Henri III Plantagenêt. Le 26 juin 2017 marque donc le 750e anniversaire de sa création !

Il n’est pas inutile de rappeler, en préambule, que l’on devrait écrire La Linde et non pas Lalinde, car les habitants sont des Lindois et non des Lalindois. Les textes anciens sont formels. Ce n’est qu’après une fantaisie administrative du début du XXe siècle que l’article s’est collé au nom. C’est donc l’orthographe originelle qui sera retenue dans ce texte.

La bastide de La Linde est non seulement la première bastide anglaise en Périgord, mais également la seule positionnée sur la rive droite de la Dordogne. Elle occupe une position de bastide frontière et contrôle à la fois la partie nord du territoire et la rivière. Entre-temps, dans la partie sud du Périgord, Beaumont, fondée en 1272, Monpazier en 1284 et Molières en 1285 enrichissent les possessions anglaises. La situation frontalière de la bastide de La Linde a probablement poussé les bâtisseurs à fortifier la ville dès sa construction. C’est en tout cas ce que suggèrent les termes employés dans la charte de fondation.

Dans les chartes postérieures à celle de La Linde, il est toujours question du terme de bastide, Bastide de Bellomonte pour Beaumont-du-Périgord, en 1272 ; Bastidae sancti Johannis de Moleriis pour Molières, en 1284, ou encore Bastide Sancti Bartholomé pour Saint Barthelemy de Goyrans, en 1318. Dans celle de La Linde, il n’est question que de castri de La Linde. Ce qui sous-entend que la ville est fortifiée. Le terme castri, signifiant « place forte, château fort, forteresse ».

Selon leur implantation, les bastides sont ouvertes ou fortifiées

L’abbé Goustat, homme d’église et historien lindois a parfaitement détaillé l’enceinte entourant la ville de La Linde. Il fut le premier à traduire la charte de 1267 et le premier à relever tous les comptes rendus du livre consulaire. Bien que le document du Consulat ne soit pas antérieur à 1511, l’enceinte médiévale est toujours en place au XVIe siècle, lorsque les consuls énumèrent et notent les réparations à y réaliser. Les quelques vestiges restant de ces remparts datent, selon les experts, du XIIIe siècle : murs élevés dans la tradition du XIIIe, pierres régulières, taillées à angle droit, ce qui permet une adaptation parfaite et un montage à joints minces.

Le rempart longeait la rivière du moulin de la ville à l’église qu’il englobait. Puis il remontait vers le nord jusqu’à la source de la Basinie (forme modifiée de l’occitan vesina, besina : « voisine »). Il repartait vers l’ouest jusqu’à la porte de Sainte-Colombe, continuait avant de bifurquer en direction du sud vers la porte de Bergerac, pour rejoindre la rivière et le moulin de la ville. Le tout étant protégé par des fossés et des arrière-fossés où coulait la Basinie. Le ruisseau qui entoure encore de nos jours la ville marque la limite des remparts qui ont été démantelés au XVIIIe siècle.

Il reste malgré tout quelques tronçons de ces fortifications, côté ouest, près de l’ancien moulin de la ville, ainsi qu’une partie du mur sud sur la rivière. Trois portes principales permettaient d’entrer dans la ville, la porte d’Amont, la porte de Sainte-Colombe, et la seule encore miraculeusement debout, la porte de Bergerac. D’autres portes plus petites donnaient sur la rivière et le port. Notamment la porte del Marty, visible au pied du pont.

La bastide est implantée sur un ancien fief dont on connaît le seigneur grâce à un acte de 1242 dans lequel est nommé Geoffroy de La Linde, vassal d’Hélie Rudel, seigneur de Bergerac. Le nom de ce seigneur lindois apparaît parmi d’autres feudataires du Bergeracois qui accompagnent Hélie Rudel en Saintonge. Ils se rendent auprès d’Henri III d’Angleterre, à Taillebourg, où se prépare une bataille entre Anglais et Français. L’issue du conflit s’avère catastrophique pour le camp anglais. Cependant, Geoffroy de La Linde survit à la déroute comme le confirme un autre document de 1259, dans lequel il apparaît comme témoin dans un procès opposant Marguerite de Turenne et Henri III d’Angleterre. Suite à ce procès, il n’est jamais plus question de ce Geoffroy de La Linde.

Il est évident que Geoffroy occupa la tour antérieure à la bastide. Selon l’abbé Goustat, elle constitue les vestiges d’un ancien château. Cette tour occupe, encore de nos jours, une position en surplomb de la rivière. Elle est accolée à un pavillon plus moderne, mais elle se devine sous le crépi récent. Intégrée aux remparts de la ville, elle servira de prison pendant un certain temps.

Vue de l’église, du pont et des remparts : coll. Christian Bourrier.

La paroisse de Pinac et son église

Il y avait donc un fief et une maison forte avant la bastide. Mais il existait aussi une paroisse qui portait le nom de Pinac et, par déduction, une église. C’est une des vitae de Saint Front, datée du XIe siècle, qui le confirme. L’auteur nous précise que sur un lieu appelé Linde, paroisse de Pinac, Saint Front aurait décimé le Coulobre.

Nous n’avons pas de précisions concernant cette église de Pinac. Était-elle l’église Saint-Pierre, qui deviendra plus tard l’église de La Linde ? Rien ne l’atteste. Toujours est-il que lors de la construction de la ville, Adhémar de Martin, curé de l’époque, recevra du roi d’Angleterre un droit de pêche pour avoir cédé une partie du territoire de son église. La vieille église romane, dont certains éléments datent du XIIe siècle, ont été remplacés au début du XXe siècle.

La position de l’église est l’une des particularités de la bastide de La Linde. En principe, les églises sont positionnées près de la place centrale. C’est le cas à Beaumont, à Monpazier, à Villefranche du Périgord, à Domme. Celle de Molières est un peu excentrée, mais elle est au milieu de la bastide. Celle de La Linde est extérieure car nous venons de voir qu’elle existait avant la ville. La topographie des lieux n’a pas permis aux architectes et urbanistes d’Henri III d’Angleterre d’intégrer l’église au centre de la bastide. Ils ont préféré construire la ville autour du château plutôt qu’autour de l’église.

Nous n’avons pas connaissance de l’existence d’un contrat de paréage entre le roi d’Angleterre et le seigneur du lieu, comme il était d’usage lors de l’implantation d’une bastide. Le seul contrat connu est celui passé avec le curé de l’époque. Il est fort probable que le reste du territoire était sous la vassalité des seigneurs pro-anglais de Bergerac. Nous avons vu que Geoffroy de La Linde était vassal des seigneurs de Bergerac.

Jean de La Lynde

En résumé, le nom Linde est attesté depuis le XIe siècle. Il est donc évident, comme l’affirmait Jean Tarde dans ses chroniques (1887), que la bastide ne tient pas son nom de Jean de La Lynde, sénéchal anglais du Périgord-Quercy-Limousin de 1261 à 1263. L’homonymie l’a laissé croire, mais le nom était bien antérieur.

Pour sa part, l’abbé Goustat affirme que si la ville ne doit pas son nom à ce chevalier, il en fut peut-être à l’origine. Son opinion s’est forgée à partir d’une annotation relevée sur la charte de 1267, qui mentionne : Johannes de la Lynde, dux ou comes Vasconnix, incipit hanc bastide (Jean de La Lynde, duc ou comte de Gascogne commença cette bastide). Il écrit en outre que cette annotation est de la même main que celle qui rédigea la charte. Ce qui semble impossible compte-tenu des titres de duc ou de comte donnés à Jean de La Lynde. Il est impensable que le scribe qui a réalisé la charte sous les ordres du prince Edouard ait pu donner le titre de duc ou comte de Gascogne à Jean de La Lynde. D’autant plus que depuis 1252, le titre de duc de Gascogne et d’Aquitaine est porté par le prince Edouard. L’auteur de cette indication ne pouvait pas commettre une telle erreur sous les yeux et les ordres du prince Edouard qui a signé la charte au nom de son père. On en déduit que cet ajout est postérieur à la rédaction de la charte. Il a été réalisé par un auteur qui n’avait aucune connaissance des fonctions exactes de Jean de La Lynde. Cependant, peut-être savait-il que lors de son mandat de sénéchal (entre août 1261 et mars 1263), Jean de La Lynde commença la bastide.

Après 1263, Jean de La Lynde n’est plus en fonction en France. Il occupe le poste de juge royal et connétable de la Tour de Londres. En 1267, lors de la remise de la charte, le sénéchal du Périgord-Quercy-Limousin se nomme Brun de Saye, et le sénéchal de Guyenne, Jean de Grailly. C’est ce dernier qui a remis la charte de la bastide, au nom du roi d’Angleterre.

Bastide de La Linde, © Photo aérienne Christophe Bricart

Un lieu d’implantation bien choisi

Promoteur de la bastide de La Linde, Henri III a particulièrement bien choisi le lieu d’implantation. Depuis la nuit des temps, le site est un lieu de passage. Un ancien gué datant de l’époque gallo-romaine, mais utilisé jusqu’au début du XXe siècle, permettait la traversée de la rivière à hauteur de Pontours. L’hiver, un bac partant du Port de La Linde, rive droite, jusqu’à la maison du passeur, rive gauche, le remplaçait. Au XIIIe siècle, une maison forte, puis la bastide, verrouillent la vallée tout en contrôlant la navigation sur la Dordogne. Passer à La Linde est encore une obligation si l’on veut suivre le cours de la Dordogne.

La ville a tiré profit de cette position stratégique, notamment au niveau des péages sur les marchandises. Mais la topographie des lieux lui nuit à partir de la fin du XVIIIe siècle, lorsqu’il faut percer les murailles afin d’aligner l’ancienne rue Saint-Pierre à la route venant de Bergerac. C’est à cette époque qu’une partie des remparts sert de carrière aux habitants. Heureusement, la porte de Bergerac et le mur longeant la rivière échappent à ce démantèlement.

Aujourd’hui, avec le plan géométrique du quadrillage des rues aboutissant à la place centrale, ce sont les seuls vestiges qui témoignent du fait que La Linde fut une bastide.

Christian Bourrier


Crédit Photos :

  • Photos aériennes : Christophe Bricart.
  • Vue de l’église, du pont et des remparts : coll. Christian Bourrier.

Cet article a été publié dans le numéro 10 du magazine « Secrets de Pays ».

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