J’aime les places de villages !

Place des Cornières, bastide de Beaumont-du-Périgord

Confidence, mais rien qu’à vous, j’aime les places d’ici. Des plus petites comme celle de Montferrand du Périgord aux plus animées comme celles d’Issigeac, d’Eymet ou de Lalinde, aux plus chargées d’histoire comme celle de Monpazier, pas seulement parce qu’on peut y croiser Pierre Bellemare et sa voix si attachante, ou le sourire de la comédienne Claire Nadeau faisant son marché, pas seulement parce qu’on y croise les fantômes de Blaise Cendrars et d’Henry Miller avec ses amours sulfureux… La raison la plus évidente, c’est parce que ces places sont des points d’observation et d’inspiration uniques ; de mémoire croisée aussi.

Le choix fut donc un peu compliqué mais celle de Beaumont du Périgord se présenta un bel après-midi ensoleillé, quoiqu’un peu frais, mais suffisamment tranquille pour être à l’écoute des bruits, des déplacements et des voix. Une place de village ou de bastide est un espace si profondément humain. Comment ne pas être retenu par ce cœur de vie magnétique !Pour ressentir la vibration de cet espace, nul besoin d’attendre des évènements tels que brocante, marché, foire-à-tout, rencontre de bouquinistes, regroupement de voitures anciennes. Il suffit d’installer le cercle immédiat d’une table de café et de sa tasse, à la manière d’André Breton en haut du bourg de Saint-Cirq Lapopie.

Les poètes le savent : un premier miroir, concentré de soi-même qui cache ses messages dans le secret de sa crème mousseline sur fond d’ombre, puis un second miroir aux reflets bleutés qui pourrait recevoir une autre présence avec sa douce séduction, et enfin le rectangle bordé de cent fenêtres et balcons cachant leur mystère… Mystère en écho au livre de Jean Secret, La Dordogne au fil de l’eau, trouvé chez l’antiquaire d’une rue toute proche.

Une place, c’est finalement une combinaison de géométrie et de poésie. Elle commence par le pain aux raisins secs en spirale de la boulangerie principale et se poursuit bien au-delà du rectangle dans un graphisme de ruelles et carreyrous, là où le soleil n’entre qu’à l’oblique, le temps de poêler une tranche de foie gras frais de canard aux cèpes.

Certains passages sont plus généreux et laissent le temps de finir une bouteille de Bergerac blanc entre amis. De là, il est encore possible d’entendre les rumeurs des commentaires sur le printemps qui tarde, d’un ancien qui vient de partir tout près de son centenaire, d’un dos qui souffre après une coupe de bois, d’une journée de chasse réussie, d’une transaction avantageuse, d’un « tope-là mon gars ! » roublard, ou d’un baiser annonçant déjà un mariage.

Certains dimanches de Pâques ou de circonstances plus tristes, des messes élèvent des chants imprégnés d’émotion qui vont s’éteindre doucement dans la campagne. C’est ainsi que l’église Saint-Laurent-et-Saint-Front, comme souvent décalée dans les plans des bastides, rappelle sa présence forte.

Une place chante aussi plus discrètement comme un lieu de souvenirs. Oubliés les pas des chevaux, les prénoms hélés avec leur résonnance forte, le roulement des charrettes, le ronronnement incertain des Tractions Avant, les récits de la Résistance, les fortes crues, les grèves dans la vallée, les mauvaises récoltes ou les belles vendanges… Sur fond d’Occitanie jaune d’or et aplat rouge, la trace de ces voix subsiste et danse sous les arcades en attendant l’ivresse de l’été qui s’achèvera tard dans la nuit, sous la solide charpente de la halle ou d’un porche de vieilles pierres.

Alors, qui se souvient d’Elie Lacoste né à Eymet en 1910 et encore présent sur la carte postale tenue entre mes mains…

À cette vie si perceptible s’ajoutent d’autres accents : anglais, hollandais, espagnols et même australiens. La Poste peut témoigner de cette circulation avec ses lettres colorées de timbres internationaux. Dès le mois d’avril, ces accents inscrivent des diagonales de passages, des chocs de culture et des frottements d’émerveillement. Ils logent tout près dans des chambres d’hôtes avec des hérissons de pierre moulée et des coqs de métal, si vrais qu’ils pourraient répondre aux coqs flamboyants des fermes à l’entour. Ils se retrouvent le soir, chaud rituel, dans des haltes gourmandes dont ils repoussent l’échéance tard dans la nuit.

À regret donc, puisque le soleil vient de basculer de l’autre côté des remparts renvoyant au sommeil la petite place des Pisadis et la rue Renarde avec l’impasse des Obits, mon escale buissonnière prend fin.

Sachez pourtant que ces places n’attendent que vous pour dire combien elles apprécient votre présence et votre joie de vivre ici.

Rémy Cassal



Cet article a été publié dans le numéro 8 du magazine « Secrets de Pays ».

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