Immigration et toponymie en Périgord

La carte de Beyleme et la toponymie en Périgord
La carte de Beyleme, une source précieuse pour connaître la toponymie en Périgord
Les mouvements migratoires sont aussi anciens que l’humanité. Les causes en sont multiples. Il est fort probable que les changements climatiques apparus au Paléolithique aient été à l’origine de l’évolution des lieux de chasse et de cueillette, entraînant ainsi les premières migrations.

Les grands déplacements se poursuivent au Néolithique, avec l’arrivée sur le sol européen d’un peuple de paysans originaire du Proche-Orient. L’apparition de grandes forêts dues au réchauffement de la planète favorise la sédentarisation de l’homme, mettant un terme à sa vie de nomade.

Les étymologistes attribuent à ces premiers peuples sédentaires certains noms obscurs classés dans la série des substrats préceltiques, notamment les noms de montagnes (oronymes), et de rivières (hydronymes). Cette couche linguistique apparaît dans le nom des Alpes, issu d’une racine préceltique alp venant d’albos et signifiant, selon Xavier Delamarre1, « le monde lumineux, le monde d’en haut » et dans ceux de la Dordogne (Duranius, au Ve siècle après J.-C., Dorononia VIe siècle après J.-C.), de la Dronne, et du Drop, formés à partir d’une racine préceltique dro, dor (vigoureux, rapide). Enracinés sur toute la zone européenne, ces noms constituent les premières traces d’une immigration qui puise ses racines dans la Préhistoire.

Les Celtes, qui entrent dans l’histoire au XVe siècle avant J.-C., s’installent dans ce qui deviendra la Gaule entre le VIIIe siècle et le Ve siècle avant J.-C. : « ils se nomment da ns leur propre langue Celtes et dans notre langue Gaulois » écrit Jules César dans La Guerre des Gaules (58-51 avant J.-C.). En raison d’une implantation profonde et durable, les Gaulois imprégneront fortement la toponymie française. Tout en étant des guerriers redoutables, ils n’en sont pas moins d’excellents agriculteurs farouchement attachés à leur terre.

C’est à la tribu gauloise des Pétrocorii, (petro, quatre et  corii, armées) que nous devons le nom de Périgord.

Dans notre canton, Baneuil est un nom composé de deux radicaux gaulois banno, (corne, hauteur), et -ialo, (lieu défriché, clairière). Ce dernier se retrouve de nos jours sur tout le territoire national sous la forme -euil : Limeuil, Nanteuil, Mareuil, Excideuil… tous ces toponymes, évoquant des lieux défrichés, constituent probablement la strate la plus ancienne de la sédentarisation gauloise.

Après la conquête de la Gaule par César, l’immigration romaine, estimée à environ 300 000 colons, formera avec les Gaulois de souche la civilisation gallo-romaine. Leurs immenses domaines agricoles s’identifient aujourd’hui grâce à une partie des noms de lieux terminés en -ac. Mauzac, Bayac, Bouillac, Paleyrac, Pressignac, Liorac, Issigeac, Bergerac, etc. Autant de noms formés sur la base d’un nom de propriétaire ou d’un nom commun d’origine celtique ou romaine, auquel s’est ajouté le suffixe gaulois –acos latinisé en –acum, désignant l’appartenance. Ainsi, dans Pressignac peut-on discerner le domaine d’un nommé Priscinius (Prisciniacum > Pressignac).

La période germanique a laissé très peu de traces, si ce n’est dans notre secteur le nom Mouleydier. Toponyme hybride, formé à partir du latin mons et du nom d’homme germanique Leutharius. Au nord du village, une motte féodale atteste que l’endroit était particulièrement surveillé. Le nommé Leutharius avait probablement la charge de contrôler la traversée de la rivière à Mouleydier.

Après les invasions germaniques, la toponymie va rester assez stable jusqu’au Moyen Âge. Ce n’est qu’après la guerre de Cent Ans que des mouvements de populations renaîtront. Le territoire situé entre Bergerac et Sarlat, ayant particulièrement souffert, se repeuplera grâce à l’arrivée massive de populations originaires d’autres régions de France. À cette époque, Badefols n’a plus une âme vivante, le château est détruit. À Pontours, un seul feu est recensé. L’abbaye de Cadouin, en partie en ruine, est envahie par les ronces. Calès ne compte que 8 feux, Alles 5, Cussac 3 et Bourniquel 3.

L’état lamentable dans lequel se trouve le sud du Périgord va générer « une immigration interne ». De toutes les régions voisines vont venir s’établir sur les terres désertées, des gens que l’on nomme alors étrangers. Jusqu’au début du XXe siècle, cette notion d’étranger n’avait pas le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Il suffisait de venir d’une autre région de France, d’une autre ville ou d’un autre village pour être qualifié d’étranger, d’autant que les différents dialectes locaux ne permettaient pas toujours aux gens de communiquer ! Un Breton et un Alsacien qui ne se comprenaient pas entre eux, ne l’étaient pas davantage d’un Périgourdin.

Tous ces migrants reconstruisent des hameaux et des fermes et remettent les terres en culture. De ce fait, de nouveaux noms de lieux apparaissent. À partir de cette période de paix va se fixer dans le sol de nos campagnes une multitude de noms constituant la microtoponymie. Elle concerne essentiellement les noms de lieux-dits, généralement plus récents que les noms de lieux.

Les noms de lieux-dits désignent un endroit réduit, à l’écart du centre administratif. Comme pour les noms de villages, ils n’ont pas été attribués de façon arbitraire, mais dans un souci d’identification précise. Ils indiquent la particularité géographique ou topographique de l’endroit ; ou bien encore ce peut être l’activité exercée, un détail sur la faune ou la flore, la géologie, le nom d’un habitant… Dans certains cas, on retrouve le nom de la région d’origine d’un ancien occupant.

La Dordogne fait partie des départements où l’on relève de nombreux toponymes évoquant une région, une ville ou un lieu d’origine. À partir de ces noms de lieux-dits, il est possible de dresser une liste non exhaustive de noms indiquant la provenance d’un ancien occupant. Le Dictionnaire topographique de la Dordogne du vicomte Alexis de Gourgues (1878) en donne un certain nombre : Armagnac, les Armagnagoux, les Auvergnats, le Béarnès, la Bourgogne, les Gavachs, les Gavachoux, Lomagne, Narbonne, Navarre, les Peytavits, les Saintongers, Vendôme, etc.

Notons également que la provenance peut se définir par l’onomastique, l’étude des noms propres. Les nommés Delpech, Marty ou Castaing sont originaires du sud, alors que leurs équivalents Dupuy, Martin et Chastaing indiquent une origine de la zone nord.

Au début de l’aire industrielle, une autre variété d’immigration interne va vider les campagnes françaises et engorger les grandes villes. Cet exode rural engendrera la construction de grands ensembles immobiliers aux abords des villes. Certains porteront des noms parfois très fantaisistes, sans aucun lien avec la topographie ou la particularité du lieu. Ainsi, un lotissement lindois édifié sur un lieu nommé Les Russacs, nom d’une famille propriétaire du sol au XVIIe siècle, porte le nom de Hameau du Soleil Levant.

Le phénomène de l’immigration remonte à la nuit des temps. Les hommes se sont toujours déplacés sur la planète pour des raisons économiques, politiques ou liées à leur subsistance alimentaire. Ces mouvements de population ont laissé des traces encore lisibles grâce aux noms de lieux et lieux-dits, fossilisés dans la nature. La toponymie reste une science utile, permettant parfois de suppléer au manque de documentation.

Christian Bourrier

Consultez d'autres sources sur le webLe nom occitan des communes du Périgord – Réalisé par le Conseil général de la Dordogne (suite à une étude conduite entre 2003 et 2006), ce site web présente le nom occitan des communes du Périgord.


Iconographie : Extrait de la Carte de Guyenne de Pierre de Beleyme, publiée à partir de 1875, Archives départementales de la Dordogne.

Cet article a été publié dans le numéro 5 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer en consultant la boutique du site…

4 Commentaires

  • Turk philippe dit :

    Je suis cet article très intéressant sur l’étymologie de tous ces noms périgourdins.
    Je n’ai jamais pu savoir l’origine du nom du village où j’ai séjourné 15 ans.
    Belvès : pour certains, l’origine était tout simplement « belvédère » ; pour d’autres, un peuple gaulois: les «belllovaques».
    Avez-vous une réponse ? Merci d’avance.

    • Jean-François Tronel dit :

      Bonsoir et merci de nous lire…

      Voici la réponse de Chantal Tanet et Tristan Hordé dans leur « Dictionnaire des noms de lieux du Périgord » : « Il semblerait que la toponymie provienne du nom d’un peuple gaulois, Bellovacis (Les Bellovaques), nom qui a aussi donné BEAUVAIS dans l’Oise. La position élevée de la ville oblige cependant à considérer une autre hypothèse ; Belvès correspond à peu près à l’occitan bèl véser « bel aspect » »

      On trouve cette précision sur Wikipédia à propos de la toponymie Belvès : « Il s’agit d’une formation toponymique médiévale composée des éléments bellu(m) « beau » et visu(m) « vue », d’où le sens global de « belle vue », formation comparable aux nombreux Bellevue modernes et au nom commun belvedere emprunté à l’italien au xvie siècle. ».

      Enfin, voici le lien vers le moteur de recherche des noms occitans des communes du Périgord : communes-oc.cg24.fr/cantons/belves/BELVES.htm.

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