Témoins caractéristiques de l’architecture rurale de certaines régions du Périgord, les cabanes en pierre sèche sont des constructions faites de pierres appareillées (moellons et lauzes) sans mortier ni ciment. Réalisées avec des pierres d’extraction locale, elles étaient établies sur des terres agricoles souvent éloignées des habitations permanentes. Elles abritaient le berger qui surveillait les troupeaux, le paysan et le vigneron qui venait travailler un champ ou une vigne, et même le bébé que ses parents amenait avec eux, car ils ne pouvaient pas se payer une nounou. Elles permettaient de remiser sur place quelques outils, des fagots, des piquets…. Autour des hameaux, elles servaient de poulailler, habillaient le four à pain, abritaient un puits, une citerne. Leurs constructions étaient alors plus soignées avec des pierres équarries. Leurs volumes étaient calculés en fonction des usages…
La construction en pierre sèche est connue en Europe depuis le IIe millénaire avant notre ère, mais à cette époque, on la trouve essentiellement dans les îles britanniques. En Périgord, ces constructions sont plus récentes, et celles qui sont parvenues jusqu’à nous furent majoritairement construites entre la fin du XVIIIe siècle et les premières décennies du XIXe siècle, pour répondre à l’accroissement démographique des campagnes, et en raison de l’essor de l’agriculture et de la viticulture. C’est également à cette époque que la charrue remplace l’araire, ce qui permet des labours plus profonds, entraînant une augmentation du nombre de pierres soulevées qu’il fallait sortir des champs. C’est ce modeste matériau d’épierrage qui étaient principalement utilisées pour la construction des murets et des cabanes en pierre sèche. Il y avait également de nombreuses carrières en Périgord, déjà exploitée par les Romains, d’où l’on extrayait une pierre calcaire tendre, facile à extraire et à façonner, non-gélive.
Bien qu’on les trouve majoritairement dans les départements situés dans les deux tiers sud de la France, la technique de construction en pierre sèche n’est pas représentative d’un style méditerranéen… contrairement à ce que certains affirment parfois. Pour preuve, on la rencontre jusqu’en Vendée, très haut dans l’Est de la France, et même dans les îles britanniques, l’Islande, l’Irlande, le pays de Galles, l’Écosse, la Suède, l’Allemagne et la Suisse, des contrées qui, vous en conviendrez, n’ont rien de très méditerranéennes ! En fait, ces constructions se rencontrent dans toutes les régions de France où la roche affleurant se délite sous forme de dalles, les matériaux les plus représentés étant les différentes sortes de calcaires. Viennent ensuite le grès et le schiste, et, dans une moindre mesure, le basalte, le gneiss, le granit et les marnes. De très nombreuses formations géologiques se prêtent à la construction de cabanes en pierre sèche et les bâtisseurs ont toujours su tirer profit des roches qu’ils retiraient des terres agricoles.
Il en est résulté un patrimoine bâti extrêmement riche et varié qui participe à l’identité de nos paysages pierreux d’origines agricoles, et surtout viticoles : cabanes, mais aussi amas de pierres en bordure des champs, murs de soutènement, enclos, murs délimitant les champs ou encadrant les chemins. Nos campagnes abritent encore de nombreux et magnifiques témoignages de cette architecture vernaculaire qui ponctuent les paysages pierreux, ou « lithiques », pour reprendre l’expression employée par Christian Lassure. (1)
La maçonnerie en pierres sèches « est la pose de moellons, de plaquettes, de blocs, de dalles, bruts ou ébauchés, sans recourir à un quelconque mortier liant, pour monter un mur, un voûtement ». (1)
Termes vernaculaires désignant les cabanes en pierre sèche
Ces constructions traditionnelles font partie intégrante du patrimoine périgourdin et on en compte plusieurs milliers sur tout le département de la Dordogne. Mais on les rencontre également dans 48 autres départements français, sous des appellations vernaculaires très diverses : baraque, baracou, barracum, borniotte, caborde, capitelle, cazelle, cadole, casourne, gabinelle, gaboureau, gariotte, loge, masicot, oustalet, tonne… pour ne citer que celles-là.
En Périgord, on utilisait principalement les termes vernaculaires cabano, tzàbàno, tuta, cajolle ou chabana (chebana), chabane dans sa forme francisée. On parle plus rarement de biotas ou benitas. Bref, ce sont des cabanes ou cabanas, terme employé dans les vieux textes de la Renaissance. On utilisait aussi les mots de casettes ou de cayrous ou de clapieras quand il s’agissait de cabanes aménagées dans des tas de pierres et servant souvent de clapiers.
Ce n’est que dans les années 1970 que le mot « borie » a été popularisé pour désigner les cabanes sèches. Toutefois, il s’agit là d’un contresens puisque le mot « borie » dérive, semble-t-il, du terme occitan boria (borio), lui-même issu du médiéval boveria, boria, étable à bœufs, bos, bovis désignant la vache ou le bœuf. En Périgord, aux XVIIe et XVIIIe siècles, on nommait « borie » une ferme à louer (sans doute, parce que les propriétaires possédaient une ou plusieurs paires de bœufs pour travailler leurs terres). Le vocable « borie » est également apparenté à l’occitan borda (bordo), borde, ce qui explique pourquoi les Périgourdins utilisaient ce mot pour parler d’une ferme isolée. En langue d’Oc, on faisait un distingo entre une grosse exploitation agricole, la boriassa, et une petite métairie, la borieta, le terme boriaire désignant un fermier. On comprend dès lors pourquoi on ne trouve aucune trace de cabane de pierre dans certains lieux-dits qui se nomment « Haute-Borie » ou « Borie-Neuve ».
Plus tard, au XIXe siècle, le sens de ce mot migre. Il est alors employé uniquement dans un sens péjoratif pour désigner une masure, une cahute, comme l’indique Frédéric Mistral dans son Tresor dòu Felibrige, mais jamais pour désigner une cabane en pierre sèche. Ce n’est que récemment que le mot « borie » a été popularisé par certains auteurs, à commencer par Pierre Desaulle, avec son livre Les bories de Vaucluse, publié en 1965. Dans les années 1990, le Parc naturel régional du Luberon publie le livre Bories. Par contre Pierre Viala, créateur du site muséologique de Gordes (Vaucluse), connu sous le nom de Village des bories, utilise cette appellation à bon escient puisque les cabanes qu’on y trouve sont des habitations avec étables en pierre sèche.
Bien que le terme « borie » ait été retenu par certains – parce que jugé plus porteur pour le tourisme – ce nouvel usage n’est généralement pas justifiable. C’est pourquoi certains occitanistes provençaux, comme Jean-Yves Royer, s’élèvent contre cet usage impropre. Signalons enfin que les appellations cabanes néolithiques, gauloises, romaines ou mérovingiennes sont tout aussi fantaisistes.
Les cabanes en pierre sèche du Périgord
Contrairement à l’usage qu’on en faisait dans le Quercy voisin, en Périgord, les cabanes en pierre sèche étaient majoritairement des annexes liées à la viticulture, parfois à la chasse, mais très peu à l’activité pastorale avec laquelle certains ont tendance à l’associer. Ces abris accueillaient les paysans qui venaient travailler un champ parfois éloigné de leurs habitations. On y partageait les repas, on y prenait du repos, on s’y protégeait des intempéries et on y entreposait quelques outils. Les vignerons venaient s’y restaurer et se réchauffer durant les froides journées de taille et, fin septembre, les familles qui participaient aux vendanges s’y abritaient.
On édifiait également des guérites, sortes de niches intégrées dans les murs d’enclos, qu’on utilisait principalement pour entreposer le matériel dont on avait besoin pour les cultures.
Autour des hameaux, certaines cabanes servaient de poulailler, de clapier, habillaient le four à pain, abritaient un puits, une citerne… Dans ce contexte, leur construction était souvent plus soignée, en partie grâce à l’emploi de pierres équarries plutôt que brutes.
Très exceptionnellement, certaines cabanes en pierre sèche étaient habitées de façon permanente. Elles étaient alors aménagées avec cheminée, bassin, banc de pierre, et comportaient même deux ou trois pièces. On trouve un exemple de ce type d’habitation en Périgord Noir, à Saint-André-d’Allas, au lieu-dit Calpalmas, sous l’appellation « Les Cabanes du Breuil ». Classé monument historique, cet ensemble de bâtiments en pierre sèche datant de la fin du XIXe siècle, voire du tout début du XXe siècle, est situé sur une ancienne exploitation agricole, où vit encore une famille qui ouvre les portes de son domaine à la visite. Parce qu’elles jouaient un simple rôle d’abri temporaire, leur confort était plutôt sommaire. Rares étaient celles qui possédaient une banquette ou une cheminée, et plus rares encore celles qui étaient équipées d’un évier et d’une citerne.
Bref, quels que soient leurs usages, ces cabanes sont le témoignage d’un passé qui fut très laborieux, bien que l’on ait trop souvent tendance à l’idéaliser…
Le Musée de la Maison de la Pierre Sèche
Situé sur les coteaux du Céou, en Périgord Noir, le vignoble de Domme s’étendait sur plus de 1800 hectares. Après le terrible drame du phylloxéra, ce grand vignoble, autrefois fort réputé, a pratiquement disparu (avant de connaître un certain renouveau, encore timide mais bien réel). Toutefois, les constructions en pierre sèche ayant un rapport à la viticulture sont toujours bien présentes dans le paysage : cabanes et guérites, murs de clôture ou de soutènement, cayrous… Sur la seule commune de Daglan, pas moins de 150 cabanes ont été recensées, dont deux répertoriées au registre supplémentaire des Monuments historiques.
À Daglan, capitale périgourdine des cabanes en pierre sèche, un musée retrace l’histoire des cabanes en pierre sèche de Daglan, ainsi que les méthodes de construction. En plus de la muséographie habituelle en un tel lieu, on peut admirer la reconstitution grandeur nature d’une cabane et de murets. Enfin, une randonnée pédestre accompagnée, d’environ 3/4 kilomètres, « À la Découverte des Cabanes en pierre sèche de Daglan » vous est proposée. Elle vous permettra d’admirer deux cabanes inscrites à l’inventaire des monuments historiques : la cabane triple de la Combe du Rat et la cabane du Mazut. — Uniquement sur rendez-vous, voir ci-dessous.
La Maison de la Pierre Sèche est une association loi 1901 dont l’objet est de favoriser la sauvegarde et la conservation des constructions en pierre sèche, de faire connaître, à partir de l’exemple de Daglan, la technique de la pierre sèche et d’organiser et d’accueillir des visites sur le terrain.
Maison de la Pierre Sèche : Rue de la République 24250 Raglan – Tél. 05 53 29 88 84 – Site internet : www.maisonpierreseche.org – contact@maisonpierreseche.org.
En juillet et août uniquement, randonnée pédestre accompagnée « À la Découverte des Cabanes en pierre sèche de Daglan » : réservez par téléphone seulement, au 05 53 29 88 84, avant le mardi précédent, 17 heures – Tarifs : 5 € (adultes), 3 € (enfants 6-14 ans).
Notes :
Crédit Photos :
- Le village des cabanes du breuil, Dordogne, by Jebulon (Own work), via Wikimedia Commons.
- Cabanes en pierre sèche, Meyrals (24220), lieu-dit : Boyer, by Gilbert Bochenek (Own work), via Wikimedia Commons.
- Cabane en pierre sèche de Pech Lauzier, à Vitrac, Dordogne, by Michel Chanaud (Own work), via Wikimedia Commons.
- Cabane au lieu-dit Villeneuve, à Badefols-sur-Dordogne, by Dominique Robert Repérant (Own work), via Wikimedia Commons.
- Cabane en pierre sèche au lieu-dit Pechmémie à Sireuil, Dordogne, commune des Eyzies-de-Tayac-Sireuil, by Dominique Robert Repérant (Own work), via Wikimedia Commons.
- La cabane en pierre sèche de Pech Lauzier, commune de Vitrac, Dordogne, France, by Dominique Robert Repérant (Own work), via Wikimedia Commons.