La présence des grands migrateurs a été un élément essentiel du classement par l’UNESCO du bassin de la Dordogne comme Réserve Mondiale de Biosphère. Les migrateurs sont là, mais ils rencontrent des problèmes nombreux et graves. Chaque espèce a fait l’objet d’efforts et d’actions : protection des habitats, repeuplements pour l’esturgeon et le saumon, suivi des populations… mais hélas pour la majorité, les populations restent en danger. — Infos Rivières Dordogne, Poissons migrateurs, 2013.
La Dordogne fait figure de fleuve d’exception puisqu’elle abrite 40 espèces de poissons, dont 8 espèces migratrices qui contribuent à l’image de marque de l’une des plus belles rivières d’Europe : l’esturgeon européen (Acipenser sturio), le saumon atlantique (Salmo salar), la truite de mer (Salmo trutta trutta), la grande alose (Alosa alosa), l’alose feinte (Alosa fallax), la lamproie marine (Petromyzon marinus), la lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis) et l’anguille européenne (Anguilla anguilla). Ces poissons migrateurs sont dit amphihalins car leur cycle de vie alterne entre milieu marin et eau douce. La majorité de ces espèces naît en rivière, gagnent la mer pour s’y développer puis retournent dans les eaux continentales pour se reproduire : ce sont des migrateurs anadromes. Seule l’anguille a un parcours inverse : elle grossit et vit en rivière avant d’aller se reproduire dans la mer des Sargasses. C’est un migrateur catadrome. Certaines espèces, comme le saumon, la truite de mer et l’alose, reviennent sur leur lieu de naissance : on parle alors de homing. (1)
Le bassin Gironde-Garonne-Dordogne est le dernier en Europe de l’Ouest à regrouper l’ensemble des onze migrateurs amphihalins historiquement présents sur la façade atlantique. Ils représentent un inestimable patrimoine culturel pour la société riveraine, mais ils sont surtout des indicateurs de la qualité des cours d’eau.
Une situation préoccupante pour les poissons migrateurs
De nombreux témoignages attestent de l’importance historique des poissons migrateurs dans le Bassin de la Dordogne, et cela, depuis la nuit des temps. Si nous ne disposons que de rares représentations de poissons dans l’art pariétal, de nombreux vestiges néolithiques (en particulier de très nombreux restes de vertèbres d’anguilles et de saumons) permettent d’apprécier l’abondance des populations des poissons migrateurs permettent d’apprécier. Plus tard, des textes et citations de l’époque médiévale remontant au XIIe siècle, puis les statistiques d’exploitation des pêcheries des XVIIe et XVIIIe siècles ne démentent pas le fait que les populations de saumons, lamproies et autres esturgeons sont vraiment très abondantes. Ainsi, en 1851, sur 80 kilomètres de la moyenne Dordogne, trente tonnes de poissons migrateurs furent capturées, parmi lesquelles près de 12 tonnes de saumons. (2)
L’impact négatif des barrages sur la migration des poissons
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la pêche a donc occupé une place prépondérante dans l’économie et la vie quotidienne des riverains qui pratiquaient toutes sortes de techniques de pêche, mais aussi de braconnage. La construction des barrages au XIX et XXe siècles, la pollution chronique des eaux, la pêche intensive dont ces espèces ont été les victimes sont responsables d’une régression importante de leurs populations au cours du siècle passé, plus particulièrement depuis les années 1950.
La Dordogne abrite encore toutes les espèces de poissons migrateurs d’Europe de l’ouest. Mais toutes connaissent aujourd’hui des difficultés. Autrefois ressource majeure de nombreuses pêcheries, les poissons migrateurs représentent désormais une maigre ressource.
Évoquons les problèmes occasionnés par l’hydroélectricité qui a largement contribué à la disparition de ces espèces migratrices. Pour faciliter la navigation des gabarres sur la Dordogne, deux barrages furent construits : le premier à Mauzac, entre 1838 et 1843, surélevé au début du XXe siècle, et le second à Bergerac (il est construit par étapes à partir de 1839, sa mise en service s’effectue en 1852). Ces deux ouvrages situés respectivement à 165 et 130 km de l’embouchure de la Dordogne empêchèrent la remontée des poissons migrateurs. En 1908, la mise en service du barrage de Tuilières (construction qui dura près de quatre ans, de juin 1905 à décembre 1908) aggrava encore la situation, entraînant la disparition du saumon qui ne pouvait plus rejoindre ses zones de reproductions situées bien en amont, principalement sur la Dordogne et ses affluents corréziens. Dans les années 1950 à 1980, de nouveaux barrages sont édifiés. Lorsqu’ils sont équipés de turbines, celles-ci peuvent provoquer des blessures voire la mort des poissons qui tentent de les traverser. Certains de ces barrages, de taille monumentales, interdisent définitivement l’accès des poissons migrateurs aux parties amont du bassin : Haute-Dordogne en amont d’Argentat, Haute-Vézère, Haute-Cère et Haute-Maronne. Sur les affluents, une multitude de seuils de hauteur variable ont été construits, parfois depuis le Moyen Âge, pour répondre à des usages multiples : retenue d’eau pour alimenter les moulins et diverses industries, comme la métallurgie, ou bien encore, pour l’irrigation…
Pour ce qui est des espèces migratrices autres que le saumon, elles trouvèrent des habitats satisfaisants à l’aval des barrages et purent ainsi se reproduire. Toutefois, dans les années 1960 à 1980, le développement des extractions intensives de granulats dans le lit des rivières détruisit bon nombre des frayères d’aloses et de lamproies. Attisée par l’exploitation du caviar, l’esturgeon fut victime de la surpêche. À partir des années 1980, ce sont les populations d’anguilles qui commencèrent à décliner, à cause d’une combinaison de facteurs environnementaux et halieutiques. (2)
Le plan de reconquête de la rivière Dordogne
En 1975, le Ministère de l’Environnement envisage un plan de reconquête des rivières françaises. En Dordogne, ce plan de réintroduction des poissons migrateurs démarre en 1978. Il prévoit la mise en œuvre d’un programme de repeuplement du saumon et la mise en place de mesures de protection des espèces et des habitats (arrêtés de biotope et mesures pour réduire la pression de pêche). Parallèlement, des procédures de gestion se sont engagées sur la qualité des eaux, sur la réduction des éclusées et sur les débits d’étiage… Mais ce plan a pour objectif, avant tout, de réouvrir l’axe Dordogne avec l’équipement de passes à poissons sur les grands barrages de l’aval, puis la reconquête des affluents. Des passes à poissons sont donc aménagées sur les barrages EDF de Bergerac (1985) et de Mauzac (1987) et un ascenseur – équipé d’une vitre pour l’observation – sur celui de Tuilières (1989). Ces barrages ont été équipés en priorité en raison de leur rôle majeur pour l’accès à tout le haut-bassin de la Dordogne. Ils l’ont été avec des dispositifs expérimentaux qui comptent parmi les premiers du genre réalisés en France et en Europe. Depuis, ils ont fait l’objet de maintes modifications. Signalons l’aménagement d’exutoires de surface permettant de limiter le passage des poissons dans les turbines, ou bien encore, l’ajout de rampes spécifiques à l’espèce anguille (un aménagement de ce type a été réalisé en 1997 sur le barrage de Tuilières). Bien qu’ils permettent désormais le passage des poissons migrateurs, les effectifs observés restent encore très faibles sur la Dordogne, comme sur les principaux cours d’eau français d’ailleurs…
L’état des populations de saumons dans la Dordogne
Le saumon atlantique qui avait disparu du bassin-versant après l’édification des barrages du Bergeracois a fait sa réapparition depuis la fin des années 1980, grâce au plan de restauration lancé par le Ministère de l’Environnement. Une population sauvage s’est progressivement réimplantée et un pic de retour a été enregistré entre 2000 et 2002 avec plus de 1 200 saumons comptabilisés à la station de Tuilières. Mais pour l’instant, certains problèmes persistants, notamment sur le franchissement des barrages du Bergeracois et les éclusées hydroélectriques sur les frayères, ne permettent pas au saumon de vivre de façon autonome dans le bassin de la Dordogne. Des opérations de repeuplement doivent donc encore se poursuivre chaque année pour maintenir la population en attendant que les problèmes soient réglés. Des analyses plus fines doivent également être menées, en confrontant les données de la Dordogne à celles des autres bassins versants, pour comprendre certaines évolutions observées depuis plusieurs années, notamment la raréfaction des remontées de castillons (saumons n’ayant passé qu’une seule saison en mer). — Lettre Info Rivière n°15 Spécial Poissons Migrateurs nov. 2013 (3)
Conjointement à la mise en œuvre des solutions proposées par le plan de réintroduction des poissons migrateurs, la pêche a été règlementée :
- L’esturgeon, espèce strictement protégée est interdit à la pêche depuis 1981. L’estuaire de la Gironde, la Dordogne et la Garonne aval, sont les derniers milieux continentaux fréquentés par l’esturgeon.
- La pêche du saumon est, elle aussi, interdite depuis le lancement du plan de restauration en 1978. Cette espèce est classée comme espèce « vulnérable » par Le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
- La truite de mer est considérée comme vulnérable en raison des obstacles à la migration empêchant l’accès aux zones de reproduction.
- La grande alose dont la population s’est effondrée. Depuis 2009, elle fait l’objet d’un moratoire qui peut être reconduit annuellement. Elle est classée comme espèce « vulnérable » par le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
- L’alose feinte est interdite pour cause de contamination trop importante par les PCB. Cette espèce est classée comme espèce « vulnérable » par Le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
- La pêche de l’anguille est strictement réglementée, à la fois pour des raisons de protection de l’espèce (elle figure au Plan de Gestion Européen et National pour l’Anguille et est classée « espèce en danger critique d’extinction » par le Comité français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et pour des raisons sanitaires (contamination par les PCB).
- La lamproie marine est classée comme espèce « quasi-menacée » par Le Comité français de l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN).
- La lamproie fluviatile est classée comme espèce « quasi-menacée » par Le Comité français de l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Bien évidemment, en raison de cette règlementation contraingnante (mais indispensable), la pêche professionnelle, qui sur la partie aval du bassin vit presque exclusivement des espèces migratrices, connaît actuellement une crise sans précédent. Les seules populations actuellement exploitables sont celles de la lamproie marine, qui conserve des niveaux de population relativement abondants, et de l’anguille aux plus jeunes stades (civelles et anguillettes), une partie des pêches de cette dernière étant destinée au repeuplement.
Un état des lieux concernant les poissons migrateurs
Les Observations et Statistiques du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire signale début 2017 qu’en Dordogne, « les effectifs observés ces dernières années à la station de Tuilière restent largement inférieurs au niveau observé entre 2000 et 2002 avec plus de 1 000 saumons comptabilisés annuellement durant cette période (maximum de 1 417 en 2002). Après un incident survenu le 29 janvier 2006, cette passe à poisson fonctionne à nouveau depuis le 6 mars 2009. En 2013, 201 saumons ont été identifiés. Une diminution des effectifs, est également observée sur la Garonne par rapport à la période 2000–2002.» (4) En 2012, à Tuilières, on a recensé 42 323 anguilles, 1 464 lamproies, 352 saumons, 261 aloses et 7 truites de mer (source MIGADO). Entre le 27 février et le 21 septembre 2014, toujours à à Tuilières, 334 saumons ont été comptabilisés par MIGADO, de même que 170 passages de grandes aloses entre fin mars et fin juin 2014.
Une passe à poissons, à quoi ça sert ?
Certaines espèces de poissons ont besoin de migrer (montaison, action de remonter un cours d’eau, et dévalaison ou avalaison, action de descendre un cours d’eau) dans le cadre de leur cycle de développement et/ou de reproduction. Les grands poissons migrateurs ne sont pas les seuls à emprunter la passe, on y observe également de nombreuses espèces : anguilles, lamproies, aloses… ou encore les truites, qui cherchent les têtes de bassin pour se reproduire. La mise en place de multiples ouvrages sur les cours d’eau rendent ces migrations impossibles, mettant en danger la survie des espèces concernées. Les passes à poissons atténuent ce phénomène et permettent aux poissons de remonter vers les frayères (lieux de ponte) et, ainsi, de contribuer à l’accomplissement du cycle biologique des espèces, tout en améliorant la continuité écologique. Le dénivelé de l’obstacle à franchir et le comportement des différentes espèces migratrices sont les principales données qu’il faut intégrer pour définir le meilleur type de passe à poissons à utiliser.
Notes :
- (1) Les espèces locales de poissons migrateurs.
- (2) Atlas, Les poissons migrateurs du bassin de la Dordogne, un dossier EPIDOR, juin 2008.
- (3) Lettre Info Rivière n°15 Spécial Poissons Migrateurs nov. 2013,
Lettre d’information de l’établissement public EPIDOR. Numéro spécial sur les poissons migrateurs. - (4) Les poissons migrateurs, site internet du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire.
Crédit Photos :
- Pêche aux saumons, via Pixabay.
- L’usine hydroélectrique (à gauche) et le barrage de Tuilières sur la Dordogne, Saint-Capraise-de-Lalinde et Saint-Agne, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- L’ascenseur à poissons vu du dessus, Saint-Capraise-de-Lalinde et Saint-Agne, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
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