Au carrefour du Sarladais et des bastides, Couze et Saint Front affirme sa particularité avec l’activité de son industrie papetière traditionnelle. Édifié au XIIIe siècle pour la fabrication du papier, le moulin de Larroque fut racheté en 1972 par Georges Duchêne. Il lui a redonné vie, contribuant à apporter à Couze et Saint Front sa notoriété.
Au début des années soixante, Georges Duchêne, cadre dans l’industrie textile décide de cesser cette activité pour devenir artisan papetier. Dès 1968, c’est au Moulin du Verger, à Puymoyen, près d’Angoulême, qu’il apprend le métier, quatre années durant.
En 1972, il se met en quête d’un moulin afin de réaliser son rêve : fabriquer du papier d’art de façon artisanale. C’est à Couze et Saint Front, au Moulin de Larroque, qu’il trouvera son bonheur ! Dans un état de délabrement avancé, ce moulin était occupé par Henri Reversade et sa mère jusqu’au début des années 1970.
Propriétaire dès juillet 1972, Georges Duchêne se lance corps et âme dans la restauration. Il refait toutes les huisseries à la main. Il répare la pile hollandaise nécessaire à la fabrication du papier tout en réhabilitant le bâtiment. Mécanicien dans l’âme, afin d’améliorer les conditions de travail de ses employés, il met au point un palan électrique pour réduire la pénibilité de la tâche.
Le 10 octobre 1972, il commence les essais de fabrication et sort la première feuille de papier le 2 novembre de cette même année. Des mains de cet homme, de son énergie et de son rapport à la matière naît alors le papier d’Art. Un papier fabriqué à partir de chiffons de coton neufs, issus de chutes de confection. George Duchêne s’intéresse alors aux artistes et au marché de l’art, cherchant à comprendre les différentes techniques utilisées par les peintres, aquarellistes et graveurs. Il fréquente les expositions, les galeries, rencontre les artistes, tisse des liens forts avec certains d’entre eux qui, bientôt, ne jurent plus que par le papier d’art du Moulin de Larroque ! Noëlle rejoint Georges dans cette aventure en 1974. Le papier « Colombe », souple, granuleux, se prêtant au gaufrage, devient le produit phare. Il convient également à la gravure au carborundum ainsi qu’aux techniques de l’eau-forte et de la taille-douce.
De Couze à Pombié
À la fin des années 1970, le commerce de l’art est prospère. Sans possibilité d’extension au Moulin de Larroque, Georges et Noëlle Duchêne décident de louer le moulin de Pombié sur la commune de Cuzorn, canton de Fumel, en Lot et Garonne, afin d’accroître la production de papier à la forme ronde.
Dix ans plus tard, Pombié et Larroque produisent annuellement 50 tonnes de papiers d’art environ destinés aux artistes, éditeurs d’art, restaurateurs, magasins beaux-arts… 40 % de la production est exportée en Europe, aux États-Unis ou encore en Israël. Les papiers pur chiffon du Moulin de Larroque, convenant pour toutes les techniques d’expression artistique, conquièrent de grands artistes comme Coignard, Léonor Fini, Alechinsky, Corneille, César et des centaines d’autres aquarellistes, pastellistes, graveurs, imprimeurs et calligraphes.
Promotion et diffusion
Noëlle et Georges assuraient eux-mêmes la livraison de leur production sur Paris, effectuant l’aller-retour dans la même journée pour se remettre au travail sitôt rentrés au Moulin. Passionnés, il n’était pas rare qu’ils travaillent du lundi au dimanche. L’un des souvenirs que raconte Noëlle encore aujourd’hui avec émotion, c’est, lors d’un voyage aux États-Unis, la visite d’un magasin de quatre étages consacrés aux beaux-arts, à San Francisco. Une grande partie du quatrième était consacrée au papier à la main du Moulin de Larroque. Au-dessus des tiroirs dans lesquels était rangée toute la collection des papiers d’art, trônait, en grand format, cette photo bien connue de Georges soulevant une forme pleine de pâte à égoutter en vue de former la feuille. L’étonnement du personnel du magasin découvrant en chair en os le personnage barbu qu’il ne connaissait qu’en poster aurait mérité une photo !
Un marché de l’art en crise
Au cours des années 1990, le marché de l’art s’effondre. Une forte concurrence arrive des pays de l’Est… En 1992, un incendie ravage le Moulin de Pombié. Dans ce contexte, le dépôt de bilan de la SARL Moulin de Larroque devient inévitable. Il survint en 1996.
En 2009, le Moulin de Larroque passe sous la direction de l’Écossais Duncan Kilgour. La production s’oriente alors vers le packaging de luxe afin d’assurer principalement la fabrication des emballages de parfums créés par Prudence Kilgour, son épouse. Quatre salariés, dont deux papetiers, continuent à assurer la fabrication des papiers d’art du Moulin de Larroque. Ayant accompagné Georges depuis plus de 30 ans, le maître papetier des lieux, Patrick, poursuit l’activité avec la même exigence de qualité. On peut dire que la transmission du savoir-faire s’est effectuée « dans les règles de l’Art ».
Une reconnaissance méritée
En 2010, le Moulin de Larroque s’est vu attribuer par le ministère de l’Économie le label « Entreprise du Patrimoine Vivant » qui distingue les savoir-faire d’excellence.
Le Moulin de Larroque présente un tel intérêt historique, architectural et artistique, que M. le Préfet de la Région Aquitaine a arrêté, le 29 novembre 2013, son inscription au titre des Monuments Historiques (la totalité du moulin, l’ensemble du matériel participant à la fabrication du papier, le bâtiment de l’Étendoir et le bief appartenant à Mme Noëlle Duchêne).
« Larroque » et le village de Couze et Saint Front
Il revient à Georges Duchêne le mérite d’avoir apporté au village de Couze une renommée internationale liée à la fabrication d’un papier d’Art de qualité exceptionnelle.
La visite du moulin de Larroque est incontournable. Pénétrer le moulin c’est retrouver d’emblée l’odeur caractéristique du chiffon humide, ingrédient fondamental de la célèbre pâte à papier. Le regard à peine posé, l’histoire est déjà écrite. Le portrait du maître papetier nous la raconte.
La pâte se débarrasse de l’eau sur la forme pendant que le maître, au geste sûr, accomplit sa tache.
Tout est dit…
Des mains de cet homme, de son énergie et de son rapport à la matière naquit le papier d’Art. Rugueux, Georges Duchêne l’était, surtout lorsqu’il abordait le désintérêt des « gens d’ici » pour son savoir-faire. Pourtant, cet homme à forte personnalité mériterait, à l’évidence, une reconnaissance à la hauteur de son investissement…
La restauration des bâtiments, la remise en route des machines lui ont demandé acharnement et compétences. Le résultat est bien là, à la mesure de son engagement et de son talent.
Lorsque, mis en confiance, l’homme s’ouvrait à la conversation, intarissable sur le sujet du papier et de sa fabrication, ce passionné n’était point avare d’explications, bien au contraire. Le ph neutre de l’eau de la rivière Couze, il en parlait mieux que personne. Quant aux papiers spéciaux issus de sa fabrication, ils séduisent aujourd’hui encore le plus grand nombre à travers le monde entier.
Solitaire, comme tous ceux dont la passion suffit à enrichir la vie, on retient de lui sa discrétion. Son empreinte est définitivement gravée dans ce lieu… un lieu qu’il a su reconquérir et mener à l’apogée de son art.