Pendant des siècles, les vins de Domme comptaient parmi les grands vins du sud-ouest. Situé en Périgord noir, sur les coteaux du Céou (un charmant et capricieux affluent de la Dordogne), à une altitude s’échelonnant entre deux et trois cents mètres, le vignoble du Pays de Domme, avec ses 2 700 hectares, était aussi important que celui du Bergeracois… jusqu’à ce que la crise du phylloxéra mette un terme, presque définitif, à toute activité viticole dans la région. Mais c’était sans compter sur la ténacité de passionnés qui, depuis peu, font revivre une tradition viticole séculaire !
L’appellation « Vins de Domme » vient du fait que tonneaux et futailles étaient embarqués en gabare sur la rivière Dordogne, aux ports de Castelnaud et la Roque-Gageac, mais surtout au port de Domme pour la descente vers Bordeaux.
« Le port de Domme est très beau. Il s’y fait un commerce considérable en vin pour la descente, ainsi que pour beaucoup d’autres marchandises… Le port de Castelnaud est très fréquenté. Les vins de toutes les communes environnantes sont très bons pour la descente ; c’est particulièrement de ce port qu’il s’en vend une très grande quantité pour être embarqué. » — Rapport de l’ingénieur Henri, juillet 1798.
L’histoire des Vins de Domme
L’histoire du vignoble dans la partie méridionale du Périgord remonte à l’époque gallo-romaine.
Toutefois, il est probable que la vigne des hauts pays du Périgord fut introduite par les moines cisterciens installés à Cadouin, dans la forêt de la Bessède, dont l’abbaye fut mise en chantier en 1118. Ces moines ont lancé une vaste entreprise de défrichements et de transformation du pays pour qu’il soit acquis à l’agriculture. Chaque paysan possédait sa parcelle de vigne. (1)
À partir du XIIIe siècle, un droit est perçu à l’entrée de la ville de Domme pour l’huile et le vin. En 1260, le comte de Toulouse perçoit la « vinée » sur certains territoires en Pays Dommois. (2)
Au XVe siècle, les minutes des notaires à Domme et Sarlat contiennent un certain nombre d’actes divers faisant état de parcelles de vignes. C’est ainsi que pour la période de 1454 à 1483, on dispose des minutes du notaire sarladais Plamon. Signalons, par exemple, des vignes situées dans l’enceinte de la bastide de Domme (près du chemin allant de l’église au château du roi (1445), sur le chemin de la porte del Bos et celui allant à la Barbacane, sur le Capiol), non loin de la Font de Sirgon, en amont du bourg de Daglan (1456), à Saint-Pompon, à Montalieu (1457), sur la paroisse de Feyrac (1456), entre Castelnaud et Veyrine (1457), à Saint-Laurent (vignes du Mas du Paradis, à la Pomarède, sur le chemin allant à la Gardelle, entre Saint-Laurent et Julhac)… En 1456, Jean de Vielmont, seigneur prieur de Bouzic, passe un contrat dans lequel il se réserve une vigne de 40 journaux. (3)
À partir du XVIe siècle, la viticulture prend de plus en plus d’ampleur. Des vignes, achetées par Maître Antoine Vernassal, sont signalées à Florimont en 1505, du côté de Nadalie de Bouzique (1544), Domme, la plaine de Born (Roqueteulière), Cénac (Sainte-catherine, Tornapica, Rodomioule en 1532, Monbette, Bacas,…). Les terrains de Costecalve, Sibeaumont, Montalieu, Montmirail, Le Peyruzel, Paulhiac ou Mas de Cause produisaient des vins de grande qualité, qui étaient, dit-on, servis à la Cour du Roi. Les vins blancs étaient particulièrement réputés. Les meilleurs vins étaient transportés vers Bordeaux, par les gabariers de la Dordogne, au départ des ports de Domme et Castelnaud.
Au XVIIIe siècle, la vigne prend un tel essor qu’elle devient quasiment une monoculture. De nouvelles parcelles sont référencées dans la région. C’est sans doute à cette époque que les plus fortes pentes sont conquises (y compris les ravins, les raysses), et qu’apparaissent massivement les terrasses, les épierrements, les cabanes en pierre sèche. La carte de Pierre Belleyme, ingénieur géographe du roi Louis XV, plus connue sous le nom de Carte de Belleyme, signale des étendues de vigne pratiquement aussi importantes que les superficies forestières. On trouve environ 400 contrats viticoles en Pays de Domme ce qui assure la prospérité de la région. Les vins sont expédiés vers l’Angleterre et l’Europe du Nord. Les Bordelais ne voient pas d’un très bon œil cette concurrence. Ils dressent bon nombre d’obstacles à ce commerce. Tant et si bien que les producteurs du Pays de Domme intentent un procès aux échevins de Bordeaux, le 31 janvier 1773. Les communautés des diverses paroisses du pays dommois adhérèrent à cette action, notamment Daglan, Saint-Cybranet, Saint-Martial… Le Conseil d’État donne tort aux autorités bordelaises.
La première moitié du XIXe siècle est la plus prospère. Vers 1835 dans l’enquête de Cyprien Brard, ingénieur des mines, plus de 35 cépages sont cités. Les principaux sont les suivants : le Pied de Perdrix, le Sauvignon (blanc), le Fer, le Boucher, le Merlot. C’est une période prospère, où le moindre lopin de terre est cultivé. Le vignoble de Domme est le deuxième de Dordogne, après Bergerac, avec 2 700 ha de vignes.
«…vers Domme, Belvès et Monpazier, les vins sont très colorés et se rapprochent beaucoup de ceux de Cahors. On les envoie à Libourne, Bordeaux et même dans le nord ; ils servent à couper les vins légers et moins chargés en couleur » — André de Fayolle, début du XIXe siècle. (4)
L’enquête de Cyprien Brard (1835), signale que dans l’arrondissement de Sarlat, il n’y a de vin très renommé que celui de Domme. Dans l’un des trente-deux volumes de son œuvre monumentale consacrée à l’inventaire des communes du Périgord à la fin du XIXe siècle, « L’ancien et le nouveau Périgord », le chamoine Hippolyte Brugière, signale cinq communes du canton de Domme où le vin figure dans la liste des principales productions : Cénac-et-Saint-Vivien, Daglan, Domme, Nabirat et Veyrines-de-Domme. Concernant Nabirat, on notera le commentaire suivant : « Les vignes produisaient avant l’invasion du phylloxéra d’excellents vins. ». (3)
Les vins de Domme entraient dans la composition des grands crus. Ils étaient servis à la cour du Roi et partaient pour l’Angleterre, l’Europe du Nord, la Cour de Russie, et même l’Asie ! À propos de cette dernière destination, on sait en effet que, de 1865 à 1868, plusieurs expéditions sont faites sur Saïgon par M. Taillefer de Domme et M. Mercier de Saint-Cybranet.
La crise du phylloxéra et le déclin des Vins de Domme
En Périgord, les années 1870-1890 sont désastreuses, comme dans bon nombre de régions viticoles françaises. C’est plus précisément en 1879 que la zone géographique du Périgord et de la bordure ouest du Massif Central est touchée par la crise phylloxérique. Les viticulteurs sont ruinés, en quelques années seulement. En Dordogne, le vignoble passe rapidement de 107 000 ha à 21 800 ha. C’est la quasi-disparition de tout le vignoble en Sarladais, Pays de Domme compris. Ce vignoble qui avait survécu à la Guerre de Cent Ans, aux épidémies de peste des XIVe et XVe siècles, ce vignoble qui s’était développé au point de se transformer en quasi-monoculture ne résista pas à la crise du Phylloxéra. De plus, les terribles orages de 1900 qui ravinent toutes les terrasses de cultures à Daglan, déciment en partie les vignobles. Finalement, seules de petites vignes – les vignottes – subsistèrent encore çà et là pour quelques décennies, et uniquement pour la consommation locale.
Si la région de Bergerac a pu se donner les moyens de renouveler son vignoble sur porte-greffe américain, plusieurs facteurs défavorables firent échouer les tentatives de reconstitution du vignoble. Signalons notamment son trop grand éloignement par rapport au négoce bordelais, le fait qu’un très grand nombre de paysans ruinés soient obligés de s’exiler dans les villes (voire l’Amérique latine), et pour finir la grande ponction en hommes opérée par la guerre de 1914–1918. Les paysans épargnés par la Grande Guerre ont dû s’éparpiller sur d’autres productions pour survivre, notamment le tabac. Les savoir-faire traditionnels se sont perdus au fil des générations successives. C’est ainsi que ce vignoble qui était, au XIXe siècle, aussi vaste que celui de Bergerac, s’est réduit comme peau de chagrin.
En 1960, le vignoble de Domme ne comptait plus que 540 ha. Les cultures du tabac et du maïs ainsi que l’élevage reléguèrent la production de vin à la consommation familiale. Il n’y avait plus d’économie viticole. En 1985, il ne restait plus que 90 ha de vignes sur tout le territoire. De fait, le phylloxéra mit fin à six siècles d’une tradition viticole héritée des cisterciens.
Le renouveau des Vins de Domme
En 1978, Pierre Soulillou, instituteur agricole à la retraite, parle de relancer la vigne en Pays de Domme. Quinze ans plus tard, en 1993, une association des Amis du Vin du Pays de Domme, réunissant des élus et des habitants, entreprend de redonner vie au vignoble avec pour objectif l’implantation d’une vigne expérimentale. Voici les dates clés de ce renouveau :- En 1994, une petite parcelle (0 ha 50), expérimentale, est plantée à l’initiative de Germinal Peiro (député de la Dordogne, vice-président du Conseil Général et Conseiller Général du canton de Domme), des techniciens de l’agriculture comme Jean-Marie Laval et les œnologues du CIVRB, MM Pierre Guérin et Régis Lansade.
- Dès 1995, deux viticulteurs rejoignent le projet dont un jeune en phase d’installation.
- En 1996, ce sont les premières vendanges. La première vinification s’effectua dans une grange mise à disposition du groupe, et dans du matériel acquis par la CUMA locale.
- En 1977, la Coopérative des vignerons des coteaux du Céou est créée, sous la présidence de Bernard Manière.
- En 1999, un superbe chai est construit à Florimont-Gaumier au lieu-dit Moncalou par la toute jeune Communauté de Communes du Canton de Domme.
- En 2000, on compte 15 hectares de vignes plantées.
- En 2005, des cépages blancs sont plantés, Chardonnay, Sauvignon.
- En 2009 et 2010, les plantations reprennent. La cave coopérative lance un appel pressant à la plantation de nouvelles vignes et à l’installation de jeunes vignerons.
- Le 31 décembre 2011, le label européen IGP (Indication Géographique Protégée) est attribué aux vins de Domme, sous dénomination « Vin de Domme », auparavant Vin de Pays, regroupant les 14 communes du Canton de Domme et deux communes riveraines, Campagnac-les-Quercy et Salviac (département du Lot). Il possède également la mention « zone ». (5)
Aujourd’hui, 100 ans après sa disparition, le vignoble du Pays de Domme couvre une superficie de 21 ha, sur sol argilo-calcaire superficiel, issu d’une roche mère calcaire, appartenant aux étages du « Kimméridgien et du Portlandien » (Jurassique supérieur). (6)
Le cahier des charges de la production prévoit 3500 à 4000 pieds à l’hectare avec un rendement maxi de 60 hl/ha ( les rendements moyens tournent autour de 45 hl/ha). Les cépages utilisés sont le Merlot (53%), le Cabernet Franc (36%), le Malbec (6%), Chardonnay (4%), le Sémillon (1%) et le Cot (le cépage emblématique de l’appellation Cahors qui apporte couleur et tanins). Les vendanges sont manuelles et mécaniques (50/50). En optant pour des cépages merlot et cabernet franc, et en recourant à des méthodes traditionnelles de vinification, les viticulteurs de Domme ont fait le choix de la qualité.
Les blancs sont vinifiés et élevés en barriques neuves de 400 litres. Les rosés sont issus d’un pressurage direct, vinifiés et élevés en cuves INOX. Pour les rouges, la cuvée Périgord Noir est la seule à être élevée en fût de chêne. (6)
Il revient sur le devant de la scène avec plusieurs médailles au concours général de Paris. Ils jouissent également d’une certaine reconnaissance puisque le Florimont, le rosé, le Tradition et le Périgord noir, sont tous présents au restaurant de l’Assemblée nationale.
Au même titre que le foie-gras, la truffe, le cèpe ou la noix, le Vin de Domme fait désormais partie des produits de terroir qui contribuent à la renommée de la gastronomique périgourdine.
Sources et notes :
- (1) Gens et métiers du Périgord, Éditions Royer – Mémoire de Terroir, Bernard Stephan, Toulouse 2001..
- (2) Les Vins de Bergerac, Découvrir le Périgord Pourpre, Michel Delpon, Éditions Féret.
- (3) Journal (ou ouvrée) : cette ancienne unité de mesure surface de terre correspond à une surface labourable par un homme en un jour, soit environ 34.284 ares. En fait, la valeur du journal varie suivant les provinces.
- (4) Le canton de Domme à la fin du XIXe siècle, d’après le manuscrit inédit L’ancien et le nouveau Périgord d’Hippolyte Brugière, © Société d’Art et Histoire de Sarlat et du Périgord Noir, 2013.
- (5) La mention "Zone" signifie que l’aire d’appellation s’étend en règle générale sur une zone plus petite que l’IGP de département, regroupant par exemple la surface d’une entité administrative d’un canton.
- (6) Présentation de la cave des Vins de Domme et son vignoble sur le site officiel www.vindedomme.fr.
- Vue panoramique sur la vallée de la Dordogne depuis la promenade de la Barre, à Domme, dans le département de la Dordogne (France), par Berrucomons, (Travail personnel), via Wikimedia Commons.
- La rivière Dordogne – belvédère de Domme en Dordogne, par Manfred Heyde (Travail personnel), via Wikimedia Commons.