À la fin du XIXe siècle, le tragédien Mounet-Sully fit de l’ancienne ferme fortifiée de Garrigues, à Bergerac, une folie néo-romantique, un château baroque un rien gothique, conçu pour les plaisirs de recevoir. C’est une œuvre unique, fruit de l’imagination du tragédien et du trait de l’architecte Samuel Henriquet.
Jean-Sully Mounet dit Mounet-Sully
Mounet Sully (1841-1916) n’avait rien du commun des mortels. Non seulement il fut un acteur hors norme, mais il donna en représentation sa vie quotidienne au point de faire construire un château composite, un poème d’architecture au plus près de la mise en scène d’un théâtre pour en faire sa villégiature des plaisirs, au domaine de Garrigues, près de Bergerac, route de Mussidan.
Déjà rêveur au temps de ses humanités, le jeune Jean-Sully, natif de Bergerac d’une famille protestante, ne trouva sa voie que tardivement. Sa mère ne voulait-elle pas d’ailleurs en faire un pasteur ?
Finalement, c’est la scène qui révèlera le jeune Bergeracois. Il va être le meilleur serviteur du répertoire tragique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ne l’a-t-on pas qualifié alors de « géant tragique »… Il sera 297e sociétaire de la Comédie-Française pour finir doyen de la vénérable maison. C’est un autre périgourdin, Hilarion Ballande, qui possédait le château de La Finou à Sainte-Colombe, près de Lalinde, qui sera son professeur de diction ! Le monde est petit, le Périgord est partout…
Trois campagnes de construction
L’acteur à la prestance d’exception qui, dit-on, avait une voix de stentor, aimait sa thébaïde de Dordogne. Il voulut en faire un lieu privilégié pour y recevoir et donner des fêtes. Le château de Garrigues était alors l’héritage de deux campagnes de constructions, une première ferme fortifiée du XVIe siècle, un second ensemble du XVIIIe. Mounet-Sully allait en faire ce castel aux tentations de villa à la fois baroque, gothique, un rien médiévale, mêlant le néo-romantisme et l’esprit du théâtre tel qu’on le voit encore aujourd’hui.
Il fit appel à un architecte local à la mode, Samuel Henriquet, un chantre du néo-gothique et des folies médiévales. Il est vrai qu’Henriquet s’était distingué en construisant plusieurs villas de style néo-gothique dans la ville de Vichy, dans le cadre des grands chantiers de la nouvelle cité thermale des rives de l’Allier initiée par Napoléon III et l’impératrice Eugénie, adeptes des cures en Auvergne.
Un jeu de piste dans un décor
Ainsi va se transformer la maison avec notamment les colombages qui confèrent à la tour cernée d’un chemin de ronde son esprit « carolingien », un cloître néo-roman entourant alors un patio fleuri, plusieurs appartements que l’on rejoint par des escaliers étroits et des coursives, sorte de labyrinthe des surprises, plusieurs salles à manger et un véritable théâtre ouvrant sur un vaste salon qui fut probablement la salle des grandes fêtes que donnait Mounet-Sully. Sans oublier les décors, modillons, sculptures dont, croit-on, un chapiteau né du ciseau de Rodin.
Mais le maître des lieux mit un soin particulier à sa chambre, en haut de la tour carolingienne, décorée d’une très longue fresque murale le mettant en scène dans ses rôles principaux. Il avait aussi un goût prononcé pour les allégories, les signes. C’est ainsi que cette maison est un véritable jeu d’orientation balisé de symboles maçonniques.
La retraite des fêtes de fin d’été
« Il a voulu ce château comme une pièce de théâtre, on retrouve dans l’architecture intérieure des décors qui rappellent les pièces dans lesquelles il avait joué », commente Laurent Peslerbe, l’actuel propriétaire qui s’attache à faire revivre cette maison depuis plus de quarante ans. En remeublant notamment, en restituant l’esprit du lieu, en retrouvant même un grand miroir, contemporain de Mounet-Sully, parti chez un antiquaire et revenu dans son lieu d’origine.
C’est évidemment un patrimoine artistique mais aussi une mémoire qui revivent ici. Mounet-Sully fut non seulement le plus grand acteur hugolien, mais il fut l’animateur d’une véritable bande d’artistes, le gratin parisien, qui faisait le voyage de Bergerac, notamment chaque année au mois de septembre. Il reçut ici beaucoup de parnassiens, quelques-uns des noms prestigieux du théâtre français et des figures féminines telles Sarah Bernhardt ou Isadora Duncan.
L’acteur aimait cette retraite, l’échappatoire des scènes parisiennes cachée dans un parc où il avait fait planter de nombreux palmiers. Un exotisme qui faisait de cet endroit son Arcadie baroque et excentrique.
Texte et photos Bernard Stéphan