Jeanne d’Albret, mariage forcé à la cour de France

Mariage forcé de Jeanne d’Albret avec Guillaume de Clèves

La petite Jeanne d’Albret qui sera plus tard la mère d’Henri IV(1) se retrouve mariée à 12 ans à un prince allemand, Guillaume de Clèves(2), par la volonté de son oncle François 1er (3), contre son gré et celui de ses parents.

Il y a 450 ans de cela, en 1568, Jeanne d’Albret, alors reine de Navarre, prend la tête du mouvement protestant et se rend à La Rochelle, accompagnée du prince Henri de Navarre, son fils âgé de 15 ans, futur roi Henri IV. La ville de Bergerac est l’une des étapes de ce voyage à haut risque.

Mais ceci est une autre histoire… Intéressons-nous ici à la jeunesse de Jeanne d’Albret, née le 16 novembre 1528 au château de Saint-Germain-en-Laye, et à son mariage forcé avec le duc de Clèves, à l’âge de douze ans.

Un mariage forcé

On sait bien que les « mariages d’État » étaient le destin des princesses de son rang, constituant le gage charnel en conclusion d’une alliance ou d’avancées politiques. Jeanne qui le savait l’avait accepté très tôt. Elle avait compris à 10 ans l’importance attachée à sa petite personne lors d’un passage de l’empereur Charles Quint(4) à Loches, visitant son oncle, en 1539 ; séjour à la suite duquel l’empereur qui avait apprécié « le bel esprit » de la fillette avait demandé sa main pour son fils Philippe, proposant à François, en cadeau, le duché de Milan que celui-ci convoitait obstinément.

Mais le roi avait d’autres projets et n’était pas prêt à laisser à l’Espagne le passage des Pyrénées (Jeanne était infante de Navarre), ouvrant la voie aux invasions de la France méridionale. Alors tant pis pour le Milanais. François répondit à l’offre impériale par le mariage de Jeanne avec le Duc de Clèves, prince allemand, beau-frère de Henri VIII et membre de la Ligue des princes-électeurs luthériens opposés à Charles Quint au sujet du territoire Bourguignon. Or le Duc de Bourgogne d’alors était Charles Quint dont l’obsession était de reconstituer l’unité de cette province héritée de Charles le Téméraire. Clèves avait, de plus, une puissante armée. Ce mariage franco-allemand marquait la fin d’une période d’accalmie entre le roi et l’empereur et la perspective de la guerre entre luthériens et le très catholique Charles Quint.

Qu’en pensaient les parents de Jeanne ?

La sœur du roi avait toujours soutenu son frère mais Henri d’Albret avait lui aussi une idée fixe : recouvrer la partie de Navarre enlevée par l’Espagne à son grand-père. Or son beau-frère se désintéressait de la question. Donc, Henri, opposé à la ligue contre l’empereur, jouait sur l’espagnol et sa diplomatie matrimoniale. Il avait même envisagé l’enlèvement de Jeanne qui résidait au château de Plessis-les-Tours sous la garde du roi, justement pour éviter cela.

Jeanne n’apprit le projet de son oncle que le jour où il lui en fit part, et n’y fit d’abord aucune objection. Mais, à la suite de la visite d’un seigneur béarnais qui lui expliqua que les États béarnais souhaitant un mariage français, s’opposaient à ce mariage et que leur coutume leur en donnait le pouvoir, la princesse décida de refuser cette alliance à laquelle s’opposaient ses parents et ses États.

Le 9 mai 1541, il s’ensuivit une scène violente entre l’oncle et sa nièce. Confrontée à cet homme puissant devant lequel chacun s’inclinait, la frêle petite Jeanne lui résista de toute ses forces : désormais solidaire de ses parents et de la maison d’Albret, elle ne devait plus jamais s’en départir.

Le mariage simulé

En dépit de son refus, la volonté du roi de France allait évidemment l’emporter, et le 9 juin 1541 le mariage fut somptueux, même si Jeanne dut être portée devant l’autel auquel elle refusait de se présenter. Le soir du 14, Clèves et la princesse en chemise furent conduits au lit du roi tandis que celui-ci conversait dans la pièce avec quelques intimes. Puis on ramena Jeanne chez elle, intacte évidemment, et Clèves termina la soirée avec François. Le simulacre était terminé.

Jeanne retourna à Plessis-les-Tours tandis que Clèves guerroyait au nord-est de la Bourgogne sans l’aide du roi qui assiégeait Perpignan. La guerre durait depuis le 12 juillet, Jeanne était pressée de toute part de rejoindre son mari quand une nouvelle stupéfiante lui parvint en septembre : le duc de Clèves était battu à plate couture et ses États soumis à l’empereur. François 1er se retrouvait seul devant son adversaire.

Jeanne exultait, elle avait gagné. Le roi lui laissait carte blanche pour décider du sort à réserver au vaincu. Le 12 octobre 1545, la petite princesse mariée par raison d’État à 12 ans se retrouvait libérée de cette alliance qui n’avait servi à rien, par annulation du pape Paul III. Elle avait 17 ans. L’infant Philippe d’Espagne perdait sa femme au même moment. Mais Jeanne désormais maîtresse de sa vie avait d’autres projets en la personne séduisante et digne d’elle du prince du sang Antoine de Bourbon. Mariage d’amour qui donna Henri 1er à la France.

Régine Simonet


Notes :

  • (1) Henri IV (roi de France), Wikipedia.
  • (2) Guillaume de Clèves, Wikipedia. Guillaume V de Clèves, dit « Guillaume le Riche » (Wilhelm der Reiche), né le 28 juillet 1516 à Düsseldorf et mort le 5 janvier 1592 dans la même ville, est un aristocrate allemand, converti au luthéranisme, de 1539 à 1592 duc de Clèves et comte de la Marck, duc de Juliers (Guillaume IX), de Berg (Guillaume IV) et comte de Ravensberg ; il a aussi été duc de Gueldre et comte de Zutphen de 1539 à 1543. Il tient, en général à Düsseldorf, une cour brillante où sont invités des humanistes, comme Érasme et Jean Wier, le cartographe Gérard Mercator et le savant Pighius voire des protestants. Des fêtes fastueuses y sont données.
  •  (3) François Ier (roi de France), Wikipedia, Wikipedia.
  •  (4) Charles Quint, Wikipedia, Wikipedia. Charles de Habsbourg ou Charles V, couramment Charles Quint3,4, né le 24 février 1500 à Gand (comté de Flandre5) et mort le 21 septembre 1558 apparaît comme le dernier empereur qui ait souhaité réaliser le rêve carolingien d’un empire à la tête de la chrétienté unie. Cette volonté d’unité chrétienne face à la progression de l’Empire ottoman dans les Balkans et en Méditerranée a été systématiquement combattue par les rois de France François Ier et Henri II, qui recherchent volontiers l’alliance turque, et remise en cause par la Réforme protestante, initiée par Martin Luther à partir de 1517. A ces problèmes qui se posent pendant tout son règne, s’ajoutent des révoltes en Castille, dans le Saint-Empire, en Flandre et en Brabant.
Crédit Photos :

  • Jeanne d’Albret, Leben a journal of Reformation life.
  • Guillaume de Clèves le Riche, via Wikimedia Commons.
  • Jeanne d’Albret, 1570, musée Condé, château de Chantilly.

Cet article a été publié dans le numéro 13 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer en consultant la boutique du site…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *