Le roi Édouard 1er d’Angleterre établit à Molières la « Bastida Santis Johannis de Molieriis ». Jean de Grailly, son sénéchal pour l’Aquitaine en fut le bâtisseur, entre 1273 et la fin du XIIIe siècle. De style « gothique Plantagenet » son architecture est celle de presque toutes les églises des bastides de notre région.
Ce village fut en grande partie détruit lors de la guerre de Cent Ans et des conflits religieux du XVIe siècle. La Charte fut octroyée dans la quinzième année du règne d’Édouard qui était alors à Agen (novembre 1284). Elle fut confirmée par François Ier et par Henri II, par lettres patentes de 1533 et 1551.
L’église fortifiée de Molières est un vaste édifice rectangulaire de 32 mètres sur 12. Construit au XIIIe siècle, il a subi de multiples attaques, des hommes ou du temps. En 1580, les huguenots avec le capitaine Chans de Monsac y mettent le feu. Puis suivront de très nombreuses campagnes de restauration voire de reconstruction, du XVIIIe au XIXe siècle.
De secrets en secrets…
Tout d’abord, un élément de fortification que personne ne peut soupçonner. Cet édifice est conçu pour être une forteresse car la bastide, à l’origine, n’est protégée par aucune défense. Ce qui peut expliquer la grande taille de ce bâtiment. À l’origine, deux tours s’élèvent sur la façade, une au nord, l’actuel clocher, et une au sud dont la partie haute a disparu. Ces tours comptaient des chambres dans lesquelles on entreposait de la nourriture en cas d’attaque, car l’église servait de refuge à la population. Dans la tour sud, on accède au premier étage grâce à une échelle (comme dans les donjons) pour parvenir à une salle dans laquelle s’ouvre une petite porte : la porte du premier secret ! Un escalier étroit, très raide, aménagé dans l’épaisseur du mur de façade ouest, passe entre les deux vitraux de l’oculus ouvert au-dessus du portail (oculus créé au XIXe siècle). Il conduit discrètement à l’autre tour, celle qui sert de clocher maintenant. Ce passage secret servait aux défenseurs de l’édifice pour se déplacer, sans se faire remarquer, d’une tour à l’autre.
Un texte d’un curé de Molières révèle, au XIXe siècle, un autre secret également bien gardé : l’existence d’un puits dont on ne connaît pas exactement l’emplacement. Il fallait bien que les habitants réfugiés dans l’église en cas d’attaque puissent boire. Selon ses dires, il serait fermé. Cette présence n’est pas étonnante car, à Beaumont, église à laquelle Molières ressemble fort, il y a également un puits, réouvert aujourd’hui, que l’on découvre sous le porche d’entrée.
Le clocher, véritable tour de guet, d’une hauteur impressionnante, nous livre lui aussi un secret. C’est en levant la tête, muni d’une puissante torche, que s’offre aux regards une superbe croisée d’ogives, de l’âge de la construction de l’église. C’est une des rares partie de l’édifice encore d’époque portant, en clef de voûte, une face rustique, simple, mais tellement authentique. Au sommet du clocher, si haut que l’on pouvait voir l’ennemi de très loin, on peut se prendre à imaginer une série de hourds qui permettaient de défendre l’édifice… On y distingue en effet des traces de trous de boulin qui permettaient de placer des poutres supportant un plancher débordant du mur.
Mais les secrets ne s’arrêtent pas là. Avant la construction de la bastide, un village, attesté au XIIe siècle, existait près du cimetière actuel. Il avait le même patron que la paroisse actuelle : Saint-Jean de Molières et il y avait une église, bien entendu. Elle est signalée comme édifice en ruine sur la carte de Belleyme. Dans l’église actuelle, près de la porte nord (la porte des morts), il y a un baptistère octogonal en calcaire, cassé, provenant de l’ancienne église disparue. On dit même que l’actuel bénitier provient lui aussi (autre secret) de cet ancien édifice.
À propos de porte, au pied de celle du sud, quelques dalles usées, d’origine, n’ont jamais été remplacées, mais… c’est un secret !
Quels secrets encore ?
Il y avait un cimetière, totalement disparu sur la façade nord de l’église, auquel on accédait par la « porte des morts », la porte nord. Les registres des décès dans lesquels les prêtres indiquent où sont enterrés les défunts indiquent « le cimetière de l’église de la bastide », ou alors « dans le cimetière Saint-Jean » ou « de l’ancienne église ».Mais il y a mieux et plus secret encore, à propos des morts. Des dizaines de personnes sont enterrées dans l’église. Le lieu est précisé : au pied du clocher, devant le confessionnal, au pied de l’évangile, etc. Il fallait payer 12 livres pour être enterré à l’intérieur de l’église.
Les vitraux, quant à eux, ne sont pas ordinaires. Ils racontent la vie de la Vierge Marie et ont été réalisés au XIXe siècle par le maître verrier bordelais Henri Feur (1) qui fut l’élève, le collaborateur puis le successeur, en 1876, du grand Joseph Villiet (2) (1823–1877). Il exerça son art sous la direction du Cardinal Donnet à Bordeaux. On remarque la richesse des couleurs, en particulier des verts, le souci du drapé des vêtements, les belles attitudes et la quête du détail ainsi que la signature d’Henri Feur. C’est ce même maître verrier qui a réalisé les verrières de l’église Saint-Pierre à Bordeaux.
Questions sans réponse…
Et puis, un secret que je ne peux pas dévoiler ! En général, dans les villages médiévaux, l’église est centrale. Dans le cas des bastides, il est très rare que l’église soit directement sur la place du village. Les historiens pensent que ce sont les fondateurs (rois ou grands seigneurs) qui ont éloigné l’édifice religieux pour donner la primauté au pouvoir royal sur le pouvoir religieux. Mais dans le cas de Molières, l’emplacement de l’église est très éloigné, à cheval sur une forte déclivité, ce qui nécessite sept marches pour entrer alors que le chœur est bâti sur le vide ! De plus, la façade n’est pas dans l’alignement des autres bâtiments de la rue. L’église est dédiée à Notre-Dame de la Nativité dont la fête est le 8 septembre. Et pourtant, le soleil ne se lève pas à ce moment-là dans l’axe de l’église (même en tenant compte des changements de date avec la datation du Moyen Âge). Le constructeur n’a donc pas cherché l’orientation liée à la dédicace.
Alors, pourquoi le choix de cet emplacement pour l’église fortifiée de Molières ? Les bâtisseurs de la bastide avaient-ils négligé l’église ? Ont-ils eu une autre motivation? Ceci reste un secret que nous cherchons toujours à élucider ! Combien cette église cache-t-elle encore de secrets ? Sept siècles d’événements et d’avatars ont imprimé à jamais ce qui fut son histoire. De cet endroit cher à mon cœur qui sait si bien me parler de mes racines, je conterais encore moults secrets…
Texte et photos, Claire Veaux
Notes :
- (1) Henri Feur, né à Bordeaux, le 18 juillet 1837 et mort dans la même ville, le 18 mai 1926, est un maître-verrier français connu pour ses vitraux d’art. Il est le père du maître-verrier Marcel Feur. Henri Feur entre comme apprenti dans l’atelier de Joseph Villiet qui a ouvert en 1852. Il est son contremaître quand il pose en 1866 les vitraux de l’église Saint-Ferdinand de Bordeaux. Bien que les relations entre Joseph Villiet et Henri Feur aient été parfois difficiles, il s’est toujours présenté comme son élève. À la mort de Joseph Villiet, le 8 juillet 1877, il reprend son atelier quelques jours plus tard en signant avec sa veuve et ses enfants un contrat qui le déclare « propriétaire du nom, des cartons, des ustensiles et des documents nécessaires à la peinture sur verre ». Henri Feur va se retrouver dans un marché de vitraux pour les églises qui va diminuer car beaucoup ont déjà été pourvues de vitraux et face à des concurrents comme Gustave Pierre Dagrant, ancien élève de Villiet. Pour se rapprocher d’une clientèle potentielle, il devient membre de la Société des amis des arts de Bordeaux. Comme son maître Joseph Villiet, Henri Feur préfère travailler pour les églises plutôt que pour les particuliers. Par rapport à lui, le style d’Henri Feur se distingue par l’emploi du fond bleu uni ou paysager et la multiplication de détails dans les visages et les habits. Il est intervenu dans 19 églises des Landes. Entre 1891 et 1905, il a répondu à 62 commandes. En 1899, il a réalisé un cycle de 54 représentations de saints pour la nef moderne de l’église Saint-Louis-des-Chartrons, à Bordeaux. — D’après la page de Wikipedia consacrée à Henri Feur.
- (2) Joseph Villiet est un maître verrier français, né à Ébreuil (Allier) le 27 août 18231 et mort à Bordeaux le 9 juillet 1877. Entre 1852 et 1860, il aurait travaillé sur 150 églises et chapelles dans le Sud-Ouest. — Voir la page de Wikipedia consacrée à Joseph Villiet.
Crédit Photos :
- L’église Notre-Dame de la Nativité, Molières, vue extérieure, Claire Veaux.
- Entrée pavée, bénitier et passage secret, Notre-Dame de la Nativité, Molières, Dordogne, Claire Veaux.
- Vitraux de l’église Notre-Dame de la Nativité de Molières, Couronnement de la Vierge, By Mossot, via Wikimedia Commons.
- L’église Notre-Dame de la Nativité, Molières, Dordogne, By Père Igor, via Wikimedia Commons.
- Portail ouest de l’église Notre-Dame de la Nativité, Molières, Dordogne, By Père Igor, via Wikimedia Commons.
- Cuve baptismale de l’église Notre-Dame de la Nativité, Molières, Dordogne, By Pymouss, via Wikimedia Commons.