Architecture paysanne, sans architectes… et sans paysans !

Photo © Jacques Coustillas, canton de Villamblard, 1979.

En Périgord, l’architecture dite « paysanne » est considérée par beaucoup comme ayant un caractère pittoresque. Mais de quoi parle-t-on ? De constructions à usage agricole dispersées dans la campagne, parfois regroupées en hameaux, composées d’habitations et de bâtiments « techniques » (granges, étables, chais, séchoirs…)

D’abord, revenons en quelques mots sur l’organisation de la société rurale périgourdine dont ces bâtiments sont les témoins. Pour l’immense majorité, leur construction ne remonte pas au-delà du XIXe siècle, voire de la fin de ce siècle. Je ne parle pas des maisons de bourgs, parfois plus anciennes, ainsi que de certains moulins. La légende voudrait que ce soient les paysans eux-mêmes qui ont construit ces maisons remarquables de proportions, avec des charpentes géométriquement parfaites défiant les siècles et un goût très sûr quant au choix des matériaux, à faire se pâmer la rédactrice en chef de n’importe quelle revue de « déco ». Évidemment il n’en est rien !

Le principal mode d’exploitation de la terre en Périgord au XIXe siècle était le métayage avec, éventuellement, la toute petite propriété de quelques hectares, le plus souvent d’anciennes métairies rachetées par leur métayer. Le fermage était à cette époque quasiment inconnu en Périgord. Quelques paysans plus aisés, propriétaires exploitant eux-mêmes leurs terres, un ou deux par commune, complétaient le tableau. De grands domaines fonciers venaient de-ci de-là créer l’exception.

Les métairies appartenaient donc à des propriétaires terriens non paysans qui en tiraient tout ou partie de leurs revenus : bourgeoisie des villes et des bourgs, petite aristocratie. Ce sont eux, que nous appellerions aujourd’hui « investisseurs », qui les ont fait construire ou reconstruire sur leurs terres, chacune à la tête de quelques hectares permettant à une famille de vivre, ou plus exactement, de survivre. En effet, le métayer ou colon devait au propriétaire, en guise de loyer, le tiers et jusqu’à la moitié de sa production. Inutile de préciser que le turn over était très important.

Vers qui « l’investisseur » se tournait-il pour réaliser son projet ? Vers un maître-maçon, aujourd’hui nous dirions une entreprise, qui avait un savoir-faire issu de la tradition locale. Il n’y avait pas d’école, le métier était appris sur le tas et l’expérience se transmettait de père en fils. Ainsi, de chantier en chantier se répétaient les mêmes schémas que l’on adaptait à la demande du maître d’ouvrage. Quelques-uns avaient fait leur « tour de France » et avaient acquis le titre de « compagnon ». Dans ce cadre, ils avaient pu apprendre le tracé et travailler sur de grands chantiers. C’est pourquoi, les traditions ayant la vie dure, on peut voir en plein XIXe siècle des bâtiments qui semblent tout droit sortis du XVIIe, voire de la Renaissance. Bien entendu, jamais aucun architecte n’est intervenu dans ces opérations peu prestigieuses. Inconnu dans les campagnes, l’architecte se réservait pour de plus nobles tâches.

Ces métairies construites très simplement, la rentabilité de l’opération étant la seule finalité, constituent l’essentiel des constructions anciennes qui ponctuent les paysages périgourdins. Pour autant, il n’est pas rare de voir de beaux encadrements de portes, de belles fenêtres moulurées, quelques lucarnes à volutes dont le commanditaire, petit propriétaire exploitant, a voulu, par là, montrer son aisance, réalisant en quelque sorte le chef-d’œuvre de sa vie.

La typologie des maisons d’habitation et des bâtiments d’exploitation, souvent sous un seul toit, peut varier de la simple maison de journalier à la grosse métairie commandant plusieurs dizaines d’hectares. Mais elles ont toutes en commun ce même caractère qui fait que, voyant la photographie de l’une d’elles, nous pouvons la situer instantanément en Périgord. Les matériaux issus localement, les pentes de toits et les proportions générales se retrouvent d’un bout à l’autre du pays, avec quelques variantes, notamment dans les couvertures. Ainsi cohabitent les toits dits celtiques (pentus à tuiles plates) avec les toits méditerranéens (faible pente et tuiles romanes) et les toitures dites à la Mansart (combinant souvent les deux), sans oublier les lauzes du Périgord noir devenues rares sur les maisons paysannes.

Maintenant pourquoi ces bâtiments, isolés ou groupés, sont-ils toujours bien intégrés dans le paysage ? C’est même, peut-être, la principale raison du charme que nous leur trouvons. Revenons à notre « »investisseur ». Le Périgord étant souvent une région de causses pierreux où les bonnes terres sont rares et vitales, au sens propre du terme, il est évident qu’il ne va pas construire sa métairie n’importe où. Il recherchera un site qui n’empiètera pas sur les terres fertiles : souvent un affleurement rocheux, une bordure de bois, le replat d’un coteau… cet emplacement fera que, naturellement, l’ensemble s’inscrira dans la structure du paysage. Un ou deux tilleuls pour faire de l’ombre et cent cinquante ans plus tard, les métayers étant devenus rares, ce sera le coup de foudre assuré pour quelque citadin en quête de ruralité et d’« authenticité ».

Pour conclure, je n’ose imaginer ce que penseraient tous ces anciens « travailleurs de terre » qui ont connu la pauvreté, pour ne pas dire la misère, s’ils pouvaient voir ces résidences magnifiques, souvent très bien restaurées, dans lesquelles ils ont durement travaillé pour si peu… avec salon dans l’étable et piscine dans la basse-cour !

À ce propos, on peut écouter avec profit quelques textes de Michel Chadeuil et Daniel Chavaroche chantés, entre autres, par Peiraguda ou François Latournerie…

Texte et photos Jacques Coustillas, Architecte


Crédit Photos :

  • Jacques Coustillas.

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