Commarque, ou le sauvetage de la belle endormie

Le château de Commarque

Situés sur la commune des Eyzies-de-Tayac, le château de Commarque et son village en ruine, ont étés sauvés de l’oubli et d’une lente destruction naturelle, par Hubert de Commarque, lointain descendant des bâtisseurs de cette forteresse. Depuis 1962 il s’obstine, aux côtés de l’administration des Monuments Historiques et aujourd’hui de ses enfants, au sauvetage d’un fleuron multimillénaire du patrimoine du Périgord.

Tout ne se voit pas

Si la vallée de La Vézère est aujourd’hui considérée comme la « vallée de l’Homme », il n’en est pas moins des petites vallées avoisinantes. Sur l’ancienne commune de Sireuil, aujourd’hui dépendant des Eyzies de Tayac, le site de Commarque prend racine à l’intérieur même de la masse rocheuse qui sert de fondations aux édifice médiévaux. C’est en effet dans les anfractuosités calcaires de cette petite falaise que les premières traces d’occupation humaine sont révélées. Découverte en 1915 par le célèbre abbé Breuil et Pierre Paris, cette grotte révèle un cheval grandeur nature sculpté sur la paroi à l’époque magdalénienne (- 15 000 ans av. JC), comme de nombreuses autres représentations anthropomorphes.

Au-dessous de ce site habité par les hommes du paléolithique à l’exacte aplomb du donjon, se trouve la vallée de la Beune aujourd’hui classée au Patrimoine mondial, mais aussi Zone d’intérêt écologique, zone Natura 2000, et elle vient d’être classée Grand Site de France, comme l’est le Mont Saint-Michel. Ces nombreux classements qui permettent une préservation complète du site son compréhensibles par la richesse du lieu et des éléments subsistants de son occupation.

La naissance du castrum

C’est au XIIe siècle que l’histoire de Commarque débute par la présence d’une tour de bois, rapidement remplacée par un donjon de pierre. Ces premiers éléments de surveillance de la vallée sont dus à un abbé de Sarlat qui laissera son patronyme à la forteresse. Aux premières lueurs du siècle suivant, le site présente déjà la forme d’un castrum puisqu’une chapelle et des maisons-tours sont mentionnées lors de la donation du lieu aux Templiers par le chevalier Géraud de Commarque. A la dissolution de cet ordre, ce sont les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem qui prennent possession du site en y bâtissant le colossal donjon que nous voyons encore aujourd’hui. La commanderie vend la place à la famille de Beynac installée sur une rive de la Dordogne, dont une branche cadette établira une lignée en ces lieux. 

Peu à peu, le castrum de Commarque devient une coseigneurie puissante où se retrouvent les familles de la Chapelle, les Gondrix, les Escars et bien évidemment les Commarque et les Beynac. Chaque lignage possède sa propre bâtisse entourée de douves, et son propre accès. Au cours du XIVe siècle, les deux plus puissantes familles constituent par des acquisitions et des alliances, de véritables châtellenies. A cette période, les Beynac possèdent le château de Commarque, celui de Laussel sur le promontoire qui lui fait face de l’autre côté du vallon, ainsi que les justices de deux villages très proches, ceux de Sireuil et de Marquay. Les Commarque eux, prennent possession de toute la partie inférieure du castrum.

A la toute fin de ce rude XIVe siècle, au cœur de la guerre de Cent Ans, Pons de Beynac, seigneur de Commarque réalise par deux mariages successifs, des alliances d’une extrême importance agrandissant son emprise sur le Périgord Noir. Il convole en premières noces avec une cousine, Philippa de Beynac, dame du château du même nom, puis avec Magne de Castelnaud. Leur descendance écriera la suite de l’histoire du Périgord.

Le château de Laussel surplombant la vallée de la Beune, vus depuis le château de Commarque
Le château de Laussel surplombant la vallée de la Beune, vus depuis le château de Commarque © Florent Piednoir

L’arrêt de mort

Échauffé par le pouvoir local du système féodal, Geoffroy de Beynac signera le déclin du château de Commarque. Au cours des guerres de Religion tiraillant les familles de la région, les Beynac sont voués à la réforme et attaquent les repaires catholiques voisins, s’emparant même de Sarlat, furtivement… Pour rendre la monnaie de sa pièce, le parti du roi en Périgord mène une rude bataille aux portes de la forteresse de Commarque en 1569, et reprends la place aux huguenots. Afin de faire taire cette voix dangereuse, Charles IX décide de démanteler l’ensemble des bâtiments pour éradiquer tout esprit de révolte. C’est un Commarque qui se lève contre cette décision en faisant valoir ses droits de coseigneur. Le roi revient sur sa décision et permet ainsi à ce fleuron de dominer encore de nos jours de plus de 80 mètres, la paisible vallée de la Beune s’écoulant quelques kilomètres en aval dans la Vézère.

Dès le début du XVIe siècle, la forteresse est abandonnée pas à pas par les familles installées. Le moment est venu pour la nature de reprendre ses droits et d’engloutir un pan d’histoire sous une végétation dense durant plus de 400 ans.

Le château de Commarque par le peintre Lucien de Maleville
Le château de Commarque par le peintre Lucien de Maleville © Galerie Ars Pictura – Association Lucien de Maleville

Le sauvetage

Tel un navire englouti dont la proue se maintient hors de l’eau, le donjon crénelé de Commarque a vaincu les siècles. En 1956, le peintre Lucien de Maleville doit être un des derniers à représenter la forteresse emprise de sa gangue de végétation. L’artiste présente d’ailleurs sa toile au Salon des Artistes Français : signe que Commarque ressort de son long sommeil !

C’est en 1962 qu’un descendant de cette illustre maison décide de racheter le château échu dans une autre branche de la famille. Hubert de Commarque débute à ce moment le projet d’une vie et y embarquera par la suite toute sa famille. Il dégage le village de la végétation dont seuls quelques pignons dépassaient des dômes d’éboulis. Après plus de 50 ans de travaux méticuleux menés en lien avec l’administration des Monuments Historiques et des aides privés, le castrum et la forteresse sécurisée et restaurée ont livré des informations considérables aux historiens et archéologues sur l’organisation de la vie d’une place forte figée au début du XVIe siècle.

Ces décennies d’efforts et d’ouverture au public portent aujourd’hui leurs fruits, puisque les enfants du propriétaire ont repris les rênes de la maison de leurs ancêtres et la font à nouveau briller. 

Consécration, le Guide Vert Michelin a décerné sa 3e étoile au Château de Commarque en 2020.


Crédit Photos :

  • Photo de couverture : Château de Commarque, by Jochen Jahnke (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Le château de Laussel et la vallée de la Beune vus depuis le donjon de Commarque © Florent Piednoir
  • Château de Commarque en automne Lucien de Maleville © Galerie Ars Pictura – Association Lucien de Maleville

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