Nous devons à Jean-Louis Persehais ce bref historique de l’Aéro-club de Bergerac pour la période allant de 1930 à 1946, et à Michel Lecat l’iconographie qui l’accompagne. Jean-Louis Persehais, contrôleur aérienà Bergerac Roumanière de 1981 à 2009, a aussi été pilote privé à l’Aéro-club de Bergerac, dont il fut le président de 2000 à 2002.
Le 7 octobre 1927, le président de la Chambre de Commerce de Bergerac, Clément Dedin-Laporte, apprend par un courrier de la Chambre de Périgueux la création d’un Comité départemental de l’aviation commerciale. Quatre délégués de Bergerac y participent alors : M. Jocquel, en tant que vice-président, et MM. Durand, Barjeaud et Bardy. Mais il apparaît vite que ce comité a pour seule ambition de créer un aérodrome… à Périgueux. Méfiance et inquiétudes des Bergeracois, convaincus qu’il n’y a rien à attendre d’une solution « départementale ».
Il faut patienter jusqu’au 28 juin 1930 pour entendre parler pour la première fois de l’Aéro-club de la Dordogne, naissance publiée dans le Journal de Bergerac du 12 juillet 1930, puis au Journal Officiel du 5 août. Le but premier de cet aéro-club est de doter Bergerac d’un véritable aérodrome, le champ de manœuvres militaires de Picquecailloux utilisé jusqu’alors s’avérant trop enclavé.
Quelques membres fondateurs de l’Aéro-club de la Dordogne
Le premier président – outre une kyrielle de présidents d’honneur, avec en tête le Ministre de l’Air, pas moins ! – est M. Baras, « capitaine-aviateur ». Sur la photo 1, ces pionniers de la première heure posent devant le F-AJMT (prononcez Fox Alpha Juliette Mike Tango), un Caudron C128/2 appartenant au chef pilote et moniteur Fernand Longuesserre, le personnage à demi agenouillé au premier plan. Debout, de gauche à droite, ce sont MM. Meynardie (charcutier de son état et surnommé « le cochon volant »), Henri Bouchillou (secrétaire de la Chambre de commerce), Lucien Gastesoleil, Charles Cordier, Mlle Yvonne Tavenaud (charmante amie de Fernand Longuesserre), Émile Labonne, grainetier (sa devise : « une seule graine, Labonne ! »), Simounet, Edmond Sabeau et Charles Delerm.
L’année suivante, en 1931, un deuxième président est nommé. Il s’agit de René Boitelet (à gauche sur la photo 2), pilote de chasse et observateur de 14-18. Sur cette même photo, prise en mai 1939, apparaît son fils, le sous-lieutenant Hubert Boitelet, chef de patrouille au GC1/5 Champagne à Reims, et qui sera lui aussi président du club de 1969 à 1979. Il vient ici de se poser sur le terrain tout neuf de Bergerac Roumanière avec son Curtiss Hawk H75, alias P36. (photo coll. famille Boitelet. Au dos figure cette mention manuscrite : « La fierté d’un père »).
Les principaux créateurs de l’aérodrome de Roumanière sont Henri Bouchillou (secrétaire de la Chambre de Commerce), Clément Dedin-Laporte (son président) et Gaston Simounet (maire de Bergerac).
Dans les années Trente, les meetings aériens se succèdent…
En attendant que l’aérodrome de Roumanière se construise – il sera ouvert à la CAP (Circulation Aérienne Publique) en 1938 – on vole toujours à Picquecailloux, comme ci-dessous lors d’un meeting, en 1934. On aperçoit sur la photo 3, en arrière-plan, les trois cheminées de la Poudrerie de Bergerac. Au premier-plan, le F-AJCR, un Blériot Spad 61/9.
Le 15 septembre 1935, les frères Bondier photographient ce Potez 36/14 aux ailes repliables, nouveau fleuron de l’Aéro-club de la Dordogne, exposé en plein centre-ville, à deux pas du tribunal. Photos 5 et 6.
1936, c’est l’arrivée au pouvoir du Front populaire avec Léon Blum. Tout devient populaire, même l’aviation que le ministre de l’Air du moment, Pierre Cot, tente de développer pour rattraper le retard de la France face au réarmement allemand.
Photo 7 : stand de l’aéro-club à la foire expo de Bergerac…
En 1938, l’aérodrome de Roumanière est officiellement ouvert à la CAP (Circulation Aérienne Publique). Photo 9 : Le meeting aérien fête probablement l’inauguration de ce champ d’aviation bien dégagé de 57 hectares, avec ses grands hangars aux portes basculantes et son dépôt d’essence.
Le 28 juin 1939 a lieu un concours « d’avions réduits » à Roumanière, organisé par l’Aéro-club Jean Mermoz, entièrement voué au modélisme. Sur la photo 8, outre quelques concurrents, on peut voir la sono et son commentateur dans la voiture, écouteurs sur les oreilles et micro à la main, le jury sous un parasol, perché sur le plateau d’une autre voiture, et en arrière-plan une ferme et quatre grosses meules de foin, produit du fauchage du « champ d’aviation ». Le personnage de droite avec un béret arbore un petit avion à sa boutonnière, un « pin’s » avant la lettre…
Photo 10 : devant le grand hangar aux portes basculantes une petite foule assiste aux baptêmes de l’air des plus téméraires sur le Caudron C272/5 Luciole de l’aéro-club.
Le 13 août 1939, à peine un mois avant le début de la Seconde Guerre mondiale, l’Albatros, construit par le garagiste Christian Sigala, fait les premiers essais en vol sur le terrain tout neuf de Roumanière, un vaste champ tondu par 400 moutons.
Les années de guerre…
Le 3 septembre 1939 : la France est officiellement en guerre. Roumanière devient un camp d’entraînement militaire.
Puis, en 1942, c’est l’occupant allemand qui prend possession des lieux, bombardés en mars 1944 (photo 12).
Mes vifs remerciements à Patrice Rolli pour le prêt de cette photo (11) du sous-officier Erhard Gustav Rokitta, affecté à l’école de pilotage.
Sur cette photo aérienne (13) prise par l’Armée le 13 février 1946 (et achetée à prix d’or…), outre les taxiways allemands en béton, les hangars et les baraques, on peut distinguer les entonnoirs des bombes larguées le 5 mars et le 11 juin 1944 par les B24 américains du 389e Bomb Group, au petit bonheur, (si on peut dire !) deux ans avant, ainsi qu’une marque blanche au centre du champ qui sert de piste, un grand cercle barré qui, je pense, sert à matérialiser le centre de la piste et à indiquer son axe longitudinal préférentiel.
…et l’après-guerre
Les baraquements de l’aérodrome (photo 15) sont partiellement repris en juin par le Ministère du Travail qui en fait un centre de formation professionnelle accélérée du Bâtiment (il faut reconstruire ! Ce n’est pas le travail qui manque…). Le 17 juillet, la partie de l’aérodrome qui lui appartient est restituée à la ville de Bergerac. Il est créé un Conseil d’administration de l’aérodrome qui en confie la gestion à la Chambre de Commerce. Ce contrat a servi de base aux accords de gestion de 1960 et 1970.
À la Libération, l’armée française reprend de nouveau le contrôle de l’aérodrome, et il faut attendre 1946 pour que l’aéro-club renaisse enfin.
En aéronautique, tout finit par des meetings (photo 14)… Ici, celui de 1946 pour fêter la Libération et rendre hommage à deux Bergeracois morts sur le front russe en 42 et 44, Guy Rey et Marcel Lefèvre, avec ces 3 Yak-3 du Normandie-Niémen auquel ils appartenaient. Nous leur rendrons aussi hommage lors des meetings du 5 août 2001 et du 7 septembre 2014, mais ceci est une autre et très longue histoire… Quant à la rivalité Bergerac-Périgueux qui, on l’a vu, ne date pas d’hier, nous connaissons la suite !
Jean-Louis Persehais
Photos © Galerie Bondier-Lecat
Jean-Louis Persehais est l’auteur d’un article paru en 2015 dans la revue L’Avenir du Passé,
sous le titre : « Les débuts de l’aviation à Bergerac, de Picquecailloux à Roumanière ».
Crédit Photos :
- « Vue du port de Bergerac », 1854-1856, d’Auguste Faisandier, montre l’emprise de la ville au milieu du XIXe siècle. © Crédit photo : document archives départementales
- « La Couronne de Savoie », Photo © Collections Musées d’Annecy.