La figure la plus connue des internées du centre pénitentiaire pour femmes de Mauzac se nommait Madeleine Corabœuf, alias Magda Fontanges. Tour à tour comédienne, journaliste, espionne, aventurière… elle fut qualifiée par le journal Libération de « Mata-Hari de pacotille ».
Née le 10 mai 1905, Madeleine Corabœuf, alias Magda Fontanges, est incarcérée à Mauzac le 5 juin 1948. Elle quitte l’établissement le 31 janvier 1951 pour la maison d’arrêt de Pau. Madeleine est la fille d’Antoinette Thévenin et du peintre Jean Corabœuf, grand prix de Rome 1898.
Elle épouse à 17 ans un conseiller à la préfecture de Vendée devenue peu après sous-préfet en Lozère, Yves Laferrière, dont elle divorce deux ans plus tard. Sous le pseudonyme de Magda Fontanges, nom d’une des maîtresses de Louis XIV, elle débute une carrière d’actrice, tourne notamment avec Fernandel dans Pas un mot à ma femme, en 1931, puis se tourne vers le journalisme. En 1935, usant de ses charmes, elle obtient la correspondance romaine du journal Le Matin. L’année suivante, elle travaille pour le quotidien genevois La Liberté.
Maîtresse de Mussolini
Le 20 mai 1936, à Rome, elle réalise une interview de Mussolini(1) qui, aux dires de l’intéressée, en fait aussitôt « sa favorite ». Mais Benito se lasse assez vite de Magda, aventurière fantasque et exclusive. Jalouse des nouvelles conquêtes féminines de son amant, Magda Fontanges vend à un journal américain ses souvenirs : « J’ai été la maîtresse de Mussolini ! » Elle fait de même auprès de l’hebdomadaire Confessions (éditions des 1er, 8, 15 et 22 juin 1937).
Furieux, le Duce fait expulser « la Fontanges » d’Italie. Convaincue que cette expulsion est le fait de l’ambassadeur de France en Italie, le Comte Charles de Chambrun(2), elle décide de se venger. Le 17 mars 1937, en gare du Nord, elle tire sur lui à deux reprises avec un calibre 22, ne le blessant que très légèrement. Son avocat, Maître Floriot, obtient une peine de principe, le minimum, un an de prison avec sursis et cent francs d’amende.
Au service du contre-espionnage allemand
En novembre 1937, les États-Unis la refoulent du territoire alors que, venue sur le « Normandie », elle tente de débarquer à New-York. Survient la guerre. En 1940, Madeleine Corabœuf gagne l’Allemagne. À peine y est-elle entrée qu’elle se fait expulser. Au mois de juin de la même année, elle tente de passer clandestinement en Espagne. Repérée, elle est reconduite à la frontière, incarcérée à Bayonne, puis libérée par les Allemands à la condition qu’elle travaille pour l’Abwehr. Elle accepte et entre au service du contre-espionnage sous le pseudonyme de « Héléna 8006 ». Dans le même temps, semble-t-il, elle vend à des ministres français des renseignements sur l’Italie où elle a gardé des contacts.
En juillet 1941, ses commanditaires allemands l’envoient en mission à Bruxelles puis, un an plus tard à Marseille, et enfin à Paris où on lui obtient une couverture au quotidien Paris Soir. Elle travaille alors pour la branche renseignement du Sipo-SD, l’organisme de tutelle de la Gestapo. Lâchée par les Allemands en 1943, sans doute lassés par ses frasques peu compatibles avec ses missions d’agent secret, congédiée par le journal Paris Soir, elle rencontre le fameux Henri Lafond(3), alias « M. Henri », chef de la Gestapo française de la rue Lauriston, dont elle devient la maîtresse. Elle fait alors partie du Tout-Paris collaborateur. Après une période de faste, de luxe et de considération, la blonde Magda Fontanges est abandonnée par son amant. À la fin de l’Occupation, alcoolique et droguée, sentant le vent tourner et préférant se faire oublier, elle va se réfugier à Pouilly-les-Coteaux (Loire-Inférieure), son village natal. C’est là qu’elle est arrêtée, le 26 mars 1946. Son rôle d’indicatrice de l’Abwehr, puis du SD, apparaît clairement dans des documents saisis à l’Hôtel Majestic, à Paris.
Au début de l’année 1947, elle comparaît devant le tribunal militaire de Bordeaux. Le 29 janvier, en dépit de l’éloquence de son défenseur, Me Floriot, elle est condamnée à quinze ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de séjour, à l’indignité nationale à vie et à la confiscation de tous ses biens, pour « intelligence avec l’ennemi et trahison ».
D’abord internée à la prison bordelaise du Fort du Hâ (à l’emplacement de laquelle sont érigés aujourd’hui le Palais de Justice et l’École nationale de la Magistrature), elle est ensuite transférée à la prison pour femmes de Mauzac, en Dordogne. Elle y reste écrouée de 1948 à 1951, puis est dirigée sur la prison de Pau. En 1952, elle est libérée et assignée à résidence à Melun. Quittant la prison, elle déclare : « Je suis une lionne sortant de cage… »
Elle s’installe à Paris et, sous un prête-nom, ouvre un bar sur la rive gauche, en pleine période existentialiste. Elle écrit ses mémoires, qui ne rencontrent aucun succès…
Le 20 décembre 1954, retour à la case prison : Magda Fontanges est écrouée à la Petite Roquette pour ne pas avoir respecté les conditions de sa liberté conditionnelle. Finalement libérée au début de l’année 1955, pour raisons de santé, Magda fait encore parler d’elle. Cette fois, elle est arrêtée pour tentative de vol d’un tableau d’Utrillo se trouvant dans la salle d’attente de son ancien défenseur et amant, Me Floriot, chez qui elle était venue avec l’intention de l’abattre, par dépit amoureux !
Déclarée irresponsable, paranoïaque, elle est internée le 2 mars 1955 dans un asile psychiatrique. Elle en sort quatre ans plus tard et se réfugie chez des amis, à Genève. Le 1er octobre 1960, elle met fin à ses jours au Centre de protection de la femme de Genève où elle avait été recueillie et meurt d’une dose mortelle de somnifères.
Ainsi s’achève la vie tumultueuse d’une aventurière mythomane, qualifiée par le journal Libération, de « Mata-Hari de pacotille ».
Jacky Tronel
Notes :
- (1) Benito Mussolini, via Wikipedia.
- (2) Charles de Chambrun (diplomate), via Wikipedia.
- (3) René Floriot, via Wikipedia.
Crédit Photos :
- Madeleine Corabœuf, audience du tribunal militaire de Bordeaux, le 29 janvier 1947 © Life du 17/02/1947
- Tribunal militaire de Bordeaux © Magazine Life du 17 février 1947