Les Colombiers et Pigeonniers du Périgord



Les pigeonniers portent en eux bien des paradoxes. Leur fonction primitive est utilitaire, ils ont pour vocation d’abriter les couples de pigeons, leur nourriture et de permettre d’y recueillir la colombine. Mas, avant la Révolution, ils ont aussi une des apparences d’un pouvoir et donc un symbole. Depuis lors, redevenus uniquement utilitaires, ils déclinent les plus grandes variétés architecturales de la ruralité. Aujourd’hui, s’ils ont perdu leur utilité primitive [N.D.L.R. : « avec l’arrivée des engrais chimiques à la fin du XIXe siècle »], ils ont pris place dans notre patrimoine.André Bord. (1)

Dessin d'un colombier –Eugène Violet-le-Duc

Dessin d’un colombier –Eugène Violet-le-Duc


Les pigeons étaient appréciés non seulement pour leur chair, mais aussi et surtout pour leur fiente, la colombine, riche en azote et en acide phosphorique, un engrais qui servait à la fumure des cultures exigeantes. Sans doute plus anecdotique, leur utilisation pour le dressage des faucons pour la chasse. Pour toutes ces raisons, l’homme a construit des colombiers ou pigeonniers permettant aux oiseaux de se reproduire à l’abri des intempéries et des prédateurs. De plus, ces constructions étaient un signe de richesse, et leurs grandeurs dépendaient de la superficie des terres cultivées. Ainsi, un trou de boulin correspondait – en moyenne et suivant les régions – à un arpent de terre, soit environ un demi-hectare. C’était donc une façon de marquer sa prospérité, et d’affirmer son rang social.

Pendant le moyen-âge, la construction d’un colombier était un privilège réservé à la féodalité. Le paysan ne pouvait avoir son four ; il fallait qu’il apportât son pain au four banal du château ou de l’abbaye, et qu’il payât une redevance pour le faire cuire. Il ne lui était pas permis non plus d’avoir un pigeonnier à lui appartenant. Il en était des pigeons comme des troupeaux de bêtes à cornes et à laine, ils appartenaient au seigneur, qui seul en pouvait tirer un produit. Les troupes de pigeons étant un rapport, ceux qui avaient le privilège de les entretenir cherchaient tous les moyens propres à en rendre l’exploitation productive. La construction d’un pigeonnier était donc une affaire importante. Tous les châteaux possédaient un ou plusieurs pigeonniers ; les manoirs, demeures des chevaliers, petits châteaux sans tours ni donjons, pouvaient encore posséder un pigeonnier. Il n’est pas besoin de dire que les abbés, qui étaient tous seigneurs féodaux, et qui possédaient les établissements agricoles les mieux exploités pendant le moyen-âge, avaient des pigeonniers dans les cours des abbayes, dans les fermes qui en dépendaient, les prieurés et les obédiences.Eugène Viollet-le-Duc(2)

Les Colombiers et Pigeonniers en bref

Le mot colombier vient de coulon, ancien nom donné au pigeon. Il est plus fréquemment employé dans les pays de droit coutumier et s’applique plutôt à une construction d’une certaine importance, voire seigneuriale. Le mot pigeonnier, quant à lui, est davantage employé dans les pays de droit écrit où les édifices sont plus modestes. Le mot fuye (fuies au pluriel) est surtout employé dans les pays de l’ouest et s’applique aux constructions dont le rez-de-chaussée est réservé à un usage autre que l’élevage des pigeons (hangar, poulailler…) ou à l’aménagement d’un grenier. Enfin, volet désigne un ensemble de cagettes rudimentaires ou d’alvéoles accrochés au sommet des murs d’une grange, sous un toit.

Les colombiers ou pigeonniers peuvent être de formes très variées (comme on le verra dans la suite de ce dossier). Autant dire que l’importance de la construction dépend directement de la richesse de son propriétaire. On trouve principalement des colombiers-tours isolés (dont la section peut être ronde, carrée ou hexagonale), des pigeonniers sur colonnes, des pigeonniers intégrés ou accolés à la ferme… Mais aussi des fuies ou pigeonniers-greniers, sortes de trous d’envol entièrement intégrés dans la maçonnerie. Enfin, on peut aussi trouver des pigeonniers rudimentaires sous forme de boites en bois.

Dessin d'une lucarne – Eugène Violet-le-Duc

Dessin de la lucarne d’un colombier – Eugène Violet-le-Duc

Tous ces colombiers ou pigeonniers possèdent certains éléments fondamentaux caractéristiques :

  • Le sol : son revêtement carrelé ou dallé permet de récupérer aisément la colombine.
  • La volière : c’est la pièce à vivre des pigeons. Ses murs sont tapissés de nids en osier ou incrustés de boulins.
  • La lucarne : c’est elle qui éclaire la volière et, lorsque le volet est percé de trous, qui permet l’envol des pigeons.
  • Les trous d’envols : plutôt orientés vers l’est et le sud, juste au-dessus d’une plage d’envol, ils sont soigneusement étudiés pour ne permettre que le passage des pigeons.
  • La randière (ou lamier) : ceinture en saillie entourant la construction. Elle protège l’accès à la volière contre les prédateurs (rats, fouines, belettes…).

Pour découvrir toutes les nuances entre pigeonnier, colombier, fuye ou volet, consultez le Glossaire : Les Mots du Pigeonnier.

Colombiers et Pigeonniers : un petit patrimoine bien représenté en Périgord

En Aquitaine, les colombiers ou pigeonniers sont particulièrement nombreux, y compris en Périgord où ils sont aussi variés qu’originaux. Certains sont même atypiques, comme ces pigeonniers troglodytiques ou pigeonnier-falaise. Cette incroyable diversité des styles et des formes en font une composante indissociable des paysages périgourdins. Presque tous les châteaux et manoirs, les fermes seigneuriales et les abbayes possédaient leurs pigeonniers. Ils sont plus nombreux près des grandes propriétés agricoles céréalières et plus rares sur les plateaux granitiques d’élevage.

Pourquoi les pigeonniers sont-ils aussi nombreux en Aquitaine, y compris en Périgord ? Comme on le verra dans ce dossier, dès le moyen-âge, la possession d’un pigeonnier était un privilège seigneurial. Toutefois, en Aquitaine, ce privilège est tombé en désuétude bien avant la Révolution française, favorisant ainsi leur prolifération.


Notes :

  • (1) André Bord, Pigeonniers du Périgord – Aquarelles.
  • (2) Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècles : Colombier.

Crédit Photos :

  • Le toit en lauzes du pigeonnier au sud-ouest du village de Paussac-et-Saint-Vivien, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècles : Colombier.