Olivier de Serres, dans son célèbre Théâtre d’agriculture des champs paru en 1600, décrit l’architecture d’un pigeonnier idéal. Il donne des instructions détaillées concernant sa construction. Le pigeonnier doit être situé sur un terrain aussi sec que possible, de préférence sur une élévation et à l’abri des vents dominants. Les trous d’envol doivent être correctement exposés, au sud ou à l’est pour profiter des premiers rayons du soleil, car « le soleil est la vie des pigeons ». Enfin, il doit interdire l’entrée aux prédateurs, chats errants, rongeurs (souris, rats), mammifères carnivores (fouines, putois, belettes) et rapaces (éperviers, faucons, grands-ducs, dames-blanches).
L’architecture des pigeonniers et colombiers offre une incroyable diversité dans ses formes, tout particulièrement en Périgord. Si certains d’entre eux apparaissent ressemblants, aucun n’est identique à l’autre. Toutefois, la construction d’un pigeonnier répond à quelques règles très précises. L’étude des différents éléments architecturaux permet de les mettre en évidence.
Les différents éléments architecturaux
L’entrée — Le colombier à pied n’a par définition qu’une seule porte d’accès. En revanche, le colombier d’étage n’est pénétrable qu’extérieurement par une seconde porte, établie à cet effet lors de l’élévation de la construction. Par précaution, l’accès s’accomplit à l’aide d’une échelle amovible, ou, mais très rarement, par un escalier qui lui est réservé. L’entrée dans les pigeonniers porches se fait latéralement, soit par échelle, soit par un escalier, ou à partir d’un bâtiment adjacent.
Le sol — Il doit être conçu de manière à faciliter la récolte de la précieuse fiente dénommée colombine. Pour cela, il doit être soit soigneusement pavé, finement carrelé ou muni d’un plancher en bois. À défaut, un sol en terre battue nivelé pouvait faire l’affaire. Quand le pigeonnier est édifié sur des piliers, on découpe une ouverture dans le plancher, parfois appelé trappe d’enfer, par laquelle on évacue la colombine.
Les parois du pigeonnier — Elles sont soigneusement lissées pour interdire l’accès aux prédateurs pouvant grimper verticalement le long des murs.
Les trous d’envol et de retour — Ils doivent être placées à bonne hauteur au-dessus du sol afin de protéger les oiseaux des prédateurs. Les ouvertures mesurent au maximum 10 cm. Ainsi, ils sont suffisamment grands pour laisser passer les pigeons, mais suffisamment petits pour interdire l’entrée aux corneilles et autres rapaces. Les pigeonniers volumineux possèdent pratiquement tous deux grilles d’envol. Situées à des niveaux différents sur la même façade, elles assurent une bonne aération dans la partie haute du pigeonnier sans créer pour autant de courant d’air. De plus, on doit pouvoir obstruer facilement ces ouvertures à l’aide d’une grille ou d’un rabat : enfermer ces volatiles voraces était en effet une nécessité pendant les périodes de semences ou de récoltes, pour limiter les dégâts qu’ils pouvaient occasionner.
Les lucarnes — Le rôle essentiel des lucarnes étant de laisser les pigeons libres de sortir à l’extérieur ou de les tenir enfermés au colombier, toutes possèdent une ouverture assez réduite de manière à être équipées d’un dispositif de fermeture. Ces lucarnes sont closes le soir par des grilles ou des volets en bois manipulés d’en bas. Les lucarnes peuvent être remplacées par des fenêtres d’envol qui se présentent simplement sous forme d’ouverture près de la corniche. Ces ouvertures peuvent être précédées de tables d’envol, en pierre ou en bois, reposant sur des consoles. Ces ouvertures sont presque toujours orientées au sud et à l’est, à l’abri des pluies et vents dominants de la région. Le soleil réchauffe ainsi le colombier l’hiver et ses rayons n’y pénètrent pas l’été.
Les protections mises en place pour repousser les prédateurs — Le pigeonnier doit être muni d’obstacles afin de protéger les pigeons des prédateurs friands de chair fraîche et d’œufs à gober : rats, belettes, loirs et petits carnassiers pouvant grimper à la verticale le long des murs extérieurs. Ces obstacles peuvent être de natures diverses :
- Corniche ceinturant l’édifice en pierres surplombantes appelée randière ou larmier qui empêche non seulement les prédateurs de parvenir jusqu’au nid en stoppant leur ascension, mais aussi qui rejette l’eau de pluie en faisant retomber les gouttes loin du mur.
- Lorsque le pigeonnier est édifié sur des piliers ou des colonnes, le haut de la colonne présente une « coiffe de pierre » ou « champignon », situé au sommet des piliers qui stoppait l’ascension des prédateurs. En raison de leur forme, on appelle parfois ces corniches des champignons, mais le plus souvent des capels ou cépels. Ce type d’édifice est fréquent en Aquitaine, y compris en Périgord.
- Sur certains pigeonniers, la randière ou larmier est remplacée par une ceinture de briques émaillées ou de carreaux vernissés placés sur le corps du pigeonnier ou des rangées de carreaux ou d’ardoises placées autour des ouvertures réservées aux pigeons.
- Pour les petits pigeonniers, on se contente parfois de laquer le pourtour des grilles d’envol à la peinture à l’huile, ou bien de l’enduire de suif.
La corniche — Au sommet de l’édifice, juste avant le toit, la corniche sert de transition. C’est aussi un élément décoratif de tout premier plan. En effet, c’est elle qui met en valeur la toiture par son avancée plus ou moins prononcée. Dans certains colombiers, elle permet de passer de l’hexagone ou de l’octogone à une toiture ronde. Constituée de pierres plates de forte assise, de briques ou de tuiles, placées en ressaut d’une dizaine de centimètres pour assurer l’égout du toit dans les meilleures conditions, c’est-à-dire loin du mur. Elle supporte la charpente et souvent les lucarnes d’envol. Par sa position bien en vue, la corniche est aussi un élément du décor des colombiers.
La volière et ses nichoirs
Généralement de grand volume, la volière doit être équipée de nichoirs d’au moins 0,15 m2 et répartis de manière à ce que les couples de pigeons ne se gênent pas entre eux. Voici les cotes d’un nichoir classique : hauteur 18 cm, séparation entre nichoirs 6 cm, orifice d’entrée 15 cm. La rangée inférieure des nichoirs ne doit pas être inférieure à 1,30 mètre du sol pour rester hors de portée d’un saut de rat. Les nichoirs doivent être facilement accessibles pour le nettoyage et le contrôle. Pour cela, on prévoira une simple échelle dans les pigeonniers réduits, une échelle tournante dans les grands pigeonniers, voire même une double échelle tournante dans les colombiers de très grandes tailles.
Les nichoirs peuvent être de simples nids de paille ou des paniers en vannerie suspendus aux murs par un piton. L’alternance des vides et des pleins ainsi créée fait penser à un damier. On les appelle boulins. Chaque boulin est le logement d’un couple de pigeons. Le plus souvent, les nids sont constitués d’alvéoles ménagées dans l’épaisseur des murs et séparées par des pavés de briques, de plâtre ou de brique. Mais ces boulins peuvent également être en pierre, brique, torchis, préfabriqués en plâtre ou bien en poterie (pots couchés, tuiles canal, diverses cases), en osier tressé en forme de panier ou de nid. C’est le nombre de boulins qui indique la capacité du pigeonnier. Celui du château d’Aulnay avec ses 2 000 boulins et celui de Port-d’Envaux avec ses 2 400 boulins de terre cuite sont parmi les plus vastes.
Le nombre de boulins est proportionnel à la superficie des terres du fief. Chaque boulin correspondait à la possession d’un acre de terre, soit 50 ares (un demi-hectare). C’était la surface qu’une personne pouvait labourer avec un cheval en une journée. On appelait également cette surface le journal. Cette proportion variait toutefois d’une localité à l’autre.
Les éléments de toiture
La toiture — Recouverte de tuiles ou de lauzes, il existe des toitures coniques, à 1, 2, 4, 6 ou 8 pentes, à toit simple ou double ou à coupole. La pointe sommitale est très souvent ornée d’un épi de faîtage. Lorsque la pente de la toiture est forte une génoise ou un couyau l’adoucit pour rejeter l’eau de ruissellement à l’écart de la base de la maçonnerie.
- Les colombiers à pied, cylindriques ou carrés, possèdent ou ont possédé une toiture conique en poivrière ou à quatre pans, quelquefois à forte pente pour faciliter le nettoyage de la colombine par la pluie, parée de lucarnes.
- Les colombiers d’étage, cylindriques ou carrés, et les pigeonniers-porches, parfois de taille modeste, offrent un type de toiture où figurent encore quelques lucarnes, mais les lanternons s’y font plus rares.
- Le pigeonnier Toulousain ou Méridional est caractérisé par une couverture à deux toits successifs et décalés en marches d’escalier qui lui a valu le surnom de pied de mulet.
- Quelques colombiers cylindriques sont protégés par une voûte hémisphérique en maçonnerie, soit complète et démunie d’ouverture, soit tronqué, ou bien aménagé de petites baies pour l’envol des pigeons. Les coupoles, réalisées en encorbellement sur gabarit, sont soit effectuées avec des lauzes calcaires en provenance des champs, soit de moyens blocs calcaires calibrés, soit encore en brique ou couverte de tuiles et ardoises.
La charpente — Elle s’adapte nécessairement à la forme de la toiture. La charpente des toitures à un, deux ou quatre versants s’accommode souvent de matériaux d’essences diverses et n’offre guère de difficulté d’installation ; en revanche, celle des colombiers à toiture conique en poivrière, nécessite davantage de connaissances techniques, surtout celles coiffées d’un lanternon, et impose une structure plus complexe avec une solidité garantie à toute épreuve.
La couverture — L’ardoise se retrouve sur le toit des colombiers et pigeonniers érigés aux abords des châteaux renaissance et des maisons de maître. L’ardoise est un matériau qui permet quelques fantaisies de style. De nombreux pigeonniers localisés de la partie septentrionale de la France sont couverts par des ardoises. Les toitures des pigeonniers les plus récents sont souvent réalisées en ardoise. En Normandie, il reste quelques très rares colombiers couverts en chaume mais, dans de nombreux cas, l’ardoise a remplacé l’ancienne couverture en chaume. Dans la partie sud de la France, la couverture traditionnelle est plutôt la tuile plate ou canal pour les toitures. Dans certaines régions calcaires comme les Causses, les couvertures peuvent être en lauze. En Bretagne, les colombiers ont une couverture en pierre ou de granite taillé. Rares sont les toitures en bardeaux de bois.
Le lanternon — Certaines toitures sont ouverte en partie haute par un lanternon qui donne une autre allure au bâtiment. Il permet l’entrée et la sortie des pigeons ainsi que l’aération du colombier. Les ouvertures sont toujours peu nombreuses et placées en hauteur. Les lucarnes, sortes de petites fenêtres sont souvent réalisées en pierres de taille et installées en assise sur la corniche. Elles sont d’une grande diversité dans leur aspect et rivalisent dans leur beauté avec celles du château environnant.
L’épi de faîtage — Véritable point d’orgue d’un pigeonnier, cet élément décoratif a une utilité d’étanchéité, en couvrant et protégeant la partie saillante de la charpente (appelée « aiguille »). Il peut être soit en plomb, en zinc ou en poterie (patinée ou vernissée). Il peut prendre diverses formes. Les plus rudimentaires d’entre eux se présentent sous forme d’une pierre conique grossièrement taillée, de simples pots ou cruches renversés quand il ne s’exprime pas sous forme de poinçons de charpente simplement recouverts de zinc. Plus élaboré, ils prennent la forme, soit d’un cône à tête ronde, d’un phallus, ou encore de figures diverses parfois très sophistiquées. L’épi est parfois remplacé par une girouette qui présente des thèmes multiples.
Sources :
- Florilège du Petit Patrimoine Rural Bâti du Périgord, par les membres de La Pierre Angulaire.
- Patrimoine de pays en Périgord, Conseil d’Architecture d’Urbanisme et d’Environnement, CAUE Dordogne, 2002.
Crédit Photos :
- Le pigeonnier du château de Puyguilhem, Villars, Dordogne, By Père Igor, (Own work), via Wikimedia Commons.