Malgré son éloignement, SEM, illustrateur, affichiste, caricaturiste, chroniqueur mondain et écrivain français n’a jamais renié le Périgord de son enfance, de sa famille, dont les Gouyou-Beauchamps de Pontours, à qui il rendait visite régulièrement.
Georges Goursat, SEM de son nom d’artiste, est né à Périgueux en 1863. Ses parents, propriétaires d’un commerce de gros en épicerie, avec des succursales dans les départements limitrophes, faisaient partie des notables de la ville. Dans cette famille de neuf enfants, Georges est le troisième. L’ambiance dans la maison Goursat était à la fois sérieuse et décontractée. Son père, André Goursat, avait des idées très libérales pour son époque : attentif à l’éducation de ses enfants, laissant leur imagination s’exprimer dans le jeu et à travers des décors de théâtre, des guignols, des annotations de livres, des constructions pour enfants au fond du jardin, et même des voyages. Dans la maison de la place Francheville, l’enfance de Georges a certainement été heureuse.
Georges dessine depuis son enfance ; il caricature ses professeurs du collège de Sarlat et du lycée de Périgueux. Jeune homme, il adore musarder dans les rues de Périgueux où il aiguise son sens de l’observation et s’entraine à dessiner les personnages, de préférence. Au décès de son père en 1884, comme aîné des garçons, il doit lui succéder. Mais au commerce familial, il préfère la fréquentation des artistes, des journalistes et les voyages ; il publie ses premiers dessins dans une revue locale, l’Entracte périgourdin. En 1888, le jeune dessinateur édite ses trois premiers albums, Périgueux-Revue, où il met en scène des personnalités ou des scènes de la vie locale.
Se trouvant un peu à l’étroit, il quitte Périgueux en 1889 pour aller se faire connaître à Bordeaux où il est remarqué, se lie d’amitié avec le journaliste Paul Berthelot, puis à Marseille. Et finalement, avec un talent déjà reconnu, il monte à Paris l’année de l’Exposition universelle de 1900. Il y fait la connaissance de Jean-Louis Forain, Leonetto Cappiello, Jean Lorrain, Abel Faivre… eux aussi caricaturistes. Son crayon le lui permet et le genre est à la mode.
SEM fréquente le Tout-Paris mondain : le Jockey Club, l’Opéra, la clientèle de chez Maxim’s, les courses, la Bourse. Sa première publication parisienne, Le turf, album au grand format et feuillets libres, est un succès immédiat. C’est le temps de la Belle Époque. Il se rend fréquemment à Deauville, est invité à Monte-Carlo, va régulièrement en Angleterre pour s’habiller. C’est ainsi qu’il rencontre et « croque » sur son carnet qu’il a toujours en poche, les rois et les princes en visites officielles ou privées, des hommes d’État, puissants ou déchus, des hommes d’affaires, des écrivains, des artistes, des notables, des demi-mondaines. Il publie régulièrement des albums de caricatures incisives et précises et l’on craint autant être le sujet d’un de ses dessins que de ne point en être ! Il écrit dans des chroniques de mode ou d’actualités. Il est à l’aise dans cette société qu’il regarde avec un peu de recul, du haut de sa petite taille et avec ses yeux malicieux.
Mais en 1914 la guerre est là et un tout autre monde se dessine. SEM a cinquante ans et ne part pas combattre. Il est envoyé par Le Journal, quotidien parisien, pour une première mission officielle de reportage sur le front, lui permettant de connaître « ce que nos sages gouvernants autorisaient à voir », écrit-il dans une lettre. Cependant, grâce à de solides relations, il se constitue un réseau qui lui permet d’y retourner et d’aller plus en avant sur le front : il regarde, il marche, il observe. Il est reconnu par un soldat, sans doute un Périgourdin, qui voit en lui un « Pékin ». Il retient le mot et c’est le titre qu’il donne à son ouvrage : Un Pékin sur le front, recueil de textes et de dessins de la guerre, publié en 1917.SEM revient à plusieurs reprises sur le front, il écrit et dessine aussi pour l’Illustration et il publie deux albums (1915–1916 et 1917–1918), nous montrant le « Poilu » marchant sous la pluie, dans la boue, guettant sur la ligne de front, attendant la popote, portant son camarade. Il « croque » peu de « gradés » mais s’intéresse au personnage de Clemenceau, dont le portrait est reproduit dans de nombreux livres d’histoire.
Ses croquis sont vivants, sobres et épurés. Son style annonce la BD d’après-guerre et même de plus récentes, telle Putain de guerre 1914 – 1915 – 1916 de Jacques Tardi, Jean-Pierre Verney (Casterman, 2008). La mort est présente mais juste suggérée. Pas de « gueules cassées », seulement l’homme de boue qui continue d’avancer et qui attend… le lendemain. D’ailleurs, le premier chapitre du livre Un Pékin sur le front a pour titre « Les statues de boue ».
« SEM, caricaturiste, publiciste, correspondant de guerre »
C’est sa vision de la Grande Guerre que propose l’exposition « Croquis de SEM, correspondant de guerre 14/18 », présentée au Musée d’art et d’archéologie du Périgord, à Périgueux, du 20 novembre 2015 à la fin mars 2016. L’exposition, itinérante depuis 2014, est une initiative de Nancy Chamussy-Bonnelle, arrière-petite nièce de SEM et adjointe à la Culture et au Patrimoine de la commune de Grabels (métropole de Montpellier). Elle est aussi la fille de Madeleine Bonnelle qui créa, alors qu’elle vivait à Pontours, l’Association SEM et publia avec Marie-José Meneret un ouvrage qui fait référence : SEM (Pierre Fanlac, 1979).
Lorsqu’il décède en 1934, l’artiste est salué non seulement comme caricaturiste mais aussi comme affichiste et publiciste, illustrateur de nombreux journaux et revues. Il est également reconnu pour ses qualités d’écrivain. Observateur attentif de la société qui l’entoure, il s’exprime avec sensibilité et humour.
Par son art, SEM a influé sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, de la « Belle époque » aux « Années folles », marquant ainsi un renouveau artistique, le changement de la société, la libération de la femme et des mœurs, comme le révèlent ses trois albums Le Nouveau Monde, parus de 1921 à 1925.
Nancy Chamussy-Bonnelle
Illustrations et photo : avec l’aimable autorisation de Martin Gouyou-Beauchamps.
Plus d’infos :
www.sem-caricaturiste.info.