« La terra es florida »

Mais dis-moi l’ami, je t’ai vu, hier, tu entrais dans un bois à vive allure. Où courais-tu si vite ? Si tu cherchais des champignons, alors tu faisais fausse route. Écoute-moi bien, je vais t’expliquer comment il faut s’y prendre…

Tout d’abord, tu vas au marché du village et tu observes, tu écoutes, discrètement. Tu vois ces deux papis, là, le béret vissé sur la tête ? Approche un peu, tends l’oreille : « Aquo vaï pas tarda, la terra es florida ». Bien entendu, tu ne comprends rien. Et pourtant, t’as jamais rien entendu de plus beau, surtout pas sur tes Champs-Élysées ! « Ça va pas tarder, la terre est fleurie ». Tu te rends compte ? La terre est fleurie ! Attention, il va falloir surveiller les bois. Dans quelques jours, les champignons vont se trouver.

Pour avoir la chance de faire une bonne cueillette, quatre conditions sont requises. Premièrement, il faut une pluie abondante : environ quarante litres d’eau au mètre carré. Ensuite, pendant les huit jours suivants, la température doit être douce, surtout la nuit ; et puis la lune, en phase montante. Quatrièmement, il faut que tu sois là !

Puisque tu es sur le marché, c’est le moment d’investir dans le commerce local. Tout d’abord, tu vas acheter un panier en osier de taille moyenne ; ne t’inquiète pas, cet hiver, dans ta maison de campagne, il fera son effet près de la cheminée. Je ne veux pas te voir dans les bois avec un sac en plastique. Et puis avec ton petit bermuda à carreaux, tu vas me faire fuir tous les chevreuils du département ! Alors tu vas aller choisir un pantalon en toile de Nîmes où un jean, c’est pareil. Les pieds nus dans tes sandales en cuir, ça ne va pas non plus. Tu vas te planter un pelou [une bogue de châtaigne] dans le gros orteil et gâcher tes vacances. Choisis des chaussures fermées, c’est mieux. Un peu plus loin, tu trouveras tout un étalage de couteaux : celui avec le manche en bois et la fameuse virole qui bloque la lame ouverte sera parfait. Te voilà fin prêt, équipé pour affronter le grand jour. Ah non ! J’oubliais un détail. On ne va pas dans les bois avec un 4×4 immatriculé en 75. Tu vas demander à un ami « local » de t’emmener, c’est préférable…


La terre est fleurie !


Le « D-Day » est arrivé, la petite voiture 24 est garée au parking des chasseurs, à l’orée du bois, près de la route. C’est parfait. Tu entres dans le bois, fais quelques pas, et tu choisis une branche de châtaignier de la grosseur d’un pouce, pas la mesure anglaise ; ton pouce, celui de ta main ! Sors de ta poche ton couteau et coupe au plus près du sol. Tu enlèves les branchettes et coupe à nouveau, à environ un mètre. Cette fois, tu peux commencer la recherche.

Maintenant, je vais faire appel à tes souvenirs : te souviens-tu de ton cahier d’écolier, celui à la couverture d’un bleu indéfini avec la silhouette d’un athlète bandant son arc ? Héraklès. C’est ça, je le revois encore. Au bas de la première page, en bas à gauche, perpendiculaire à la marge rouge, une ligne bleue un peu plus épaisse, tu la vois ? C’est la ligne que tu vas devoir suivre ; le soleil sr ta nuque, ton ombre devant toi. Inutile de marcher vite. Tu vas te déplacer lentement, calmement, ton regard fixant le sol quelques mètres en avant. Tous les quatre ou cinq pas, tu t’arrêtes, tu te retournes lentement, à droite, puis à gauche. Plus tu augmentes les angles de vision, plus tu augmentes tes chances de découvrir un champignon. Il est là, mais tu ne le vois pas, caché derrière une feuille, une branche, un arbre. Et tu repars, ton ombre devant toi, tu te sens moins seul avec ton ombre. Elle va devenir ta compagne pendant plus d’une heure ! La ligne bleue, pense à la ligne bleue, tu te déplaces sur ta feuille de papier, droit devant. Au bout d’une centaine de mètres, tu prends une jeune branche de châtaignier. Tu la casses, pas entièrement, elle doit pendre la tête en bas, les feuilles à l’envers. Ce sera ton premier repère. Maintenant, tu fais une dizaine de pas, perpendiculairement à la ligne bleue que tu suivais, le soleil sur ta face gauche, ton ombre sur ta droite. Tu dois voir ton premier repère derrière toi, c’est le moment d’en faire un deuxième ! Tu casses à nouveau une jeune branche. Fais un quart de tour, soleil de face, ton ombre derrière toi, et tu repars. Tu cherches à nouveau en marchant lentement, te retournant souvent en gardant dans ta tête cette ligne bleue imaginaire qui va forcément te ramener pas très loin de l’endroit où tu as coupé ton bâton. L’heure est venue de casser à nouveau une branche et de faire un quart de tour sur ta droite, le soleil sur ta face gauche, casser une branche et repartir, ton ombre devant toi, et tu recommences. Cela semble compliqué, mais c’est un jeu d’enfant, simple et logique à la fois. Tout est dans la concentration et c’est une bonne méthode pour ne pas te perdre. Car se perdre dans les bois, c’est l’angoisse ! Tous les arbres sont les mêmes, on panique, on marche plus vite dans une direction qu’on croit la bonne et puis on change d’avis et on marche… et on marche… La page de cahier, souviens-toi !


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Tu viens d’apercevoir ton premier champignon et c’est le bonheur complet. Un conseil, ne te précipites pas, oublie-le un instant et regarde devant toi, à tes pieds, à droite, à gauche, il y en a certainement un autre, voire plusieurs. Du calme, prends ton temps, un genou à terre, pose ton bâton et ton panier puis sors ton couteau. Au fond de ton panier, tu vas déposer une ou deux feuilles de fougère pour lui faire un petit nid. Cueille-le doucement d’une main, regarde-le, savoure-le. Qu’il est beau ! Avec la lame de ton couteau, tu vas enlever la terre qui colle à son pied en faisant de petits copeaux qui vont tomber sur le sol, il vaut mieux le faire maintenant, tu me remercieras plus tard. Un panier rempli de champignons propres sur un lit de fougère, c’est tellement beau !

Après que la terre aie fleurie sortent les cèpes du Périgord… parfois vraiment bien cachés !

Après deux heures de recherche dans ta feuille de cahier, il est temps de rentrer maintenant. Tu vas revenir le soleil face à toi et arriver près de la marge rouge. Là, tu vas faire un quart de tour et passer devant tes repères. Un à un, tes pas vont te ramener à l’endroit précis où tu as coupé ton bâton. Dans la marge, la maîtresse d’école va te donner ta note : 14/20. Tu méritais plus, mais elle a enlevé deux points, car tu as cassé des branches. Ce n’est pas très grave, ton panier est plein et tu as retrouvé la voiture.

Quand on vit à la campagne, on acquiert une certaine philosophie. Écoute bien l’ami : la vie ressemble étrangement à une promenade en forêt. Tu entres dans l’inconnu droit devant, tu te retournes, avances encore, fais demi-tour, un genou à terre, tu te relèves et tu repars. Tu frôles parfois la ligne rouge et, arrivé en bas, tu tournes la page… et c’est reparti.

Allez ! Sans rancune et à l’année prochaine !

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Texte et photos, Marcel Hitieu


À lire également sur notre site, notre dossier Les produits des terroirs : le Cèpe du Périgord


Cet article a été publié dans le numéro 7 du magazine « Secrets de Pays ».

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