La soixantaine distinguée, Philippe Raynaud de Fitte présente son château de Montastruc avec l’élégance qui convient à ce lieu extraordinaire. Né à Casablanca d’une lignée originaire du Piémont pyrénéen, il rêvait depuis longtemps d’acquérir une grande « maison » qui lui permette, ainsi qu’à son épouse et à ses enfants, de s’ancrer à nouveau solidement dans le Sud-Ouest. Le château du « Mont sous les astres », selon l’étymologie généralement admise, est devenu en 1998 cette demeure longtemps rêvée où la famille a pu ainsi se créer ses nouvelles racines.
Bien sûr, Philippe de Fitte le reconnaît : grâce à sa carrière internationale, il avait aux États-Unis, avec son épouse Ségolène et ses quatre enfants, une vie d’expatrié plutôt confortable et lorsqu’il s’agissait de prendre des vacances en Europe, les lieux de séjour possibles ne manquaient pas. Dans sa famille ou dans celle de son épouse, Ségolène de Martin du Tyrac de Marcellus originaire du Lot-et-Garonne, on avait toujours plaisir à les recevoir. Mais ce statut récurrent d’invités finissait par devenir gênant. Les époux de Fitte décidèrent donc de rechercher en Aquitaine une demeure de caractère. Ils envisageaient sérieusement un achat, à condition de trouver la propriété correspondant aux critères qu’ils s’imposaient.
Sur un coup de cœur…
L’occasion se présenta pour Philippe de Fitte lors d’un voyage d’affaires à bord d’un vol long-courrier. Dans un magazine spécialisé acheté pour se distraire pendant le trajet, l’annonce d’un bien à vendre dans le Périgord semblait parfaitement correspondre aux exigences de la famille.
« L’avion était un de ces premiers appareils équipés de téléphones utilisables en vol. Le coût de la communication risquait d’être très élevé mais j’étais tellement enthousiaste que j’ai appelé mon épouse immédiatement pour qu’elle organise très vite la visite de cette propriété » se souvient-il.
Quelques jours plus tard, malgré l’état inquiétant des bâtiments, le clan de Fitte eût en effet un véritable coup de foudre pour l’éperon rocheux de Montastruc et s’emballa pour son histoire ! Aujourd’hui, Philippe de Fitte peut ainsi décrire le riche passé de son château avec une précision quasi horlogère et il en raconte chaque étape avec passion.
Des origines à nos jours
Le large sillon du Caudeau, écrin de Montastruc, fût peuplé dès la préhistoire. Cette voie de passage très convoitée, a également connu l’occupation romaine puis de nombreuses invasions barbares et franques qui amenaient les habitants à se réfugier dans les abris naturels ou creusés dans les roches calcaires qui surplombent la vallée.
C’est cependant à partir de 1309 que l’histoire du château prend une importance singulière. Hugues d’Abzac est alors adoubé par le baron de Montclar. Il reçoit en donation La Monzie (La Moinerie) et le fief de Montastruc.
Quelques années plus tard, les premiers pillages du début de la guerre de Cent Ans conduisent son fils Hugues II à consolider dès 1329 les fortifications initiales du château. Il s’affranchit ainsi progressivement de son allégeance au seigneur de Montclar. Mais l’insécurité grandit. Les bandes armées sont devenues une menace permanente pour la forteresse. Ce verrou d’accès à la vallée présente en effet, pour tous les protagonistes, un immense intérêt stratégique.
Le petit neveu d’Hugues II, Bertrand d’Abzac va transformer cette menace en opportunité. Pour s’assurer une meilleure protection, il prend résolument le parti des Anglais et devient leur lieutenant général en Guyenne et le gouverneur de Domme. Il le paiera de sa vie. Charles VII, roi de France, le fait prisonnier et, pour l’exemple, le fait décapiter à Limoges le 1er mars 1439. Il ordonne ensuite la destruction du château de Montastruc « à la hauteur de l’infamie ». Dix ans plus tard, ce qui reste des bâtiments sera pourtant rendu à Jeanne de Beynac, la veuve de Bertrand d’Abzac, et le château sera partiellement reconstruit en 1480, avec l’appui du nouveau roi, Louis XI. Ce dernier souhaite, en effet, ménager une Aquitaine pacifiée depuis peu mais encore bien difficile à tenir.
À la période troublée de la guerre de Cent Ans succède, un siècle plus tard, celle des guerres de Religion provoquées en 1538 par les décrets de François 1er. Le catholique Blaise de Monluc, qui a écrasé l’armée de Symphorien de Duras à Vergt en octobre 1562 et y a massacré plus de deux mille huguenots, est chargé par Catherine de Médicis de maintenir l’ordre rétabli en Guyenne. En 1568, l’armée de Monluc assiège Montastruc et avec l’aide de deux canons, oblige la garnison protestante à se rendre. L’année suivante, le château sera restitué aux d’Abzac.
Le château de Montastruc retrouve sa fonction de refuge en 1650 : les frondeurs, poursuivis par les dragons de la régente Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, exfiltrent la princesse de Condé et son fils le Duc d’Enghien vers l’ouest de l’Aquitaine. Ils opèrent la jonction avec les armées du Périgord, remportent la victoire sur leurs poursuivants à Limeuil et font étape à Montastruc, avant de rejoindre Bordeaux.
Au XVIIIe siècle, sous Louis XV, le château gagne en majesté. Il prend l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui. Puis, à la Révolution, alors que Lakanal est missionné à Bergerac pour confisquer les biens de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie locale, Montastruc échappe de justesse à la destruction et aux saisies.
Au XIXe siècle le château est occupé par une Lostanges, vieille famille de Sainte-Alvère, puis les propriétaires se succèdent. Entre les deux guerres, le château appartient notamment aux Loeff, une famille de notables néerlandais.
Au début de la Deuxième Guerre mondiale, nouvelle exfiltration. Cette fois, c’est la très belle Charlotte de Luxembourg qui, sur le chemin de l’exil, trouve refuge à Montastruc. Elle y recevra sa belle-sœur Zita, la dernière impératrice d’Autriche-Hongrie accompagnée de ses huit enfants dont l’aîné, le célèbre archiduc Otto de Hasbourg. Leur départ pour une dangereuse traversée de la péninsule ibérique est organisé à la barbe des dictateurs Salazar et Franco par le consul du Portugal à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes, qui fait preuve à cette occasion d’une humanité remarquable.
« Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores »
Après la dernière guerre, le château appartient à une grande famille de magistrats, les Ordonneau, avant de changer brièvement de mains puis d’échoir au couple Raynaud de Fitte. Ces derniers ont depuis fait de ce lieu chargé d’une histoire mouvementée une splendide demeure où ne règnent plus désormais que le charme, la sérénité et l’esthétique. L’âme virile des bâtiments est atténuée par l’aura féminine de deux illustres Vénus : la très ancienne déesse de Montastruc sculptée à même le roc dans une des grottes du château et une copie de la très célèbre Vénus de Milo dont l’original acheté en Grèce par Lodoïs de Martin du Tyrac de Marcellus, comte de Marcellus et parent de l’épouse de Philippe de Fitte, fut offert le 1er mars 1821 à Louis XVIII qui en fit lui-même don au musée du Louvre.
Joliment meublé, le château comprend dix chambres et de magnifiques pièces à vivre où, le soir, la lueur des chandelles dore les visages et fait briller les regards. Montastruc est toutefois équipé confortablement et peut se louer intégralement avec parc, dépendances et piscine pour une semaine au minimum, mais uniquement à des familles ou à des petits groupes d’amis dont le nombre n’excède pas quinze à vingt personnes.
De leur côté, Philippe et Ségolène Raynaud de Fitte se réservent chaque année un temps de vacances dans leur fief de Montastruc. Ils partagent ces retrouvailles avec leurs enfants : Antoine, François, Adélaïde et Charles, les épouses d’Antoine et de François, Céline et Camille, et leurs enfants… Chaque membre de la famille a été autorisé à planter son arbre dans le parc et chaque ami de passage peut en faire de même, à condition de s’engager à en assurer les soins et l’arrosage régulier. C’est devenu une tradition à Montastruc.
Entre les Raynaud de Fitte et ce magnifique château emblématique du patrimoine périgordin, c’est donc une véritable histoire d’amour qui s’est construite au fil du temps.
Comme disait le poète René Char : « Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores ».
Comme disait le poète René Char : « Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores ».