Peintures murales en l’église de Montferrand-du-Périgord

Le taureau ailé (saint Luc), église Saint-Christophe, Montferrand-du-Périgord

La plupart des églises anciennes étaient recouvertes de peintures et de fresques. Sorte de bandes dessinées avant l’heure, leur fonction première était à l’origine d’ordre pédagogique. Il s’agissait d’initier les fidèles aux mystères de la religion et de les instruire. C’est le cas de l’église Saint-Christophe de Montferrand-du-Périgord qui présente de précieuses peintures médiévales, toutes en couleurs, et relativement bien conservées. Ces œuvres – qui, par nature, sont fragiles – constituent un patrimoine culturel inestimable.

On n’insistera jamais assez sur le mérite du maçon Jean-Marc Belgarric à qui l’on doit la découverte et la sauvegarde des peintures de l’église Saint-Christophe de Montferrand-du-Périgord, enfouies depuis des siècles sous une épaisse couche de badigeons, grâce à laquelle elles ont été protégées de dégradations inexorables. Mais avant d’en venir aux peintures elles-mêmes, il faut parler de l’écrin. Nous empruntons cette image à P. Oudin : « La découverte fortuite en 1980 d’un important décor de peintures murales a transformé ce modeste édifice (inscrit à l’I.S.M.H. en 1973) d’origine romane en écrin précieux »(1).

Depuis leur découverte, ces peintures ont été abondamment étudiées et ce qui suit doit beaucoup évidemment à ces études(2). On ne peut pas faire abstraction d’une tentative de restitution, sous forme de fresques à la chaux, venant d’une artiste peintre qui signe ses œuvres « Tedo »  ; ce ne sont évidemment pas des travaux d’archéologue, mais ils sont à prendre en considération car les yeux d’un artiste voient souvent ce que l’archéologue ne voit pas. Nous les utiliserons donc aussi.

On identifie en effet deux périodes séparées par deux siècles : les plus anciennes dateraient au plus tôt du XIIe siècle, plus vraisemblablement du XIIIe, sans exclure une date plus tardive encore (M. Gaborit). Elles sont peintes « à fresque » (sur un enduit encore frais)  ; toutes les autres sont du XVe siècle et peintes « à la détrempe » (sur un enduit sec de nouveau humidifié). Après leur découverte en 1980, elles ont été restaurées en 1982 ; une deuxième campagne de restaurations s’est terminée en 2005 et a redonné un peu plus d’éclat à ces vieilles peintures.

Sur le mur nord de la nef, avant son raccourcissement, devait se voir un défilé de personnages et d’animaux symbolisant les péchés capitaux. Il n’en reste que des lambeaux et très dégradés et impossibles à identifier avec certitude. La plupart des commentateurs ont cru identifier la luxure. Tedo, avec les yeux de la foi et le secours de l’objectif photographique d’un habile technicien, y a vu un lion que chevauche un personnage richement vêtu observé avec envie par une pauvre femme, c’est-à-dire la représentation symbolique de l’orgueil et de l’envie, en un chien (souvent associé à un homme serrant avidement deux bourses dans ses bras), symbole de l’avarice et en a donné une restitution convaincante.

Bien que très dégradée, à droite, une scène reste lisible et représente le Léviathan dont la gueule largement ouverte engloutit les damnés soumis au feu éternel. Sa récente restauration a très modérément, mais nettement amélioré sa lecture.

Deux croix de consécration sont peintes ; le peintre a utilisé les mêmes couleurs (elles sont de la même époque) et la litre a visiblement été peinte postérieurement aux croix. Il devait y en avoir d’autres, en particulier sur le mur sud où elles ont totalement disparu.

La scène suivante est la plus intéressante (ce panneau du XIIe siècle, que certains interprètent comme un ex-voto) : elle évoque la libération des prisonniers par la médiation de saint Léonard. Elle est assez bien conservée, sauf la partie inférieure qui a subi les outrages irrémédiables du temps. Léonard vivait vers l’an 500 (selon Jacques de Voragine, La Légende dorée) et mourut en 571. Il avait reçu le baptême de saint Rémi. Clovis l’estimait tant qu’il lui donna l’autorisation de libérer tous les prisonniers qu’il désirait, ce qui lui permit d’accomplir de nombreux miracles. C’est bien l’un d’eux qui est représenté ici : deux personnages agenouillés aux pieds du saint prient pour le remercier de les avoir fait sortir de la prison figurée à droite de la scène, les portes grand ouvertes. À gauche de cette scène se trouve un petit tableau où un aigle semble posé sur un cercle à l’intérieur duquel est peinte une « croix pattée de gueules » (une étude attentive de ce panneau montre que cette partie est antérieure au saint Léonard).

Sur l’intrados de l’arc, au-dessus de la scène précédente, est peint un visage dont le style rappelle celui du visage de saint Léonard et qui, pour cette raison, doit être contemporain. De l’avis général, il s’agit du visage du Christ. Saint Léonard n’aurait été qu’un simple médiateur et c’est au Christ lui-même qu’il fallait attribuer le mérite de la libération des prisonniers. D’autres suggèrent qu’il pourrait être le « portrait » de la dame de haute naissance, commanditaire de l’ex-voto.

La scène de l’Annonciation, quoique très dégradée, reste bien lisible, mis à part les inscriptions du phylactère qui virevoltent entre Marie et l’archange Gabriel (Tedo y voit de brèves reprises de l’Ave Maria et du Magnificat). La Vierge, agenouillée devant un pupitre, lit.

Des processions de déchiffreurs ont défilé devant le cartouche qui surmonte la baie du chevet. Mots abrégés, lettres estompées, entassement peu sûr des jambages, caractères gothiques atypiques leur ont donné bien du fil à retordre. Quelques doutes planent encore, mais il semble que l’accord puisse se faire sur la lecture suivante : Christum puerum in collo sed Deo / que carmina tollo / Christoforens videas ed / inde tutus vadas. Soit : « Je porte sur le cou le Christ enfant, mais aussi Dieu. Regarde Christophe et pars rassuré ». Ce texte est évidemment relatif à la légende de ce saint.

De la scène, partiellement détruite lors du percement de l’ouverture rectangulaire, il ne reste que les têtes nimbées de trois personnages dont N. Mouillac n’a su que faire. L’opinion de Tedo sur cette scène paraît devoir être retenue. L’artiste y voit, à juste raison sans doute, un morceau d’Annonciation : « On devine [écrit-elle dans un dépliant de présentation de ses œuvres] trois personnages, l’Ange Gabriel et Marie sont reconnaissables. Je pense aujourd’hui que Marie tient un livre dans la main gauche, et le troisième personnage, un peu à l’arrière, pourrait être Joseph, souvent représenté sur les chapiteaux romans ». Au centre, on peut en effet reconnaître l’ange regardant Marie qui l’accueille à droite. À gauche, très dégradée, la tête de Joseph.

Un lambeau de Cène a été sauvé, deux des apôtres seulement. Lorsque la fresque était complète, des cartouches portant leurs noms permettaient de les identifier. Un seul est aujourd’hui à peu près lisible et porte le nom de Jude (Jude tient un gobelet dans sa main gauche). L’identification du second personnage, à sa droite, tient de la spéculation (peut-être Simon le Zélote ; il tient un pain dans sa main droite). Au-dessous, la litre est venue surcharger le tableau. On y voit l’écartelé d’or et de gueules des Biron, ce qui pourrait confirmer les hypothèses émises plus haut.

Les peintures de la voûte se laissent facilement lire, en dépit d’importantes dégradations. Un Christ Pantocrator, assis sur un trône, bénissant de la main droite, tenant un globe crucifère de la gauche, préside au centre (peut-on faire pour ses pieds la même remarque que pour le vase de l’Annonciation ? Ou bien n’y a-t-il là qu’une maladresse du peintre ?). Il est entouré du Tétramorphe. Le morceau le mieux conservé est le taureau de saint Luc ; le lion de saint Marc est dans un état de moindre fraîcheur, mais reste lisible dans tous ses détails. L’homme de saint Matthieu et l’aigle de saint Jean sont dans un état précaire. Tedo a restitué ces deux derniers évangélistes d’une manière convaincante, y compris les inscriptions des phylactères (Homo Mattheus Universalis et Virgo Jehan). Plus près de la nef, parmi un semis d’étoiles, le soleil a perdu la moitié de ses rayons et sans doute aussi un œil. On ne manquera pas de remarquer l’air goguenard de la lune.

Texte Jean Darriné, photos et croquis © JF Tronel

À propos de l’auteur : ancien professeur agrégé des chaires supérieures, a enseigné la physique en classe de Mathématiques spéciales, a été membre des jurys du CAPES et de l’agrégation, avant de se reconvertir dans l’histoire locale et dans l’inventaire du petit patrimoine rural bâti du Périgord. Il a publié Montferrand du Périgord, de la nuit des temps à la Révolution aux Éditions Esprit de Pays (2018), Moulins et Meuniers, Montferrand-du-Périgord aux Éditions Esprit de Pays (2017). Il a également publié, sous la direction du Pays beaumontois, Les Croix, aux éditions La Pierre Angulaire (Bergerac, 2004), ainsi que Florilège du petit Patrimoine rural bâti du Périgord, publié pour le vingtième anniversaire de l’Association La Pierre Angulaire (Périgueux, 2013), ouvrage couronné par l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, Prix 2013 de la Fondation du Patrimoine.


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Dans son ouvrage Montferrand du Périgord, de la nuit des temps à la Révolution, Éditions Esprit de Pays (2018), Jean Darriné publie une longue étude consacrée aux peintures murales en l’église Saint-Christophe de Montferrand-du-Périgord. L’auteur a réuni de nombreuses photographies, illustrations et croquis qui rendent attrayante la visite de ces fresques, livre en main. Pour le commander, cliquez ici



Notes :

  •  (1) Consultez la page Église Saint-Christophe de Montferrand-du-Périgord sur le site Wikipedia.
  •  (2) La première étude en date est due à Bernard de Montferrand (Les peintures murales de l’église Saint-Christophe de Montferrand-du-Périgord, bulletin de la S.H.A.P., 1985, tome CXII, p.156 et suiv.) et fut publiée peu de temps après la première restauration. La seconde, la plus complète et la plus détaillée, est de la plume de Nathalène Mouillac. La dernière, la plus savante, est de la regrettée Michèle Gaborit (Des Hystoires et des Couleurs – Peintures murales en Aquitaine, éd. Confluence, 2002, mais elle n’est que partielle, l’auteur s’étant volontairement limité aux plus anciennes.

Crédit Photos :

  • © Jean-François Tronel.

Cet article a été publié dans le numéro 16 du magazine « Secrets de Pays ».

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