Granges, appentis, pigeonniers et autres dépendances…

Vaste grange “surbaissée” d’esprit lot-et-garonnais, logis prolongé par des annexes et une curieuse “tour” percée de quatre baies ogivales – Vers Falgueyrat © Gérard Lallemant

Tout le charme de nos fermes et maisons ancienne

Le Pays de Bergerac peut s’enorgueillir de posséder mille et un châteaux, bastides, églises, chapelles et abbayes… À cet héritage monumental s’ajoutent mille et une constructions traditionnelles dont l’architecture met nos campagnes en beauté. Au fil des petites routes du Pays, nous vous convions à une réjouissante chasse aux trésors.

Discrétion et séduction

Implantation des bâtiments, intégration dans le paysage, mise en œuvre et couleurs des matériaux, utilisation optimale du terrain… Voilà ce qui fait la qualité et la variété du patrimoine architectural rural en Pays de Bergerac, l’une des expressions les plus évidentes de sa culture — car ce sont les hommes du cru qui ont édifié ces bâtiments, avec les matériaux disponibles sur place, dans le respect des traditions locales.

Pour mener à bien un chantier, on faisait souvent appel à un maître-maçon qui, après avoir été formé au contact d’artisans plus expérimentés, coordonnait les travaux. Une grande économie de moyens était de règle et, de cette volonté, sont nées des constructions qui se fondent parmi les autres et structurent le paysage. Paradoxalement, c’est cette démarche d’humilité qui a conféré charme et caractère à la plus modeste des bâtisses. Belle leçon de discrétion que nous ont donnée nos anciens.

Vues de loin, ces architectures sans maître d’œuvre nous touchent par l’équilibre des volumes, l’assemblage harmonieux des toitures, la justesse des proportions, le choix pertinent des couleurs, ou bien encore une note de fantaisie… Tout a son importance dans ce jeu subtil de la séduction ! Approchons-nous : couleurs, matières et détails s’affirment, les libertés prises par les artisans s’affichent, tuiles et enduits se parent de mille nuances… De plus près encore, on constate que la charpente a fléchi sous le poids des ans, un mur a pris de l’embonpoint, le toit d’une grange montre quelques signes de faiblesse : un arêtier défie le principe de la ligne droite, le faîtage s’est légèrement incurvé… Le charme des vieilles demeures tient aussi à ces menues imperfections. Mais il est, avant toute autre considération, le résultat du savoir-faire de l’artisan et au fait qu’il a travaillé en utilisant le pied (32,4 cm) plutôt que le mètre. L’humain est ici partout présent !

Le bonheur est dans la diversité

Au-delà des bourgs et hameaux, que nous ne traiterons pas dans ces lignes, l’habitat rural se compose essentiellement de fermes et maisons isolées. Parmi celles-ci, on distingue quelques chartreuses, gentilhommières et autres maisons de maître, rares, belles, parfois un tantinet ostentatoires. Mais ce sont surtout la modeste maison du journalier (ou borderie) et la métairie du petit propriétaire ou du métayer qui animent nos paysages. Ces constructions s’organisent autour de choses essentielles à la vie : se loger, abriter animaux, matériel et récoltes, accéder à l’eau. Viendront ensuite se juxtaposer, au gré des générations et avec une rigueur incertaine, des dépendances qui dessineront une cour plus ou moins ouverte sur le monde extérieur, ou fermée par un mur percé d’un porche… Ainsi sont édifiés chai, séchoir, four, édicules pour les animaux (poulailler, clapier, soue à cochon…) et, si les moyens financiers sont là, une “vraie” maison ! Ajouts et démolitions modifieront peu à peu le bâti originel — sans jamais le dénaturer. Au contraire : ce sont tous ces bâtiments, construits à des époques différentes, qui confèrent à ces ensembles leur âme autant que leur charme, indéniable.

Faut-il catégoriser ces constructions ? Au-delà de la cour, ouverte ou fermée, voici donc le bloc à terre, constitué d’un élément d’habitation unique et de plain-pied, à l’exemple des petites maisons de vignerons. Il peut aussi regrouper des pièces aux fonctions bien différenciées, à l’image de la longère qui abrite, sous un même toit, le logis et les locaux nécessaires à l’exploitation et dont les portes d’accès sont parfois percées dans un seul mur gouttereau. Le bloc en hauteur, lui, comprend un logis à l’étage, généralement accessible par un escalier extérieur, et des dépendances au rez-de-chaussée, les annexes étant le plus souvent séparées.

Au sein de cette symphonie architecturale, le pigeonnier constitue un élément fort : on le bâtit fréquemment un peu à l’écart, de plain-pied ou sur colonnes — et il se fait œuvre d’art. Si l’espace manque, on l’intégre ou on l’accole à l’une des annexes, on le fait échauguette, tourelle ou couronnement d’un porche. Dans tous les cas, le pigeonnier est traité comme un “signal”. On peut aussi s’en passer, sans pour autant renoncer à une chair délicieuse et à une colombine aussi riche que gratuite ! Il suffit de réserver, dans un mur ouvrant sur les combles, quelques trous (ou fuyes), assortis d’un bandeau de pierre (la randière) à double emploi : plage d’envol pour les oiseaux, et obstacle dissuadant le prédateur de vouloir gober un œuf ou croquer un pigeonneau distrait.

Aujourd’hui, nous apprécions le charme de telle maison ancienne parce qu’elle est bien intégrée dans le paysage. Mais pense-t-on à remercier celui qui a fait le choix du lieu, qui a pris en compte l’ensoleillement, la vue, les vents dominants et la présence de l’eau mais s’est refusé à consommer la moindre parcelle de bonne terre — de ce point de vue, de nos jours, on a beaucoup moins de scrupules ! Adossée à un banc rocheux, épousant une pente, édifiée en ligne de crête ou en lisière de forêt, la maison se fond tout naturellement dans son environnement grâce à une utilisation pertinente du terrain.

La disponibilité immédiate des matériaux a logiquement conduit à la diversité et à la beauté brute de ces architectures… Ainsi, le calcaire blanc d’Eymet est délicat à travailler alors que la variété couleur miel de Beaumont-du-Périgord se prête à toutes les prouesses du tailleur de pierre. Dans la forêt du Landais et là où la pierre manque, on adopte le pan de bois garni de bricous et/ou de torchis (mélange d’argile, paille et jonc hachés, poils et crins d’animaux), que l’on enduit ou pas. Du côté de Gardonne, on fait usage d’une maçonnerie mixte de galets et tuilots — effet décoratif garanti, même si ce ne fut pas le souci premier du bâtisseur !

L’ardoise et la lauze n’étant que peu utilisées, sauf aux confins du Périgord noir, ce sont la tuile canal (creuse, romane, romaine, les appellations ne lui manquent pas !) et la tuile plate qui se partagent le territoire. La tuile canal est destinée aux couverture à pente moyenne ou faible, la tuile plate s’impose sur les pentes fortes – on parle alors de toit celtique. On rencontre aussi d’admirables toitures à pans brisés (dites à la Mansart –, où les deux types de tuiles se trouvent souvent élégamment associés.

Pierre pour les murs, escaliers extérieurs et refends, terre cuite pour couvrir la maison, daller son sol, la cloisonner… Et le bois ? En ces temps bénis, on trouve facilement les essences (chêne, peuplier, châtaignier, noyer, pin, orme…) qui répondront aux besoins du chantier : charpente, planchers, menuiseries, bardage, escalier intérieur… On sait abattre les arbres à la bonne époque (en lune descendante, pendant la période hors sève) et, une fois les grumes débitées, on sait patienter le temps nécessaire pour que le bois d’œuvre soit parfaitement sec. Autres temps, autres approches de l’art de construire…

Compléments beauté

Mais que serait la toiture d’une maison sans cette puissante souche de cheminée, sans ces ajouts qui font son attrait : épi de faîtage, génoise, outeau (rampant ou triangulaire), lucarne de forme simple, parfois déroutante, ou plus élaborée, avec fronton et ailerons à volutes, signes d’une certaine aisance. Que serait ce mur sans l’excroissance d’une pierre d’évier, cet œil-de-bœuf, ce modeste fenestrou ou ces encadrements de baies sculptés… Ou ce pan de bois sans ses éclisses disposées entre les poteaux ou colombes afin de maintenir le torchis… Que dire encore de ce portail de grange au bois usé par le temps et qui a pris la couleur des tanins, ou de cette porte de logis aux planches hérissées de têtes de clous forgés, équipée d’un heurtoir et d’une poignée de loquet à bouton poucier, petits chef-d’œuvre de ferronnerie…

Autres accompagnements de ces architectures, qui ajoutent encore à leur charme et à leur intégration, les végétaux : on habille la façade Sud d’une vigne vierge, d’une glycine ou d’une treille — et le mur se teinte du bleu inimitable de la bouillie bordelaise… Potager et verger sont grillagés pour freiner les ardeurs des lapins et chevreuils ! Autour de la propriété, des murets de pierre sèche alternent avec des clôtures de picassous en chataîgnier refendu, au grisé incomparable, ou des haies formées d’essences locales… Sans oublier un ou deux arbres, plantés dans la cour au début du chantier d’origine, qui offrent désormais leur ombre bienfaitrice et leur forme apaisante : tilleul et chêne sont majoritaires, et devancent le frêne, l’érable, le pin parasol, le cyprès ou le cèdre…

Quand l’Histoire s’en mêle…

Les maisons traditionnelles du Bergeracois datent, pour la plupart, de la période début XVIIIe / fin XIXe. Les bâtisses plus anciennes sont rares, hormis quelques manoirs, chartreuses et maisons citadines, de construction plus solide et soignée, qui nous font parfois remonter jusqu’au Moyen Âge. Mais qu’on ne s’y trompe pas : une date gravée sur un linteau ou une clé de cintre ne signifie pas que la maison ait été construite cette année-là ! Il peut en effet s’agir d’un élément de récupération, à moins que le propriétaire ait remplacé la pierre d’origine — parce qu’elle se fissurait, ou bien à l’occasion d’un mariage par exemple.

La présence de constructions spécifiques en des lieux précis et l’utilisation de certains matériaux sont souvent liées à des faits historiques. Ainsi, vers Montagnac-la-Crempse, on est surpris de découvrir de belles chartreuses dans une région qui semble si “démunie”. Mais ici, il y a un siècle, régnait la prospérité : le village était chef-lieu de canton (avant d’être “détrôné” par Villamblard et de perdre ses notables) et de grandes familles contrôlaient les forges et minoteries disséminées le long de la Crempse. Autre exemple, l’usage de la tuile plate a fait suite à l’installation de migrants venus du Nord, à la fin du Moyen Âge. Quant aux madriers des maisons “à empilage”, dont on trouve quelques rares exemples vers Beaumont et le Nord-Agenais, ils témoignent de l’existence de vastes futaies de chênes qui furent ensuite défrichées, vers les XVe et XVIe siècles, pour que d’autres populations immigrées puissent cultiver la terre.

Défendons-nous !

À bien des égards, la Dordogne garde son image rurale du XIXe siècle. Ce qui fut longtemps un handicap constitue aujourd’hui une richesse… Protéger le patrimoine rural est un devoir, le restaurer correctement en est un autre. Contribuer à sa défense et à la sauvegarde des paysages permet, accessoirement, de proposer à nos visiteurs une forme de tourisme culturel “doux”… Mais alors, défendons-nous contre l’appétit féroce des “pavillonneurs” ! Refusons que nos terres agricoles soient bétonnées, que nos paysages soient injuriés par des bâtisses sans âme, laides, prétentieuses — verrues de style basque, provençal ou pseudo-périgourdin dont nous n’avons que faire !

Privilégions une rénovation de notre patrimoine rural qui respecte l’originalité de chaque construction et les traditions locales, en conservant les matériaux d’origine, en utilisant des produits anciens… Tels sont les commandements qui devraient guider toute restauration, de même que ce précepte, trop rarement pris en compte : “La maison n’appartient pas à celui qui l’habite, mais à celui qui la regarde.”

Gérard Lallemant
Texte, dessins et photos — sauf mention contraire

Nos remerciements à P. Bacogne pour ses photos

Bibliographie

Quelques ouvrages, parfois anciens, pour décrypter les constructions traditionnelles de notre région ou se lancer dans une rénovation :
–  L’architecture paysanne en Périgord et sa restauration par Jean-Paul Simon — Éd. Fanlac, 2006
–  Patrimoine de pays en Périgord — Inventaire dressé par le CAUE de la Dordogne, 2000
–  Réhabilitation rurale par Michel Senaud — Éd. Guliver, 1987
–  L’architecture rurale en projets — Fiches-conseils du CAUE de la Dordogne, 2015
–  Le vocabulaire d’architecture du petit patrimoine — Brochure de La Pierre Angulaire


Cet article a été publié dans le numéro 15 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer en consultant la boutique du site…

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