Fabrice Thomasseau, « Le vertige des profondeurs »

Un dyptique du photographe Fabrice Thomasseau, exposition « Clair Obscur », novembre 2013, à Couze
Peintre de la couleur et du voyage, depuis son enfance au Maroc, Fabrice Thomasseau s’intéresse tout particulièrement aux liens clairs/obscurs entre les éléments.

Ces dernières années, c’est en rêveur romantique, dans le silence des paysages en friches, qu’il puise une partie de son inspiration. Depuis un séjour à Prague, nourri de l’Expressionnisme de Munch et Schiele il aime à fouiller dans les zones d’ombres de l’être et du monde. Son goût pour l’ailleurs le conduit ensuite au Bénin, où il s’immerge dans une lumière qui révèle les contrastes de l’humanité. Il en reviendra transformé, sûr que la peinture est le médium idéal pour fixer les dérives et les oublis de notre mémoire.

Portrait du photographe Fabrice ThomasseauLorsqu’il rencontre le village de Couze et Saint Front, le désir de revisiter le patrimoine industriel papetier devient une évidence. Depuis Non Lieux au Musée d’Art et d’Archéologie du Périgord (MAAP, Périgueux), en 2011, et Images en Marges, en 2012, à la Galerie du Domaine perdu, à Meyrals, il développe un travail de recherche, mêlant peinture et photographie. Dans ses dyptiques saisissants de beauté crue, il porte son attention sur les lieux désertés par la présence des hommes, dans lesquels la nature a repris ses droits. À Couze et Saint Front, il s’empare de la question papetière pour signer un travail exclusivement photographique, dédié à une végétation en cascade et à des portraits d’hommes et de femmes, ayant fréquenté les usines, face aux vestiges du temps, papiers brûlés, restes d’incendies, qui ont ravagé les lieux. La poésie du végétal domine largement dans cette dernière exposition, Clair-Obscur, dans laquelle l’artiste met au jour l’invisible, l’indicible. Le changement des cycles et le passage du temps dessinent un pont entre passé et présent, laissent entendre le chœur des ouvriers, dans les méandres des ruines. Invitation à l’errance et à la rêverie  d’un promeneur solitaire, ses « gueules » de Couzots se révèlent dans un brasier rougeoyant et se donnent comme les reflets de l’âme de ce « non-lieu ». Peintre de la synesthésie, Fabrice Thomasseau fait résonner avec la pudeur et la bienveillance qui le caractérisent, les bruissements d’hier dans le silence des ruines. Livrés bruts, sans aucune retouche, les clichés en duos/duels dévoilent le processus de création de l’artiste, qui se joue des accidents heureux de l’instant et révèlent une mémoire de vie, quelques traces d’absence.

Aurélie Chauffier

Dyptique du photographe Fabrice Thomasseau

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Dyptiques de l’exposition « Clair Obscur ».

Exposition « Clair Obscur »

Fabrice Thomasseau a choisi le village papetier de Couze et Saint Front pour y poser, l’espace d’un moment, son regard d’artiste. Ainsi, lors de la cinquième édition de « Papier d’Art, papier de Couze » du 12 octobre au 10 novembre 2013, son exposition, « Clair Obscur », a permis au public de découvrir l’univers familier des friches industrielles, revisité par l’artiste.

PROPOS de Fabrice Thomasseau recueillis par le philosophe Patrick BRETON :

Le projet de Couze m’offre une nouvelle opportunité d’approcher des bâtiments industriels du 19e siècle où l’on fabriquait du papier. Depuis l’incendie de 1968, la nature a complètement reconquis ses droits. Je v ais recueillir des témoignages et photographier les hommes et les femmes qui ont travaillé dans ces lieux et en perpétuent la mémoire.

Lors de mes premiers repérages au printemps, j’ai pénétré les lieux ravagés, calcinés, ouverts sur des ciels de traverse. C’est d’abord la végétation qui frappe le regard ; elle envahit l’espace entier, recouvre de lichens et de lierre des poutres obliques, des tôles pliées ; des ronces traversent les murs et de grandes fougères se dressent vers la lumière. Le vert des végétaux saute d’autant plus aux yeux qu’il est révélé par des surfaces charbonneuses et des ombres marquées comme si des murs entiers avaient été recouverts de graphites, frottés à la pierre noire.

Une mélancolie émane de ces espaces. Le cycle des plantes a remplacé la ronde des ouvriers, les mots échangés dans l’action répétée, les souffles du labeur. Aujourd’hui ne règne que le silence. Silence propice à l’immersion, à la méditation, aux pensées volatiles.

J’espère que ce silence sera perceptible dans les clairs obscurs des photographies. L’on pourra peut-être ressentir combien il remplit l’espace de ces lieux, combien il nous dispense de la parole. On rencontre dans ces ruines la présence des anciens ; leurs ombres traversent la poussière, leurs pas s’inscrivent encore dans la cendre et dans la boue. Le sol est jonché d’objets et d’outils depuis longtemps abandonnés, témoins immobiles d’actions pétrifiées, de gestes perdus d’un autre temps. J’ai ressenti alors la nécessité d’écouter la parole de ceux qui ont œuvré sur ce site afin de préserver des lambeaux de mémoire.

J’ai mis en place des diptyques où le visage de ces personnes, éclairé à la bougie, se juxtapose au silence de lieux hantés par les flammes de l’incendie où la menace d’un ravage qui se propage s’est enfin tue.

La référence à la peinture (Georges de la Tour, Le Caravage) est délibérée. L’on peut aussi lire dans ces gisements de papiers éparpillés la quiétude d’une méditation, le recueillement d’une prière. Les visages des anciens reflètent une forme de sérénité, d’apaisement, de tranquillité.

J’espère que l’on pourra y discerner ce même voile de paix qui recouvre le visage de Madeleine à la veilleuse de Georges de la Tour. René Char dans Fureur et Mystère évoque cette toile où le verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore.>

Ce que je tente de faire ici, c’est la mise en résonance d’un espace détruit (le dehors), avec les traces d’un espace mental lisible sur les rides des anciens (le dedans).

Je souhaiterais mettre en tension deux topoï que l’ombre et la lumière enveloppent de silence dans les arcanes du clair-obscur. »

Le-domaine-perdu-logoExtrait de l’ouvrage « Le vertige des profondeurs ».

Éditions Le domaine perdu, Collection « En aparté », Meyrals. www.ledomaine-perdu.com.


Cet article a été publié dans le numéro 3 du magazine « Secrets de Pays ».

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