William Russell Flint, l’homme qui peignait le périgord

Sir William Russell Flint dans son atelier, à Londres, avec son modèle préféré, Cecilia Green © Susan Russell Flint

Cette année marque le cinquantième anniversaire de la mort de l’aquarelliste britannique sir William Russell Flint (1880-1969). Il avait un grand amour pour la France et particulièrement pour le Périgord.

De tous les médiums utilisés par les artistes peintres – huile, acrylique, pastel, tempéra, fresque – l’aquarelle est la plus exigeante. Aucun autre médium n’est aussi insaisissable ni aussi imprévisible. Tous ceux qui ont déjà goûté à l’aquarelle peuvent en témoigner : souvent, c’est le médium et non le peintre qui détermine la direction artistique. Avec l’aquarelle, des effets inattendus peuvent élever une œuvre basique au rang de grand Art. C’est la magie de l’aquarelle. De tous les magiciens qui l’ont pratiquée, sir William Russell Flint est l’un des plus grands.

Comme pour la plupart des artistes, sa cote a fluctué. Il y a encore ceux qui jugent ses tableaux dignes seulement de figurer sur les calendriers et les boîtes de chocolat. Cependant, aucun critique ne lui a jamais reproché sa superbe technique. Là est le problème : il a rendu l’aquarelle trop facile !

William Russell Flint est né à Édimbourg (Écosse) en 1880. Il s’installe à Londres à l’âge de vingt ans. Il est employé comme illustrateur. De 1903 à 1907, il travaille pour un hebdomadaire populaire, The Illustrated London News. Malgré les progrès de la photographie, le journal utilise encore des dessins et des gravures. L’une des activités de Russell Flint consiste à dessiner l’événementiel. L’habitude de graver sur papier des images et des impressions rapidement, dans des conditions souvent difficiles, constitue pour lui un précieux apprentissage qui lui servira quand il se mettra à peindre des aquarelles en plein air, à la merci d’une météo capricieuse.

Travailler dans le milieu de la presse et de l’édition – plutôt que solitaire dans un atelier mansardé – lui a appris autre chose qui lui sera profitable pour la suite de sa carrière. Bien que l’œuvre originale ait une valeur intrinsèque, le secret de la réussite financière réside dans la reproduction : l’impression et la vente de copies signées. En général, il s’agit de tirages limités, mais limités à des centaines d’exemplaires pour chaque original !

Cette combinaison de talent naturel, de compétences acquises et du sens aigu des affaires fait qu’il a été consacré à la fois par le public et par ses pairs comme « meilleur aquarelliste de sa génération ». En 1947, Russell Flint est fait chevalier par le roi George VI. Il devient Sir. Même s’il a la soixantaine bien avancée, certains de ses meilleurs travaux restent à venir. Il continue à peindre et à dessiner jusqu’à sa mort, survenue dans sa quatre-vingt-dixième année.

Tout au long de sa longue vie, sir William est constamment à la recherche de nouveaux endroits pour nourrir sa faim créatrice. Son Écosse natale lui a offert des paysages spectaculaires. Son point fort étant sa capacité à reproduire sur papier l’interaction entre l’ombre et la lumière, ce dont il a le plus besoin, c’est du soleil ; mieux encore, des rayons du soleil tombant sur de vielles pierres ou sur l’eau vive. C’est ce qui l’a poussé à traverser la Manche et à voyager vers le sud, à travers l’Europe continentale : l’Espagne, l’Italie… et la France.

La France offre à Russell Flint une variété infinie de côtes et de paysages, de la Bretagne à Paris en passant par la vallée de la Loire, puis les Alpes-Maritimes jusqu’à la Riviera. Il affectionne particulièrement le Périgord, surtout en automne, quand la lumière est douce et la pierre couleur de miel. Il y trouve des falaises de calcaire, des places avec des arcades, des châteaux crénelés et des cryptes voûtées qui constituent un décor parfait pour son répertoire de figures féminines.

Les rivières, les ponts, les moulins, les étangs et les humbles lavoirs de villages (toujours privilégiés) sont une source constante d’inspiration. Russell Flint est un maître de la représentation de l’eau en mouvement : qu’elle jaillisse, tourbillonne ou frissonne, elle est souvent l’élément le plus vivant de ses compositions.

Dans ses dernières années, sir William passe du temps à Brantôme, la « Venise du Périgord », et aux alentours. Une aquarelle de son fils, Francis Murray Russell Flint, le montre à son chevalet dans le centre-ville, près de la rivière Dronne. En suivant la Dronne plus au sud, sir William a peint le vieux pont en pierre de Bourdeilles. Seize kilomètres au nord-est de Brantôme, le moulin de Saint-Jean-de-Côle sert de toile de fond idéale à un couple de paysannes se détendant sur l’herbe. Des décennies plus tard, alors que les filles sont parties depuis longtemps – ou tout juste à la retraite – le moulin, bien que restauré, est de suite reconnaissable.

Lorsque la représentation des lieux diffère de l’original, c’est dû à la vision de l’artiste qui « modifie » son regard pour des raisons esthétiques. Le tableau « Gossip After Market » (Potins après le marché) représente la plus parfaite des bastides, Monpazier. Ceux qui connaissent la place des Cornières risquent d’être désorientés par l’image. La porte nord de la rue Saint Jacques est là où elle doit être et le puits carré du village peut être aperçu entre les colonnes. Mais les arches en pierre ont été entièrement remplacées par des poutres en bois semblables à celles de la halle du marché qui, en réalité, ne se trouvent pas là. En fait, l’artiste est parti de deux vues distinctes, perpendiculaires l’une à l’autre, et les a fusionnées en une seule.

Pour son public britannique d’après la Guerre, la précision architecturale des peintures de sir William est de peu d’importance. Ce qui plaît, c’est l’atmosphère qui se dégage des scènes peintes. C’était bien avant que les vols à bas prix rendent les voyages vers le continent accessibles au plus grand nombre ; à une époque où l’huile d’olive est un produit que les Britanniques achètent en petits flacons à la pharmacie, non pour assaisonner la salade mais pour guérir le mal d’oreille. Les peintures de Russell Flint évoquent alors un monde fait de soleil et d’ombres, de longues siestes et de plaisirs langoureux. Mais elles ne constituent pas seulement une forme d’évasion, il s’agit aussi d’« Art ».

À ce stade, il est impossible d’éluder une question qui revient invariablement dans toute discussion sur l’œuvre de Russell Flint : l’érotisme des figures féminines à poitrine nue qui ornent si souvent ses aquarelles. Elles apparaissent également dans d’innombrables dessins exquis réalisés à la sanguine. La ligne entre sensualité et sexualité a rarement été si fine. Un critique, rappelant la tradition britannique de la peinture de paysage, a qualifié les œuvres de sir William de « paysages mammaires ». Ce n’est sans doute pas un hasard si l’une de ses aquarelles les plus vendues (Lavoir La Bastide) met en scène des paysannes nues et semi-vêtues adoptant des poses classiques.

Pourtant, le goût de Russell Flint pour le corps féminin est celui d’un artiste, pas celui d’un voyeur. Une belle femme, a-t-il déclaré, est l’une des merveilles de la création. Si ces images provoquent « un frisson » chez ses nombreux admirateurs masculins, ce n’était pas dans l’intention de l’artiste. Toute sa vie est marquée par une décence irréprochable. Lorsqu’il travaille dans son atelier, il porte habituellement une veste et un gilet avec col et cravate. Ses modèles sont peut-être Bohémiennes, mais sir William n’a jamais été tenté d’adopter la blouse tachée de peinture ni le béret désinvolte.

Un demi-siècle après sa mort, sir William continue à exister dans le monde virtuel. Il a même son propre compte Twitter : @SirWRF. Et on assiste à une sorte de résurrection : grâce aux progrès techniques, les derniers tirages sont plus étincelants et plus fidèles aux originaux que ceux produits de son vivant.

Dans le même temps, ses œuvres ont conservé leur valeur sur le marché de l’art. David Tatham (russellint.net) est basé en Angleterre. C’est le revendeur principal des œuvres de Russell Flint. « Une édition limitée signée par sir William, dit-il, se vendra aujourd’hui autour de 600 euros. Si vous voulez un original, vous pouvez vous attendre à payer quelques milliers d’euros, et pour une aquarelle comme La Cave Voûtée, jusqu’à 85 000 euros. »

Bien que Russell Flint ait peint abondamment à travers la France, ses œuvres restent relativement peu connues de ce côté-ci de la Manche, en dépit du style impressionniste de ses aquarelles et des comparaisons qui ont été faites entre ses dessins et ceux de Watteau et de Fragonard. Certes, ces œuvres sont conventionnelles et n’offrent pas de rupture avec le classicisme, elles ne flattent pas l’intellect ni n’atteignent des profondeurs existentielles… mais elles font ce que n’importe quel tableau que vous souhaiteriez accrocher au mur devrait faire : donner du plaisir. Quelle meilleure épitaphe pour un artiste ?

Texte et photos © Michael Delahaye, traduit de l’anglais par Rowena Dwyer
www.michaeldelahaye.com/monpazier

William Russell Flint (1)

William Russell Flint (1880 – 1969) est un peintre, illustrateur et graveur britannique. Cet artiste écossais est principalement connu pour ses aquarelles de femmes. Il a aussi travaillé à l’huile, au tempera et la gravure. Il est né à Édimbourg le 4 avril 1880. Il étudie au Stewart’s Melville College (en) puis à la Royal Scottish Academ1.

De 1894 à 1900, Flint devient apprenti en dessin lithographique pendant ses cours au Royal Institute of Art. De 1900 à 1902, il travaille comme illustrateur médical (en) à Londres pendant ses études à temps partiel à la Heatherley’s Art School. Il poursuit ses études de façon indépendante au British Museum.

Il devient artiste contributeur pour The Illustrated London News de 1903 et 1907 et réalise des illustrations pour des ouvrages, et en particulier Savoy Operas (1909) de William S. Gilbert, Les Mines du roi Salomon de Henry Rider Haggard (1885), Le Morte d’Arthur (1910-1911) de Thomas Malory et Les Contes de Canterbury (1912) de Geoffrey Chauc. Il participe à The Queen’s Book of the Red Cross (en) en 1939 : c’est un ouvrage publié au moyen d’une collecte de fonds effectuée par la Croix-Rouge dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Flint est l’un des principaux illustrateurs sélectionnés par Percy Bradshaw pour figurer dans son livre The Art of the Illustrator (1917-1918), qui présente un portfolio distinct pour chacun des vingt illustrateurs.

Pendant ses visites en Espagne, Flint est impressionné par les danseurs espagnols et les représente fréquemment pendant sa carrière. Il profite d’un succès commercial considérable, mais souffre de peu de respect de la part des critiques d’art, perturbés par le traitement érotisé de la femme qu’ils jugent grossier.

Membre de la Royal Society of Painter-Printmakers en 1933, Flint est élu président de la Royal Society of Painters in Watercolours (aujourd’hui la Royal Watercolour Society) en 1936 et conserve le poste jusqu’en 1956 ; il est fait chevalier en 1947. Flint reste actif comme artiste jusqu’à sa mort à Londres le 30 décembre 1969.

Texte et photo, Pierre Boitrel


Notes :

Crédit Photos :

  • Sir William Russell Flint © Susan Russell Flint
  • Sir William Russell Flint dans son atelier, à Londres, avec son modèle préféré, Cecilia Green © Susan Russell Flint
  • Bourdeilles sur Dronne © Susan Russell Flint
  • Le pont et le château de Bourdeilles (Dordogne)
  • Brantôme, la « Venise du Périgord » © Michael Delahaye
  • Aquarelle de Francis Murray Russell Flint, le fils de Sir William, montrant son père à son chevalet, Brantôme (Dordogne) © Susan Russell Flint
  • Le moulin de Saint-Jean-de-Côle © Michael Delahaye
  • La bastide de Monpazier, les arcades © Michael Delahaye
    Potins après le marché, Monpazier (Dordogne)
  • Lavoir La Bastide © Susan Russell Flint – Lavoir à La Bastide-d’Engras, près d’Uzès (Gard)
  • La Cave Voûtée (valeur approximative : 85 000 euros) © Susan Russell Flint – Village de La Vacherie (Drôme)

Cet article a été publié dans le numéro 14 du magazine « Secrets de Pays ».

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