On est frappé par la présence des très nombreuses reproductions préhistoriques de bisons, en gravures, en peintures et en sculptures sur ivoire ou en argile. C’est l’animal qui est le plus fréquemment représenté dans l’art paléolithique (en Europe, plus de 850 représentations), avec les chevaux, les mammouths et, dans une moindre mesure, les aurochs. Mais quelle est cette espèce de bison qui est représentée sur les murs de nos grottes du Périgord ? S’agit-il de l’actuel bison d’Europe, sauvé in extremis de l’extinction ?
L’espèce de bison qui foulait jadis notre continent était le Bison des steppes (Bison priscus). Il a été progressivement remplacé par le bison d’Europe (Bison bonasus), de taille légèrement inférieure. Les hommes préhistoriques ont été les témoins de cette transition et ils en ont rendu compte dans leurs représentations picturales. En effet, les artistes ont peint cette transition entre les deux espèces de bisons, ce qui explique pourquoi on retrouve sur les murs de nos grottes européennes des œuvres correspondants à deux morphologies différentes. C’est l’étonnante découverte qu’a faite une équipe de chercheurs australiens, grâce aux technologies combinées de l’ADN ancien et de la datation au radiocarbone.
Le Bison de Higgs
Dans un article institulé « La découverte d’une nouvelle espèce de bison confirmée par des peintures rupestres », publié par Elena Scappaticci dans Le Figaro Culture du 10 janvier 2017, on peut lire ce qui suit :
Tout commence en 1999, lorsque l’équipe de l’Australian Centre for Ancient DNA commence à étudier l’ADN mitochondrial d’anciens ossements de bison trouvés à travers l’hémisphère nord, notamment pour étudier l’impact du changement climatique sur les populations animales en Europe. Les analyses d’ADN réalisées laissent alors les scientifiques perplexes : elles révèlent que les ossements en question ne peuvent provenir du bison des steppes, alors qu’il s’agit à ce jour de la seule espèce de bison connue à avoir vécu en Europe durant le Pléistocène supérieur. Plus curieux encore, cet ADN ne correspond pas non plus à celle du bison d’Europe !
Les scientifiques décident alors de surnommer ce nouveau bison « Bison de Higgs », par analogie avec la quête du boson de Higgs, et poursuivent leurs analyses. L’étude détaillée de son ADN nucléaire révèle quelque temps plus tard qu’il s’agirait d’un croisement hybride, entre un auroch femelle et un bison des steppes mâle, qui aurait évolué en Europe dès 120 000 av. J-C.
Mais cette hypothèse étonnante demandait confirmation. Et cette confirmation est venue… de l’art rupestre ! Une équipe de chercheurs français spécialisée dans l’art pariétal aurait distingué deux formes de bisons distinctes dans des peintures rupestres situées dans le sud-ouest de la France. Une espèce dont les grandes cornes pourraient la rattacher au bison des steppes, animal qui dominait le paysage en -18 000, et un autre animal, inconnu jusqu’alors, aux cornes nettement plus petites. La datation au radiocarbone des représentations étudiées montre qu’ils furent réalisés en -17 000, époque durant laquelle notre nouvelle espèce de bison serait précisément apparue dans les steppes européennes ! (1).
Cette étude ne répond pas à toutes les questions. Par exemple, on ne sait toujours pas pourquoi ni où s’est produit l’hybridation originelle, mais la reproduction récente entre ours polaires et ours bruns en réponse aux réductions de l’aire de répartition induites par le climat nous donne un indice : c’est sans doute un changement climatique majeur – en l’occurence un réchauffement rapide – qui serait à l’origine de l’extinction des bisons des steppes. Quoi qu’il en soit, nous savons maintenant comment le Bison de Higgs – un croisement entre un aurochs femelle et un bison des steppes mâle – est devenu le bison d’Europe ! — Voir notre article L’aurochs reconstitué, une supercherie ?
Le mystère des peintures rupestre résolu
Les peintures rupestres datant du Pléistocène que l’on retrouve dans les grottes européennes représentent deux formes de bisons à la morphologie différente. Les uns parés de longues cornes, les membres antérieurs très robustes et une ligne dorsale oblique (très ressemblants aux bisons américains, les bisons des steppes) ; les autres pourvus de cornes à double courbure, des proportions plus équilibrées et une bosse plus petite, très semblables aux bisons d’Europe. En mettant ces illustrations en lien avec leurs découvertes, les chercheurs ont compris que ces artistes avaient peint la transition entre deux espèces de bisons : le Bison des steppes (Bison priscus) et le Bison d’Europe (Bison bonasus) (2).
Les deux formes de bisons dans les peintures rupestres : a) la morphologie du bison des steppes (reproduction des grottes de Lascaux, France), b) la morphologie du bison européen (reproduction des grottes de Pergouset, France). © Nature Communication.
Le bison dans l’art pariétal
Bien que la chasse du bison soit très dangereuse pour des hommes ne disposant pas d’armes à feu, elle est relativement facile lorsque le chasseur affublé d’une toison sait, en rampant, approcher sous le vent la bête légèrement écartée du troupeau. Il est frappant de constater la similitude entre deux scènes de chasse au bison, l’une dessinée lors de la conquête de l’Ouest Américain, l’autre gravée des millénaires auparavant.
Le bison offrait non seulement sa chair mais constituait une véritable source de matière premières par sa corne, ses os, sa peau qui donnait le cuir des tentes, des couvertures, des vêtements… Aussi, il est logique que cet animal ait fait l’objet de la fascination des chasseurs, peut-être même d’un culte, si l’on en croit les nombreuses représentations, souvent symboliques et imaginatives, qui ornent les parois de nos grottes : à ce jour, on a recensé, en Europe, plus de 850 représentations de bisons. Cet animal vient en second rang dans l’ordre des espèces figurées sur les parois, après le cheval.
Sur des objets, armes et outils notamment, les bisons sont aussi fréquemment gravés, et même sculptés, comme sur cette palme de bois de renne provenant du site de La Madeleine, où un bison, la tête retournée sur le flanc, a été représenté dans ses moindres détails.
La toison qui recouvre tout le corps du bison est dense et sa mue printanière est spectaculaire : son pelage laineux tombe par plaques, découvrant les poils ras de l’été. Ce changement de « livrée » a souvent été remarqué par les artistes de la Préhistoire, comme à Lascaux (2).
Où voir des représentations de bisons en Périgord ?
L’artiste préhistorique a représenté principalement la faune de son époque avec, toutefois, quelques représentations humaines qui apparaissent tardivement, au paléolithique (6 % du corpus total). Sur les murs des grottes européennes, on retrouve donc un bestiaire relativement stable : dans les périodes très anciennes, les félins, les mammouths, les ours et les rhinocéros vont dominer le bestiaire. Puis, il y a une période charnière, où on a une inversion de ce bestiaire. Les animaux dominants vont alors être le cheval, le bison, le bouquetin, le cervidé. Les autres vont devenir des animaux rares (3).
Dans l’art pariétal en Périgord, le bison est très bien représenté. Voici quelques sites majeurs où vous pourrez l’admirer :
- GROTTE DE LASCAUX, Montignac — Dans la Nef de la grotte, la paroi gauche se termine par un magnifique diptyque aux bisons, les Bisons adossés. L’originalité de cette représentation réside non seulement dans l’animation proposée, deux bisons mâles peints en miroir, mais aussi dans l’accumulation de conventions graphiques appliquées dans le but d’accentuer le mouvement de fuite donné aux deux belligérants de cette composition. Dans cette mise en perspective, on remarque que les membres du second plan sont détachés du corps, contrairement à ceux du premier. Une réserve sépare les deux croupes, mettant au premier plan le bison de gauche. Les membres antérieurs sont plus achevés que les postérieurs, dégradation volontaire des formes simulant leur éloignement par rapport à l’observateur. L’inclinaison de la paroi vers l’observateur accroît l’effet de fuite donné à la composition (4).
- GROTTE DE FONT–DE-GAUME, Eyzies-de-Tayac — L’animal le plus représenté à Font-de-Gaume est le bison, au nombre de 80, sur un total de 180 représentations (dont 40 chevaux, 23 mammouths, 17 cervidés, 8 bœufs). De ce fait, on la surnomme « la caverne aux bisons ». Les frises sont dans un excellent état de conservation général (5).
La galerie principale de Font-de-Gaume propose de très nombreuses représentations de bisons parfois surnommée « hyper-bison ». Leur dessin est basé sur un déséquilibre important entre l’avant-train et l’arrière-train. Cette disharmonie, visible sur l’animal modèle, a ici été largement amplifiée et exagérée, au détriment du reste du corps. Le garrot et la ligne dorsale sont dominés par une série de convexités très marquées. La tête des animaux est également exagérée. Elle est dominée par un toupet frontal ou un chignon régulièrement surgravé et même parfois strié (6).
D’autres bisons de la grotte se distinguent du répertoire classique par leur ressemblance avec d’autres thèmes, comme ici les mammouths. Certains bisons empruntent aux mammouths leur ligne dorsale ainsi que ce sommet de tête en « dôme », caractéristique du pachyderme. Ces mêmes images sont aussi superposées à de fines gravures de mammouths, comme pour renforcer la proximité entre les deux animaux, au moins dans cette zone de la grotte (7). - GROTTE DE BERNIFAL, Meyrals — Pour une grotte relativement petite la grotte de Bernifal permet de découvrir une cinquantaine de figures différentes, représentatives ou non. 25 mammouths, 8 équidés dont un cheval de Przewalski grandeur nature, 1 asinien, 7 bovinés (bisons et aurochs), 2 cervidés et une figure humaine gravée démontrent la richesse de la cavité. Quelques animaux non identifiés complètent ce bestiaire.
- ABRI DE CAP-BLANC, Marquay — Ce site est connu pour les sculptures en haut-relief de chevaux (dont l’un qui fait plus de deux mètres de haut), ainsi que pour sa frise de bisons en relief, inédite en Périgord. On peut y admirer 3 bisons : une tête est clairement visible, un autre dont le corps sans tête est reconnaissable, et enfin un troisième dont seule la ligne du dos est dessinée.
- GROTTE DE ROUFFIGNAC, Rouffignac-Saint-Cernin-de-Reilhac — Cette grotte est appelée la Grotte des 100 Mammouths. On en recense en fait 158, sur les près de 250 représentations (gravures et dessins) qui ornent 8 km de galeries. Les autres animaux sont majoritairement des bisons, des chevaux, des bouquetins, des rhinocéros et un ours dont les représentations s’emmêlent avec celles d’autres animaux.
- GROTTE DU SORCIER, Saint-Cirq — Quatre chevaux gravés et un bison sculpté pour lequel l’artiste s’est habilement servi du relief.
Notes :
- (1) La découverte d’une nouvelle espèce de bison confirmée par des peintures rupestres d’après l’article d’Alan Cooper, directeur au Centre Australien pour l’ADN Ancien, Université d’Adelaïde, et Julien Soubrier, chercheur en paléogénomique à l’Université de d’Adelaïde : Early cave art and ancient DNA record the origin of European bison.
- (2) Quand nos ancêtres nous racontent l’histoire de l’évolution sur le site Sciences et Avenir.
- (3) Sur les parois des grottes, l’art du paléolithique en trois mouvements sur le site www.franceculture.fr.
- (4) Consultez la fiche consacrée aux Bisons adossés sur le site mobile officiel des Grottes de Lascaux.
- (5) Font-de-Gaume, la caverne aux bisons sur le site font-de-gaume.monuments-nationaux.fr.
- (6) L’« hyper-bison » sur le site font-de-gaume.monuments-nationaux.fr.
- (7) Quelques bisons originaux sur le site font-de-gaume.monuments-nationaux.fr.
Crédit Photos :
- « Bison se léchant », bois de renne, Abri de la Madeleine, Tursac (Dordogne), by Jochen Jahnke (own work), via Wikimedia Commons.
- Les « Bisons adossés », Lascaux IV, photo © JF Tronel.
REMARQUE : Si un extrait du présent article posait problème à son auteur, nous lui demandons de nous contacter et cet article sera modifé dans les plus brefs délais.