Sédentérisation de la cigogne blanche en Périgord chevelu

Une cigogne au pas de danse © Patrick Romé

Pendant des siècles, la cigogne blanche a été l’emblème mythologique de la fécondité. Nous voyons arriver cet échassier mythique en Aquitaine dès le début des années 2000. Depuis le printemps 2013, ce majestueux migrateur aux couleurs blanches, noires et oranges, colonise le département de la Dordogne, à partir de la Vallée de l’Isle.

En 1974, les cigognes blanches étaient en voie de disparition. Des études ornithologiques indiquaient qu’il ne restait plus que onze couples nicheurs en France, dont neuf en Alsace, région dont cet oiseau est le symbole. Une prise de conscience nationale a permis d’inverser la tendance, avec la réhabilitation de zones humides, l’implantation de pylônes et l’interdiction de certains pesticides…

Mes observations de la cigogne blanche depuis 2013

La Charente-Maritime a été l’un des premiers départements à accueillir la cigogne blanche. Elle y a fait escale et a nidifié dans les marais atlantiques. Elle s’est très bien acclimatée et s’y est reproduite. Pour la protéger et l’aider à s’implanter, des pylônes ont été mis en place. Au fil des années, la cigogne territoriale s’est installée puis a suivi les cours d’eau, la Charente d’abord, puis la Garonne et enfin l’Isle, affluent de la Dordogne.

C’est ainsi qu’en 2013, j’ai vu arriver le premier couple en Périgord Blanc, dans le village de Saint-Laurent-des-Hommes. Au printemps 2013, ce premier couple décide de faire son nid au bord de la rivière l’Isle, dans un vieux châtaignier aux branches précaires. Le nid héberge trois cigogneaux. Malheureusement, la branche n’a pas supporté le poids de cette lourde habitation, provoquant sa chute et la mort des petits. Il faut savoir qu’un nid terminé, fait de branches, terreau, foin, etc., peut atteindre les 900 kilos.

L’évolution de la nidification est exponentielle. En 2016, nous parlions déjà de colonisation de la cigogne blanche en Périgord. Une équipe constituée d’un ornithologue, correspondant du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, de naturalistes de la région Dordogne, d’un technicien naturaliste d’État de l’Office français de la Biodiversité (OFB) et de membres de la Fédération départementale de la Chasse (FDC), est chargée de baguer et de suivre les cigogneaux.

Chaque nid reçoit en moyenne trois à cinq petits par an. Une fois élevés, accompagnés des adultes, les cigogneaux partent pour leur première migration vers le Sud  : Espagne, Portugal, Afrique du Nord…

Au début de la migration, nous pouvons les rencontrer en bordure des étangs de la forêt de la Double. Des concentrations de cigognes blanches forment des groupes d’une cinquantaine, voire d’une centaine d’individus, avec celles de passage venant du Nord et de l’Est de l’Europe. Elles font des escales de plusieurs jours en Périgord pour s’alimenter et constituer leurs stocks énergétiques, se reposer, se rassembler, avant de partir pour des milliers de kilomètres.

Pourquoi ce migrateur s’est-il sédentarisé ?

L’une des raisons qui explique l’arrivée et la sédentarisation de ces familles d’échassiers dans notre région tient au fait que ce volatile intelligent cherche à s’économiser en diminuant ses distances migratoires. Certains couples peuvent rejoindre l’Afrique du Nord, l’Égypte ou encore l’Afrique du Sud, alors que d’autres cherchent, sur de courtes distances, à trouver des régions au climat doux et à la nourriture abondante : insectes, petits rongeurs, reptiles, petits poissons, batraciens, ainsi que des espèces exotiques envahissantes comme les écrevisses américaines, l’écrevisse de Californie et de Louisiane, qui ont un impact nuisible sur la biodiversité. Les cigognes blanches participent ainsi au maintien de l’équilibre du biotope. De plus, l’élevage en Périgord est de plus en plus supplanté par la culture des sols (sorgho, blé, maïs et soja) qui, avec les labours, fourni de la nourriture en période hivernale et printanière.

Je ne parlerai pas du réchauffement climatique, car je pense qu’il est trop tôt pour s’avancer sur ce sujet. Même si de plus en plus il semble avéré qu’il intervient dans la mutation de la migration de certains échassiers. Mais il faudra bien étudier tous les facteurs en jeu, sur plusieurs décennies, avant de parler d’une réelle incidence du changement climatique sur la sédentarisation.

Une dernière cause, bien triste celle-là, peut expliquer la présence à l’année des cigognes blanches, valable pour toute l’Europe, et plus particulièrement en Europe du Sud  : il s’agit de l’apparition de grandes zones de déchetteries à ciel ouvert. Beaucoup d’oiseaux cherchent de la nourriture dans ces lieux. Combien s’empoisonnent en ingurgitant des matières toxiques, plastiques, caoutchoucs… Lorsque nous effectuons le baguage annuel, nous trouvons dans le nid des joints de bocaux en caoutchouc et bien d’autres matières provenant des déchetteries.

Des cigognes sédentaires et d’autres migratrices

Nous effectuons chaque année le recensement des oiseaux nicheurs. Nous contrôlons les oiseaux bagués venant de toutes les régions de France et de l’Europe. Des échanges sont établis avec le Muséum d’Histoire naturelle de Paris.

En Dordogne, nous avons aussi des jeunes qui arrivent sans nidifier dans les mêmes sites que leurs congénères déjà implantés. Ce sont souvent des groupes migrateurs importants qui font une halte en fonction des saisons. En vallée de l’Isle, nous avons officiellement deux couples nicheurs reproducteurs qui sont sédentaires, le premier couple est arrivé en 2013, à Saint-Laurent-des-Hommes, et le second en 2016, à Saint-Martial-d’Artenset.

Durant la période 2019/2020, six couples non nicheurs sont restés dans les plaines de la vallée de l’Isle. Sont considérés comme sédentaires uniquement les couples nicheurs et reproducteurs pour lesquels nous pouvons effectuer une surveillance. Curieusement, entre octobre 2019 et mai 2020, nous avons pu observer une cigogne noire cohabiter avec un groupe de cigognes blanches. C’est plutôt surprenant car cigognes noires et blanches ne vivent absolument pas dans le même biotope.

Le recensement est assuré par Thierry Bigey et Patrick Romé. En Dordogne, la cigogne poursuit son expansion dans le département avec 15 nids dénombrés en 2018. En 2019, nous totalisons 22 couples nicheurs sur la vallée de l’Isle entre Ménesplet et Neuvic. Sur les 22 nids, 18 ont produit un total de 51 jeunes aptes à l’envol. À noter qu’une nichée de six cigogneaux est arrivée à terme. C’est exceptionnel pour un couple d’oiseaux sauvages. C’est le résultat d’une combinaison de facteurs : bonne expérience du couple, météo favorable, ressources alimentaires abondantes.

Les baguages et les contrôles reviennent à Jean Datin, Thierry Bigey, Didier Dupuy, Yann Dumas et Patrick Romé. Quant au premier couple nicheur reproducteur sédentarisé, il a été symboliquement baptisé Perle et Marcus par les élèves de l’école de Saint-Laurent-des-Hommes.

Texte et photos Patrick Romé, Reporter observateur animalier
objectif.reportages@orange.frwww.objectifreportages.com

Description de la cigogne blanche

La Cigogne blanche est un grand échassier au plumage blanc et noir, sans dimorphisme sexuel. Le plumage de contour et la queue sont blancs tandis que les ailes sont bicolores. Les rémiges, l’alule, les grandes couvertures et les couvertures primaires supérieures sont noires, le reste blanc. En vue supérieure d’une cigogne en vol, on voit que le noir de l’aile n’est pas homogène, mais que les rémiges primaires internes et les secondaires montrent un net éclaircissement le long du rachis, d’où un aspect strié typique de l’arrière de l’aile. En période nuptiale, des plumes blanches allongées apparaissent à la base du cou. Le bec, fort et en poignard, est rouge sang, de même que les longues pattes. À la base inférieure du bec, la zone gulaire dénudée est rouge et noire. L’œil sombre est inclus dans une zone de peau nue noire et oblongue qui donne à l’oiseau un aspect sévère. Il est très fréquent d’observer un salissement du plumage blanc de l’adulte qui devient grisâtre ou roussâtre sous l’action de facteurs naturels (incubation dans un nid humide par exemple) ou artificiels (fréquentation de décharges publiques ou de stations de lagunage). Le juvénile a un plumage identique à celui de l’adulte, mais le noir est plus terne, plus brun. Le bec, d’abord noir, se teinte ensuite d’orange terne à la base. Les pattes sont rosâtres.

Source Oiseaux.net.


Crédit Photos :

  • © Patrick Romé – N.B. : ces photos ne peuvent être utilisées sans l’autorisation de l’auteur.

Cet article a été publié dans le numéro 17 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer en consultant la boutique du site…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *