Au fil du Drayaux

La cascade du Drayaux à Cange, © Annie Laparre

Depuis 2015, une équipe de passionnés redonne vie au Drayaux, un ruisseau riche en histoire mais qui sans entretien avait perdu de sa vigueur.La belle aventure d’une renaissance à laquelle les enfants du groupe scolaire de Sauveboeuf sont associés, via le projet « Blé-école »…

Depuis toujours, le Drayaux serpente des coteaux de Grand-Castang et des Foulissards jusqu’à la Dordogne, sur un parcours long d’à peine huit kilomètres. Ce remarquable petit ruisseau prend sa source au-dessus de Séguinas, dans le vallon qui longe la route départementale 703. Il traverse le village de Sauvebœuf puis se jette dans la rivière Dordogne après le moulin de La Guillou, à Lalinde.

Selon Christian Bourrier (Lalinde et son canton, histoire et toponymie), son nom occitan Draïo désigne un sentier, un chemin. En français, la draille nomme le chemin emprunté par les troupeaux transhumants. Le Drayaux a pour affluent principal Le Brongidou, en occitan broundir signifie émettre un petit bourdonnement. Long d’environ 1,6 km, il prend sa source sous la forme d’une résurgence ronflante, au beau milieu de la forêt de Cange. En période de réveil, le grondement de la source inquiète souvent les promeneurs des Foulissards. Puis, des dizaines de sources : La Rose, Camensou, Saint-Meyme, Flambats, Haut-Drayaux, Château de La Rue, Pourroutoux, Font Chaude… viennent tout au long de son parcours alimenter le Drayaux. Certaines d’entre elles ne se tarissent pas de l’année.

Au fil des ans et en fonction des intérêts particuliers, son cours a été modifié pour faciliter les cultures dans les vallons. On retrouve aisément son cours d’origine par la présence d’édifices en pierres (murets, ponts…) De même, lors de la construction du canal de Lalinde puis de la voie ferrée, son tracé a subi des modifications. C’est un canal pavé qui a permis sa déviation depuis le cœur du village de Sauveboeuf jusqu’au lavoir de la Font Chaude, en passant sous les rails et le ballast, au lieu-dit Le Repaire.

Sur son parcours, on peut noter la présence de plusieurs lavoirs et moulins. C’est dire à quel point les hommes étaient dépendants du ruisseau ! Au lavoir de Cange, on y lavait le chanvre. Le Moulin du Haut servait aux habitants du Haut-Drayaux et celui de Font Chaude était principalement utilisé par les lavandières. On a dénombré jusqu’à six moulins. Les deux de Mauzac (la Rose et Saint-Meyme) ont disparu. Sur la commune de Lalinde, quatre subsistent : les moulins du Bas, du Milieu (seul encore en fonction aujourd’hui) et du Haut. Ces trois-là sont situés à proximité du château de La Rue. Le dernier est le moulin de Sauvebœuf, situé à La Guillou, juste avant l’embouchure avec la rivière Dordogne.

Quand le Drayaux est en bonne santé, on y trouve des amphibiens (salamandres, grenouilles, tritons), des insectes aquatiques ou macro-invertébrés (éphémères, trichoptères, plécoptères, gammares, libellules, araignées d’eau), des poissons (truites, vairons, épinoches), des oiseaux (martins-pêcheurs, bergeronnettes des ruisseaux, râles d’eau). La végétation est principalement composée d’aulnes, frênes, saules euphorbes, carex, iris…

Mais depuis une quinzaine d’années, la vigueur du ruisseau s’est estompée et il ne coule pratiquement plus dans le village de Sauvebœuf. Les raisons pour expliquer ce phénomène sont multiples : aléas climatiques, manque d’entretien, aménagements humains divers (recalibrage, assèchement des zones humides), méconnaissance des obligations des riverains, parfois.

Les relevés pluviométriques indiquent des quantités d’eau similaires, mais la répartition au fil des mois est modifiée d’une année à l’autre, avec des périodes sèches beaucoup plus longues et des abats d’eaux très denses sur des intervalles plus courts.

La fin du pastoralisme est également une cause majeure dans la dégradation des petits ruisseaux qui serpentent au fond des vallées. Autrefois, les anciens entretenaient méticuleusement les berges des cours d’eaux pour permettre aux bêtes de s’abreuver. Cette activité agricole perdue a, de fait, engendré une massification de la végétation sur les coteaux, autrefois pâturés par les troupeaux. Les arbres, et la flore en général, pompent davantage l’eau des ruisseaux. De plus, des dépôts végétatifs plus importants perturbent les écoulements, accélèrent l’envasement, la sédimentation… et favorisent les évaporations en périodes chaudes.

Une prise de conscience collective

Devant ce constat et depuis longtemps, nombreux étaient les amoureux de ce beau ruisseau qui voulaient faire quelque chose. Un petit groupe d’habitants s’est donc rassemblé spontanément pour constituer l’association « Au fil du Drayaux ». Elle est née en décembre 2014, sous l’impulsion de son président, Alain Cassagne. L’association a pour but principal de sauvegarder le ruisseau et ses sources, de remettre en état ses berges, d’optimiser l’écoulement des eaux en sensibilisant les propriétaires riverains. Forte de ses 110 adhérents, l’association vise aussi à dynamiser le village et à maintenir du lien intergénérationnel. En effet, les anciens ont de nombreux récits à transmettre sur le sujet afin que les plus jeunes puissent participer à des actions de sensibilisation et de sauvegarde des milieux naturels.

Avant de se lancer dans cette aventure, les membres de l’association se sont renseignés auprès de techniciens compétents, afin de disposer des conseils les plus pertinents en matière de législation et de vie du milieu aquatique : le Syndicat Rivières, Vallées et Patrimoine en Bergeracois, la Direction Départementale des Territoires, l’ONEMA (Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques), l’association MIGADO (Migrateurs Garonne Dordogne) et la fédération de pêche locale. L’équipe s’est aussi et surtout rapprochée des propriétaires riverains de Sauvebœuf et de Mauzac, directement impactés par cette initiative, afin de leur expliquer le sens de cette démarche et pour trouver, avec eux, les meilleures solutions.

Réhabilitation du Drayaux

Convaincus que les écoulements jusque-là obstrués, absorbés par la végétation ou retenus, favorisaient les évaporations, les petites mains du Drayaux se sont mises à l’œuvre. Depuis 2014, pas moins de 60 chantiers ont été organisés par des bénévoles, soient environ 3 000 heures de travail afin de préserver leur protégé, le Drayaux, dans le respect de son fonctionnement naturel. Munis de bottes, gants, cisailles, sécateurs, râteaux, griffes à remblai, les « nains du Drayaux », comme on aime à les appeler, s’affairent avec pour seul objectif de redonner de la vigueur à ce petit ruisseau. La situation critique de certains tronçons du cours d’eau témoigne de l’état d’abandon dans lequel se trouvait le ruisseau avant que naisse le projet de restauration. Retirer les ronces, dégager les embâcles et gratter les atterrissements du cours d’eau permet pourtant d’obtenir des résultats quasi-immédiats. L’association a ainsi pu constater que de nombreux écoulements, même minimes, avaient pu être réaménagés, optimisés, de façon simple et rapide.

Pour en attester, un des plus jeunes membres de l’association, Florian Rambaud, étudiant en gestion et protection de la nature, effectue des calculs de mesure de débit chaque semaine. Il a récemment installé une échelle limnimétrique (mesure de la hauteur d’eau) afin que chacun puisse constater le débit du ruisseau. Son étude scientifique permet de suivre l’évolution du Drayaux et démontre, mois après mois, l’intérêt du travail engagé. Il est cependant de la responsabilité de tous de maintenir ce fragile équilibre. Les membres de l’association ne pourront pas chaque année réaliser les lourds travaux entrepris depuis maintenant cinq ans en vue d’assurer l’écoulement du ruisseau.

Projet « Blé-école » : les enfants du Drayaux

L’autre ambition de l’association Au Fil du Drayaux est de tisser et de développer le lien intergénérationnel dans le village. Les quatre premières éditions du « Printemps du Drayaux » en ont été une belle preuve avec, comme fil conducteur, ce petit ruisseau en cours de réhabilitation. Chaque année, les organisateurs de cette « Marche de la Drailh » tiennent à montrer les travaux entrepris, pour sensibiliser le public à ce projet, mais aussi afin de faire découvrir des lieux insolites jalonnant le parcours : les moulins, fontaines, sources, cluzeaux, châteaux, ainsi que le four à pain du Haut-Drayaux !

C’est dans ce cadre que les amis du Drayaux ont proposé aux enseignants de l’école Yves Peyrony (à Sauvebœuf, commune de Lalinde), de faire participer les enfants à des semailles de blé, sur une parcelle de terrain située à proximité de leur école. Ainsi, chaussés de leurs bottes colorées, les 70 enfants du groupe scolaire ont participé à l’aventure. Ils se sont appliqués, du mieux possible, à retrouver le geste auguste du semeur. Les enfants ont pris un réel plaisir à ensemencer la parcelle de terrain fraîchement labourée. Puis ils ont pu observer le hersage de la parcelle de blé à l’aide d’une herse tirée par Énola, une jument de trait. Habitués à voir de gros engins agricoles, les enfants ont bénéficié d’un véritable retour dans le temps, sous les yeux attendris de quelques anciens du village venus assister à cette belle initiative.

L’objectif poursuivi était de réaliser et de suivre avec les enfants tout le cheminement de la culture du blé au gré des saisons : depuis les semailles au printemps en passant par le binage, les moissons début juillet, le battage à l’automne, puis la mouture du blé au moulin du Mitan, à la force de l’eau du Drayaux, et enfin la fabrication et la cuisson du pain que les enfants ont ensuite dégusté. Il s’agissait surtout de faire prendre conscience aux plus jeunes du temps et du travail nécessaires à la réalisation de produits à la base de leur alimentation : la farine, le pain et les pâtes. De la graine à l’assiette, les enfants ont réellement manger le produit de leur récolte, le fruit de leur travail.

Derrière cette initiative, c’est un véritable projet pédagogique sur deux ans qui s’est monté en concertation avec les enseignants de l’école du village. Le sujet ne s’est évidemment pas limité à regarder pousser le blé semé par les enfants. Il s’est agi de construire les apprentissages quotidiens autour d’une expérience très locale : étude des végétaux, de l’alimentation, des outils agricoles… puis d’échanger plus largement sur la vie et l’école d’autrefois. À cette occasion, quatre anciens élèves qui fréquentaient les bancs de l’école du village dans les années 40, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, sont venus rencontrer les petits écoliers. Lors de ce rendez-vous exceptionnel par son côté intergénérationnel, les enfants ont pu bénéficier de témoignages directs d’anciens de leur propre village.

Les bénévoles d’Au Fil du Drayaux poursuivent leur mission de transmission de la mémoire aux plus jeunes du village. Ils cherchent toujours à redonner le plus de vigueur possible au Drayaux et invitent tous ceux qui le veulent à les rejoindre. Plus d’infos sur Instagram et Facebook Au Fil du Drayaux.

Texte Emmanuel Pelé, photos Annie Laparre


Cet article a été publié dans le numéro 14 du magazine « Secrets de Pays ».

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