Photo animalière : entre affût et billebaude, l’école de la patience…

© Photo Pierre Boitrel

Nul besoin de partir dans la savane africaine ou la forêt amazonienne pour faire de la photo animalière. Tout près de chez nous, dans nos forêts et notre belle campagne, nous pouvons réaliser de magnifiques images de la faune locale.

Quel bonheur de rencontrer de beaux et majestueux cerfs, des chevreuils et autres grands mammifères ! Quel plaisir d’observer ces magnifiques oiseaux qui viennent jusque dans nos jardins ! Au cours de ces rencontres, le photographe amoureux de la nature que je suis souhaite immortaliser ces instants privilégiés. Réaliser la photo d’un cerf, d’un renard ou de n’importe quel autre animal sauvage d’ici, reste un exercice beaucoup plus complexe que de faire le portrait d’un lion dans la savane africaine depuis un véhicule tout terrain.

Comment réaliser une belle photo ? Y a-t-il des techniques photographiques ?

La billebaude consiste, lors de balades dans la nature, à réaliser des approches au gré des rencontres. Cette méthode allie randonnée et prise de vues et peut se pratiquer à chaque sortie. Cependant, force est de constater que le facteur chance jouant beaucoup, c’est souvent « la bredouille ».

L’affût est une technique permettant au photographe de se dissimuler à l’intérieur d’une cache (appelée affût). À l’inverse de la billebaude, le photographe attend que l’animal s’approche de lui

Photo animalière : billebaude ou affût ?

L’affût est de loin la technique à privilégier car elle présente de nombreux avantages. C’est donc celle que j’ai adoptée, tout en sachant qu’il y a plusieurs étapes à respecter

Il faut tout d’abord acquérir un minimum d’informations afin de connaitre l’animal convoité : ses habitudes, sa nourriture, sa reproduction, etc. Ensuite, il faut demander aux propriétaires l’autorisation de pénétrer sur leur terrain et détenir toutes les autorisations administratives, si nécessaire

La recherche peut alors commencer. Les cervidés, par exemple, sont très discrets, à l’exception de la période de reproduction où période du brame. Ils se cachent au cœur des grandes forêts, loin des habitations et des activités humaines

Les indices de présence, empreintes, traces, déjections, nous renseignent sur leur fréquentation. Viennent ensuite les nombreuses séances de repérage qui permettent d’en savoir plus sur les habitudes des animaux, lieux de passage, points d’abreuvement, heures de sortie du bois pour se nourrir… Enfin, il faut soigneusement choisir l’emplacement de l’affût qui doit permettre d’observer les animaux sans être gêné, au moment de la photo, par des obstacles tels que buissons, herbes, arbres, etc. La lumière est également un élément important dans la réalisation de la photo, tout comme le décor d’arrière-plan. Comment le soleil éclaire-t-il la clairière où l’on attendra le cerf ou la biche ? N’y a-t-il pas un élément disgracieux dans la composition de la photo ? L’affût doit passer totalement inaperçu aux yeux des animaux et des promeneurs éventuels. Un bon affût doit se fondre dans le décor

Deux types d’affût existent ; l’assez banal affût du commerce en toile de camouflage sur le principe des petites toiles de tente, et l’affût construit sur les lieux mêmes avec les matériaux naturels trouvés sur place. Le premier, s’il a l’avantage d’être installé rapidement, n’est pas, par contre, le plus discret


Photo animalière : l’affût naturel de terrain

J’utilise le plus fréquemment le modèle d’affût construit sur place ; il est de loin le plus discret car il s’intègre parfaitement au décor. Réalisé plusieurs jours et souvent plusieurs mois à l’avance, il s’intègre parfaitement au site et reste invisible aux yeux des animaux. La construction demande cependant quelques précautions. Le photographe ayant à passer plusieurs heures à l’intérieur, il y a lieu de prévoir suffisamment de place pour se mouvoir afin de ne pas terminer complètement ankylosé. J’ai déjà connu ce type de mésaventure dans un affût construit par un ami plus petit que moi… Il faut prévoir des ouvertures assez réduites mais suffisantes pour passer l’objectif de l’appareil photo et observer l’extérieur. Réaliser deux ou trois affûts est parfois nécessaire pour déterminer celui qui sera le mieux placé en fonction de la direction du vent et de la lumière. Les séances photos peuvent alors commencer, après avoir pris les précautions d’usage : le matériel doit être vérifié avant le départ, les batteries de l’appareil photo chargées, rien ne doit manquer dans la sacoche. Il faut également se vêtir en fonction du temps : vêtements chauds, gants, bonnet, écharpe sont indispensables par temps froid. L’attente peut durer plusieurs heures, mais il est hors de question de sortir avant la fin de la séance pour se réchauffer en faisant de l’exercice ou satisfaire un besoin pressant ; il fallait prendre ses dispositions avant ! Le moindre bruit ou mouvement entraînerait bien évidement la fuite immédiate des animaux. Ah ! j’oubliais un point important, « les parfums »… Après-rasage et autres sont à réserver à d’autres sorties. Les animaux ont un odorat très développé et nous flairent à plusieurs centaines de mètres ! Il faudra être prudent avant de pénétrer dans l’affût car, si l’on est repéré, s’en est fini pour un bon moment et même pour la journée dans certains cas. Il m’est arrivé d’attendre une bonne heure avant que cerfs et biches s’éloignent de l’affût auprès duquel ils étaient couchés

Une fois dans l’affût, il ne faut pas traîner pour installer tout le matériel qu’il faut connaître parfaitement, car, s’il fait nuit, il n’est pas question d’allumer la moindre lampe. L’attente peut alors commencer. Elle peut durer quelques minutes comme plusieurs heures. Tous les sens sont en éveil, les bruits, les odeurs, les mouvements au loin sont autant d’indices qui font espérer l’arrivée, devant l’objectif, de l’animal que l’on attendait. Il faut alors redoubler de vigilance. Puis, quand l’animal se présente, passant parfois tout près, à portée de mains, c’est un moment d’intense émotion ! Mon cœur s’emballe, plus le moindre geste, mes paupières elles-mêmes restent figées. Je suis pratiquement en apnée, de crainte d’être démasqué : magie d’un moment tant attendu. Après, seulement, je tente de prendre une photo

Au moment de quitter l’affût, les précautions seront les mêmes que pour y entrer : discrétion, discrétion. Au retour, je verrai si mes clichés sont corrects. De toute façon, gravés dans ma mémoire ils resteront, et c’est ce qui compte le plus à mes yeux. Il aura fallu du temps, de la patience et une grande humilité, car la réussite n’est pas forcément souvent au rendez-vous…

Notre beau pays des bastides est riche d’une faune et d’une flore remarquables. Cela doit nous inciter à protéger ces trésors afin que nos enfants et petits-enfants puissent vivre, à leur tour, des moments privilégiés au plus près de la vie sauvage, si belle et si fragile à la fois.

Photo animaliere, l’affût naturel de terrain

Balade matinale

Pierre Boitrel a choisi de nous raconter une de ses sorties si particulière à la rencontre de l’animal. Un moment privilégié où il observe, attend patiemment le face-à-face, pour enfin mettre son émotion et sa sensibilité en images. Une invitation à respecter et protéger la nature, source de plaisir mais surtout de survie pour l’homme

Ce matin, 10 heures, l’heure est tardive pour partir à la rencontre des biches et des cerfs, « mais bon, on verra bien ! » Le soleil brille, il fait frais : moins 3 degrés au thermomètre. Le pare-brise de ma voiture est encore bien gelé, il faut gratter. Habillé chaudement, couleur nature car il faut se fondre en elle, je prends mes jumelles et mon appareil photo, sait-on jamais… Ah ! J’allais oublier ma petite poire à talc permettant de vérifier la direction du vent. Je n’en aurai sûrement pas besoin car le vent est au nord pour un moment, mais deux précautions valent mieux qu’une.

En route ! Mon circuit est un peu dicté par la direction du vent. Je pars donc vent de face. La plupart des animaux sont capables de nous sentir à plusieurs centaines de mètres. Les bois sont clairs, les fortes gelées de décembre ont eu raison des dernières feuilles de chênes. Cela ne va pas rendre ma progression discrète car les feuilles sèches sont craquantes sous mes pieds. Ce matin, je pense que je peux les trouver au soleil et à l’abri du vent. Les écouteurs, le renifleur et les mirettes réglés à fond, je dois avancer doucement sur 10 à 20 mètres, puis… stop !

Un premier arrêt contre un arbre… plus un mouvement, silence total.

J’entends la sitelle qui martèle un bois mort. Un peu plus loin, un pigeon ramier s’envole. Quelques pas supplémentaires et nouvel arrêt ; le geai m’a repéré et s’envole bruyamment.

Aïe ! Dans un rayon de 2 à 300 mètres, tous les habitants de la forêt sont sur leurs gardes. Mais il faut avancer. Un pic épeiche vient se plaquer contre un tronc juste au-dessus de moi, montrant ses jolies couleurs, puis un grimpereau, sans cesse en mouvement, à la recherche de minuscules insectes qu’il trouve dans l’écorce des arbres. J’ai bientôt terminé le circuit que je m’étais fixé et, juste à l’orée du bois, deux jeunes biches se lèvent et scrutent le secteur, à la recherche de l’auteur du bruissement de feuilles produit par mes pas. Tel une statue, j’observe, sans même bouger les mains pour porter les jumelles à mes yeux. D’ailleurs, ce n’est pas nécessaire, environ 20 mètres nous séparent. Elles s’éloignent de quelques pas et s’arrêtent à nouveau, chacune observant les alentours. À nouveau elles s’écartent un peu plus et je pressens qu’elles vont traverser la friche située en contrebas. Aussitôt je me déplace en me baissant au maximum pour ne pas être repéré. Bingo ! Les voilà toutes les deux dans la friche, à cent pas de moi, puis une troisième accompagnée d’un daguet. Au total, douze jeunes biches et cerfs s’arrêtent un moment à découvert, puis s’éloignent doucement. J’ai sorti mes jumelles au dernier moment pour être sûr de ne pas être vu. Dommage, les gros mâles n’étaient pas là. Ils font bande à part en dehors de la période du brame, mais je suis un peu inquiet, il n’y avait pas non plus de biche adulte…

Quel formidable cadeau de la nature ! De retour à la voiture, je m’écarte au maximum de l’endroit où la petite harde s’est sans doute réfugiée ; surtout, ne pas la déranger !

Mon appareil photo est resté dans son fourreau, désolé, je ne montrerais pas d’images. Au mieux, j’aurais pu en réaliser une ou deux (au risque de déclencher une fuite effrénée), mais pour qui ? Pour quoi ? Puisque j’ai mille images en mémoire, que je raconte.

Texte et photos, Pierre Boitrel

Cet article a été publié dans le numéro 7 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer en consultant la boutique du site…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *