« S’il fallait évoquer une région française dont l’histoire remonte à l’aube de l’humanité, le Périgord, devenu, après les bouleversements liés à la Révolution de 1789, le département de la Dordogne, mériterait d’être cité en exemple. En effet, dès les tous premiers temps, des hommes ont pris racine dans cette contrée bénie des dieux ; dès lors qu’ils s’y étaient implantés, ils ne la quittèrent pas, assimilant d’abord les hordes d’envahisseurs venus de terres lointaines puis les Romains, accueillant ensuite les pèlerins parcourant solitaires, les routes sacrées, ou recevant aujourd’hui, les bras ouverts, les touristes en quête d’authenticité et de bonne chère. » — Guy Penaud, Petite histoire du Périgord. (1)
L’histoire du Périgord n’est pas facile à résumer tant le pays a été gangrené par d’interminables conflits. La région passe de la paix de l’Empire romain à sa chute, aux invasions barbares et à la restauration d’un pouvoir, cette fois féodal. La rivière Dordogne est une barrière naturelle : les villes neuves et les bastides s’y appuient et la gardent. Et ses rives sont des champs de batailles. La guerre de Cent Ans ! Les guerres de Religion ! L’insurrection des Croquants puis les remous de la Révolution. C’est tout cela dont nous allons vous parler dans cette brève histoire du Périgord…
L’époque gallo-romaine et la christianisation en Périgord
Après de nombreuses invasions et migrations, le Périgord est finalement occupé durablement par une tribu celte, les Pétrocores, littéralement les « Quatre-Armées ». César en parle dans sa Guerre des Gaules à l’occasion du soulèvement de 5 000 hommes qui sont envoyés, en renfort, à Vercingétorix qui a réussit à fédèrer la plupart des tribus gauloises. Après des combats acharnés et inégaux, ce jeune chef gaulois de la tribu des Arvernes est battu à Alésia, en 52 av. notre ère. Dès 51, toute la Gaule est soumise. Le territoire des Pétrocores formera l’une des vingt et une circonscriptions de la province romaine d’Aquitaine créée sous Auguste en 16 av. notre ère. Cette entité administrative semble avoir été organisée méthodiquement à la romaine, avec implantation de fonctionnaires romains, mariages mixtes, séjours et stages de Pétrocores à Rome. Un peu plus tard, les Pétrocores prennent fait et causes pour le général gaulois Gaius Julius Vindex qui mène en Gaule une fronde contre l’empereur Néron. Mais le sénateur romain Virginius Rufus réprime rapidement cette révolte à la bataille de Vesontio en l’an 68 de notre ère.
La Pax romana inaugure, en Périgord comme ailleurs en Gaule, près de trois siècles (Ier-IIIe siècle) de prospérité marquée par la fondation de Vesunna (Périgueux), la romanisation (langues, cultes et culture), la création de domus et de villas, de termes, d’un amphithéâtre (pouvant accueillir 18 000 spectateurs, ce qui en fait l’un des plus grands de la Gaule aquitaine), de routes et d’aqueducs. De nouvelles cultures sont introduites : noyer, châtaignier, cerisier et surtout la vigne. Mais des invasions à répétitions (Alamans et Francs) portent un coup fatal à cette prospérité. En 276, plusieurs villes sont rasées. La capitale des Pétrocores (rebaptisée civitas Petrucororium, la cité des Pétrocores) se resserre dans les limites d’une enceinte fortifiée de quelques hectares, bâtie, dans l’urgence, avec les matériaux des monuments. Il reste encore aujourd’hui de nombreux vestiges gallo-romains, dont les arènes et deux portes. De nombreux autres lieux du Périgord rappellent cette époque : le site de Montcaret avec sa villa gallo-romaine et ses thermes privés, ou bien encore la tour circulaire du château de la Rigale à Villetoureix, bâtie au IIe siècle sous Hadrien.
La romanisation du Périgord s’est opérée assez facilement, et dans le calme, les Romains ayant été fort habiles pour faire admettre leurs dieux, leurs lois, leur langue et leurs coutumes par une population assez souple pour accepter les avantages d’une occupation pacifique. Michel Rouche a écrit que « l’Aquitaine est un conservatoire de romanité »… (2)
Ces premières invasions sont suivies d’une seconde vague, tout autant destructrice : celle des Vandales et des Wisigoths (Ve siècle). Ces derniers ne sont pas des barbares, mais des chrétiens ariens (l’arianisme est un courant de pensée théologique des débuts du christianisme), imprégnés de culture romaine, ce qui ne les empêchera pas de détruire beaucoup de monuments romains. Leur roi Wallia demande à l’empereur romain Honorius la partie méridionale des Gaules, offrant en contrepartie son alliance, ce qu’il accepte, en 416. Pendant un siècle, la domination des Wisigoths s’entend sur l’Aquitaine seconde (Aquitania secunda correspond actuellement au Bordelais, au Périgord, à la Charentes et au Poitou), avec Toulouse comme capitale. Attaqué par les Francs, leur roi Alaric II (à qui l’on doit le Bréviaire d’Alaric, appelé aussi code Alaric, un recueil de droit romain) est tué par Clovis, en 507, à Vouillé. Le Périgord intègre alors le royaume franc. La christianisation trouve un terrain favorable et gagne rapidement les villes et les campagnes. L’Église de Périgueux est fondée, ou du moins organisée, entre 314 et 356. Et la première cathédrale est édifiée par l’évêque Chronopius (506-533).
Vesunna, Site-musée gallo-romain à Périgueux, vestiges gallo-romains — Cliquez pour agrandir…
Le haut moyen-âge, une terrible épreuve pour le Périgord
Rapidement, la région subit les vicissitudes de l’histoire des rois mérovingiens. Le Périgord appartient successivement à Clotaire Ier, Gontran, Childebert II, Clotaire II et Dagobert Ier, puis il fait partie du royaume de Toulouse fondé en 630 et sur lequel régnèrent les ducs d’Aquitaine. Au VIIIe siècle, les désordres mérovingiens favorisent l’invasion arabe. On ne sait rien de précis sur le passage de ces envahisseurs en Périgord, si ce n’est que le duc d’Aquitaine leur aurait livré bataille près de Bergerac, où les noms de « Maurens » et « Sarrasis » évoquent leur présence. À leur retour de Poitiers, où Charles les arrête (ce qui lui vaut de recevoir le nom de Martel), ils commettent d’affreux ravages : entre autres méfaits, ils égorgent les religieux du monastère de Calviac, sur les rives de la Dordogne.
Fondé en 778 par Charlemagne, lors de l’installation du comte Wilbode à la cité de Périgueux, le Comté du Périgord sera réorganisé en 866, conjointement avec l’Angoumois, par Charles le Chauve au profit de son parent Vulgrin. À la mort de ce dernier, son fils Guillaume héritera, après partage, du seul Périgord qui perdurera de façon héréditaire jusqu’à sa confiscation et sa dévolution au duc d’Orléans, frère du roi de France, au tout début de l’an 1400, en sanction des pillages et exactions perpétrés par les deux derniers comtes du Périgord : Archambaud V et Archambaud VI. »… (2)
Le Périgord est ensuite le théâtre d’une lutte sauvage entre le duc de Gascogne, Waifre, et le fils de Charles Martel, Pépin III dit le Bref, qui s’empare de l’ « Urbs Petragorica » (Périgueux), mettant ainsi fin à l’indépendance de l’Aquitaine. Waifre, vaincu, fut poignardé le 2 juin 768, dans la forêt de la Double, trahit par l’un de ses domestiques. Son fils, Charlemagne, érige le Périgord en comté rattaché au royaume d’Aquitaine, vassal du roi franc ; il donne le gouvernement à Vidbode, dont les successeurs sont restés inconnus jusqu’à Vulgrin, qui est le premier de ses comtes héréditaires. Les populations qui admirent son courage lui donne le surnom de Taillefer, en raison de ses exploits heureux contre les Normands qui ravagent l’Aquitaine (il est l’ancêtre de la lignée des Talleyrand). C’est en effet l’époque des grandes invasions vikings qui dévastent – à trois reprises – les vallées de la Dordogne, de la Vézère, de l’Isle et de la Dronne, mettant à sac de nombreuses cités dont Périgueux. En 970, le comté passe à la maison de la Marche qui a pour chef Hélie Ier, le premier à prendre le nom de Talleyrand.
Essor et renouveau : le triomphe de l’art roman en Périgord
L’époque féodale s’ouvre tout d’abord sur une période d’essor. L’histoire du Périgord va écrire quelques-unes de ses plus belles pages. La population s’accroît. Les défrichements et l’assèchement des marais libèrent de nouvelles terres. De puissantes familles se partagent le territoire et imposent leur pouvoir féodal : les barons de Mareuil, de Bourdeille, de Beynac et de Biron règnent sur le Périgord, dont le comté passe à la maison des Talleyrand au XIIe siècle.
Le rôle de l’Eglise ne cesse de se renforcer. Profitant du développement de la foi, celle-ci limite les guerres et le brigandage : c’est la trêve de Dieu. Un formidable élan bâtisseur fait triompher l’art roman. Des monastères sont fondés ou prennent un nouvel essor : abbayes cisterciennes de Cadouin et de Boschaud, augustinienne de Chancelade ou bénédictine de Sarlat. C’est le temps où le pays se couvre de la « blanche robe d’églises » dont parle Raoul Glaber : églises épiscopales, monastiques, prieurales, seigneuriales, paroissiales, près de mille édifices ! Les villages se développent : villages castrals à l’ombre des forteresses, ou sauvetés sous la protection des églises. Les XIIIe et XIVe siècles voient la fondation de nombreuses bastides, des villes neuves au plan géométrique. Les villes de Périgueux, Bergerac, Sarlat prospèrent grâce aux activités florissantes de la bourgeoisie.
Le Périgord, théâtre des rivalités franco-anglaises
En 1137, un mois avant sa mort, Guillaume X, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, confie Aliénor, sa fille, à Louis VI « le Gros ». Il meurt à trente-huit ans, un Vendredi saint, au cours d’un pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Peu après, Louis VI décide de marier cette riche héritière à son fils, le futur roi Louis VII. C’était, pour le royaume, un beau mariage, la France s’étendant ainsi jusqu’aux Pyrénées. Le roi de France devient alors duc d’Aquitaine par mariage. Pour autant, le duché d’Aquitaine n’est pas rattaché au domaine royal, et Aliénor en reste la duchesse. Par contre, si le couple avait eut un fils aîné, celui-ci aurait été titré roi de France et duc d’Aquitaine, la fusion entre les deux domaines ne pouvant intervenir qu’à la génération suivante. Mais, cette éventualité ne se présenta pas… En fait, les deux époux ne s’entendent pas, et quinze ans plus tard, Aliénor fait annuler cette union par le Pape. Six semaines plus tard, en mai 1152, elle se remarie avec Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, qui devint Henri II d’Angleterre en 1154. Le Périgord passe ainsi sous la dépendance des Anglais. Ce mariage provoqua entre la France et l’Angleterre, une longue lutte, de près de trois cents ans, qui peut se diviser en deux périodes : de 1159 à 1337, la lutte contre les Plantagenêts, et de 1337 à 1453, la guerre de cent ans.
Dans le premier conflit que soulève, entre Capétiens et Plantagenêts, la possession du duché d’Aquitaine, le Périgord est l’un des premiers à rallier l’étendard de Philippe Auguste (1204). Les comtes du Périgord réagissent en participant à toutes les tentatives faites pour débarrasser le sol royal de la tutelle anglaise. Le pays est hérissé de forteresses, car les Périgourdins n’acceptent pas l’autorité des Anglais. Ils opposent à l’occupant une résistance farouche, souvent glorieuse et parfois triomphante. Plus tard, lors de la guerre de Cent ans (1337–1453), le Périgord sert à la fois de frontière, de base d’opérations, de champ de bataille et d’îlot de résistance.
L’histoire du Périgord s’assombrie. En l’espace de deux siècles, le pays change souvent de main, écartelé qu’il est entre les deux royaumes : en 1224, il appartient à la France ; en 1258, aux Anglais ; en 1294, il est confisqué par Philippe le Bel ; en 1303, il est rendu aux Anglais ; repris par Philippe de Valois, il est rendu, pour la troisième fois, aux Anglais (traité de Brétigny) ; Charles V, roi de France, doit le conquérir à nouveau, mais il repasse sous l’autorité anglaise à la fin du règne de Charles VI ; enfin, il revient définitivement à la couronne en 1454, et à la France en 1589.
Renaissance et guerres de Religion
Sous les règnes de Charles VII, Louis XII, François Ier et Henri II, le Périgord renaît de ses cendres, avec la paix revenue. La reprise économique s’accompagne d’un nouvel élan où apparaît l’art de la Renaissance. Les villes s’embellissent de nobles logis et l’on voit s’élever une foule de châteaux, manoirs et gentilhommières où s’associent la tradition de l’architecture militaire du Moyen-âge et l’Art de la Renaissance qui sont l’un des charmes du Périgord. (4)
Les guerres de Religions ne furent en Périgord qu’une longue suite de massacres entre catholiques et protestants, opposant les villes-évêchés de Périgueux et de Sarlat aux places-fortes réformées de Bergerac, de La Force ou de Mussidan, malgré l’appel à la raison et à la tolérance d’un La Boétie ou d’un Montaigne. (3)
Puis viennent les guerres de religion, beaucoup plus sanglantes que les guerres contre les Anglais. Le Périgord est d’ailleurs une des provinces de France les plus éprouvées par les guerres de religion. Pas un coin n’est épargné par les instincts belliqueux de la turbulente noblesse périgourdine qui se déchaîne librement, et ce, au détriment de la paysannerie qui subit, en plus, les maux cruels de la famine, des épidémies de toutes sortes et de la peste. Il faut dire que de nombreuses familles nobles périgourdines adoptent les idées nouvelles : les Caumont-Laforce, les Lur de Barrière, les d’Ait de Meymy… L’évêque de Périgueux lui-même, Bouchard d’Aubeterre, devient huguenot ! Mais c’est la maison d’Albret qui contribue le plus au progrès de la religion réformée dans le pays. En 1572, Henri de Navarre, futur Henri IV, reçoit de sa mère, Jeanne d’Albret, le comté du Périgord, le vicomté de Limoges. Il fait du Périgord son principal quartier général. Après les « élites pensantes », les idées de la Réforme gagnent rapidement les villes puis les campagnes.
Depuis son rattachement définitif au royaume de France, au lendemain de la bataille de Castillon (1453), le Comté du Périgord avait constitué, non seulement une division territoriale de l’ordre monarchique, mais une province à part entière qui eut périodiquement l’opportunité d’affirmer son identité et d’exprimer ses volontés lors de la convocation des États du Périgord, réunissant représentants du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie : pour la première fois, dès 1455 (juste après la guerre de Cent Ans) et, pour la dernière fois, en 1651 (pendant la Fronde). (3)
Un premier foyer protestant se développe à Sainte-Foy-la-Grande, dès 1540. Quatre ans plus tard, la Réforme gagne Bergerac. Étant la ville la plus importante du Périgord, Périgueux fait l’objet de luttes incessantes, chaque partie désirant s’y établir. Les chefs protestants Guy de Montferrand, baron de Langoiran, et Geoffroy de Vivans s’emparent, par surprise, en 1575, de Périgueux, qui devient une des places de sûreté des religionnaires, en vertu de l’Édit de 1576, et cela jusqu’en 1581, date à laquelle elle retombe aux mains des catholiques. Bergerac connait une situation aussi difficile. D’abord fief protestants, elle tomba, en 1562, au pouvoir des catholiques, qui ne la conserve la conserve qu’un an. À plusieurs reprises, Bergerac change de main jusqu’au jour où elle est contrainte de se rendre à Louis XIII. Pour la punir d’avoir pris le parti des chefs protestants, les ducs de Rohan et de la Force, le roi signe, en 1621, l’ordre de démanteler toutes les fortifications de la ville ; moins de dix ans plus tard, elles auront totalement disparu. Réformés et catholiques cohabitent tant bien que mal jusqu’aux nouvelles persécutions et dragonnades de la fin du siècle, qui vident Bergerac de ses forces vives. Ribérac sert, en 1568, de refuge à ce qui reste des troupes des protestants qui ont été vaincues par le duc de Montpensier, dans les environs de Mensignac. Le duc de Bouillon s’y établit en 1584 avec les religionnaires. Déjà éprouvée par les sièges qu’elle a dû soutenir contre les Anglais, de 1356 à 1406, Nontron est prise d’assaut, le 8 juin 1569, par les troupes de Coligny composées de protestants et de mercenaires. Périgueux et les principales villes subissent l’influence de la ligue jusqu’à l’avènement d’Henri IV, qui est le dernier comte du Périgord.
La révolte des Croquants et des Tard-Avisés
Les effets dévastateurs des guerres de Religion qui ont laissé le pays exsangue, les famines et les épidémies qui s’en suivent, la lourdeur des charges fiscales et des droits féodaux qu’ils ne supportent plus, suffisent à expliquer les révoltes des « croquants » qui vont, par intermittences et sur une période de près de deux siècles, ressusciter les sanglantes jacqueries du Moyen Âge. C’est à partir de la paroisse de Croc en Limousin que la colère va déferler sur les campagnes périgourdines, s’étendre sur le Quercy voisin, puis sur une grande partie du Sud-Ouest de la France…
Tout d’abord, en 1594–1595, des milliers de paysans du Périgord et des provinces voisines se soulèvent contre l’augmentation des impôts qui doublent de 1570 à 1594. Ils tiennent des assemblées, rédigent des cahiers de doléances, dépêchent des députés auprès du roi ou des États du Périgord et se dotent d’une armée. Ils refusent de travailler pour les seigneurs et organisent des expéditions punitives contre eux. Des « gabeleurs » chargés de collecter les impôts sont tués. La noblesse réagit rapidement. Le vicomte de Bourdeilles, sénéchal du Périgord, mobilise contre eux la noblesse du pays ; presque tous les seigneurs, catholiques et protestants, répondent à son appel et se réconcilient pour écraser cette jacquerie qui menace leurs privilèges. Ils s’en prennent aux seigneurs, s’attaquent aux officiers de justice et aux collecteurs d’impôts. Ils sont attaqués et exterminés à Négrondes (août 1595), à Saint-Crépin-d’Auberoche (août 1595), à Condat-sur-Vézère (septembre 1595). En 1596, le roi Henri IV, leur accorde « remise des arrérages des tailles et subsides ». En 1597, toujours mécontents, mais apaisés, les paysans retournent à leurs champs, plus misérables que jamais.
Leur situation s’étant aggravée sous le règne de Louis XIII – à cause des exigences fiscales de Richelieu et d’une levée extraordinaire de blé pour le ravitaillement des troupes –, ils reprennent les armes en 1635, aux cris de « la justice ou la mort ». La révolte gronde à Périgueux tout d’abord, puis, à partir de 1637, dans les campagnes. Une armée de 8 000 croquants, avec à sa tête, un noble, La Mothe La Forêt, tente d’investir Périgueux le 1er mai et s’empare de Bergerac le 11. Ils parviennent à tenir la ville durant trois semaines. La résistance de Sainte-Foy-la-Grande les arrête dans leur progression vers Bordeaux. Le gouverneur de Guyenne lève alors une armée qui les écrase lors des sanglantes batailles de La-Sauvetat-d’Emet et à Monpazier. Certains chefs sont exécutés sans procès, comme le tisserand Buffarot. Malgré leur dispersion, des révoltés se rassemblent dans la forêt de Vert, au cœur du pays, pour continuer la lutte, sous le commandement de l’intrépide Pierre Grelety, un paysan originaire de Saint-Mayme. Pendant cinq ans, ils vont tenir tête aux troupes royales commandées, sans grand succès, par des chefs célèbres. Finalement, le 25 janvier 1643, il entre dans la légalité avec le pardon du roi ; il est engagé, avec ses compagnons, dans l’armée royale, avec le grade de capitaine.
En 1707, une révolte dite des Tard-Avisés (nom déjà donné aux révoltés de 1594, ainsi nommés parce que les paysans se révoltent tardivement, au moment où les guerres civiles s’apaisent) embrase le Périgord et le Quercy voisin, mais elle est vite réprimée.
D’autres soulèvements paysans accompagneront la Révolution de 1789 (en Périgord, l’hiver 1789/1790 a été particulièrement rigoureux).
LE SAVIEZ-VOUS ? L’origine du mot « croquant » est très controversée : selon Théodore Agrippa d’Aubigné, il désignerait la paroisse de Croc, en Limousin, là où les révoltes auraient commencé ; pour Jacques-Auguste de Thou, ce mot se réfère au fait que les révoltés détruisaient les biens d’autrui à l’aide d’une fourche, le « croc » ; et enfin, selon Pierre Victor Palma Cayet, ce mot viendrait de l’occitan crouca (« accrocher, croquer, accroupir »), car les paysans révoltés criaient, par dérision : « aux croquants ! », autrement dit à mort ceux qui croquent, mangent ou exploitent les pauvres gens… Bien que ces trois sources soient contemporaines des évènements, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés !
Les troubles de la Fronde et la Révocation de l’Édit de Nantes en Périgord
Pendant la minorité de Louis XIV, le Périgord est ébranlé par les troubles de la Fronde (1648–1653) dont les soubresauts ont été parfois violents. Les principales villes ayant commis l’imprudence de se ranger dans le parti de Condé, gouverneur de la Guyenne, le pays subit à nouveau les cruelles vicissitudes de la guerre civile : dévastation des campagnes, sièges et assauts des villes. En octobre 1651, Périgueux se voit imposer les troupes du prince de Condé qui venaient d’être chassées de Sarlat. En août 1653, elle reste la seule ville du Sud-Ouest hostile au roi, situation qui dure jusqu’au 16 septembre. Mais une conjuration ourdie par Joseph Bodin permet à ses habitants de mettre les frondeurs dehors. Le Périgord repassera rapidement sous l’autorité du roi.
Plus tard, le Bergeracois est fortement touchée par le martyre des protestants que provoque la Révocation de l’Édit de Nantes, signé par Louis XIV, le 18 octobre 1685. Malgré des persécutions sauvages, la résistance des Huguenots est opiniâtre et prolongée. Ce n’est que le 12 décembre 1700 que le duc de La Force, chargé de la répression, peut annoncer que la ville de Bergerac s’est convertie. Mais à quel prix ! Beaucoup de protestants ont tout abandonné pour sauver leur foi ; un grand nombre de commerçants, d’industriels, d’artisans (parmi les plus actifs et les plus lettrés du pays) immigrent, surtout en Hollande. Le commerce et l’industrie ont été anéantis et Bergerac ne retrouvera pas, avant longtemps, son ancienne prospérité.
De l’époque moderne à aujourd’hui
Le règne de Louis XV apporte la pesanteur de l’administration que détient désormais l’Intendance à Bordeaux et surtout des subdélégués qui sont encore plus tatillons parce que plus proches. Toutefois, le Périgord connait une période plutôt calme pendant tout le XVIIIe siècle. Mais rien ne peut empêcher les disettes de 1742, 1752, 1765, 1771, 1773 et 1776. Au moment de la révolution de 1789, il y a bien eu une certaine agitation, mais cela n’a rien à voir avec les guerres de Vendée. Tout au plus quelques prêtres réfractaires, des luttes et des dénonciations, quelques excès commis par des tribunaux populaires çà et là, quelques châteaux démantelés par les révolutionnaires, mais l’ordre et la tranquillité ont été maintenus, même dans les moments les plus critiques et ce, grâce aux représentants du peuple Romme et Lakanal. Lors de sa création, en 1790, le département de la Dordogne prend les contour de l’ancienne province du Périgord.
Depuis, le département de la Dordogne a joui d’une tranquillité absolue, et cela, jusqu’à la guerre de 1940. Certes, comme tous les autres Français, ses enfants participent bien aux guerres de l’empire, à celle de 1870 et à celle de 1914, mais la région ne souffre pas plus qu’une autre région de France.
Mais sous l’occupation allemande, les Périgourdins qui, historiquement, n’ont jamais pu supporter aucune occupation étrangère, résistent face à l’envahisseur, parfois avec une folle témérité. Après l’invasion de la zone sud en 1942 et l’instauration en 1943 du STO (Service de Travail Obligatoire en Allemagne), le Périgord, devient l’un des bastions de la Résistance. En juin 1944, la remontée vers la Normandie de la division blindée Das Reich, freinée par le harcèlement de la résistance locale, entraîne des exécutions sommaires et des crimes de guerre dont le souvenir est encore bien présent dans la mémoire locale. Le village de Rouffignac est incendié par les Allemands en 1944 (seule l’église échappe à la destruction). Un autre village du Bergeracois, Mouleydier, est entièrement incendié par les troupes allemandes les 21 et 22 juin 1944 : 22 habitants sont fusillés après avoir été torturés, 164 maisons incendiées. Dans toutes les villes et tous les villages du Périgord, une plaque commémorative rappelle le martyr de ceux qui ont été fusillés par les occupants.
Après la guerre, la Dordogne n’évolue que lentement d’une polyculture en grande partie autarcique à une agriculture spécialisée. Aucune industrie ne s’implante, mais tout un réseau de petites entreprises se développent. Il faudra attendre l’arrivée de l’Autoroute A20 dans les années 1980 pour que commence vraiment le désenclavement de la région. Ce long processus sera complété, en 2013, avec l’achèvement de l’autoroute transversale A89 (Bordeaux-Lyon, via Périgueux). Ce sont donc deux axes routiers principaux qui traversent maintenant le département : l ’A89 qui assure la liaison ouest-est reliant Bordeaux à Lyon, et la N21, axe nord-sud, (Limoges – Agen – Pyrénées via Tarbes) qui permet de relier les deux principales agglomérations, Périgueux et Bergerac. La lenteur de cette évolution a cependant pour contrepartie bénéfique de préserver les paysages, le patrimoine et le caractère de cette région dont l’un des grands atouts est aujourd’hui le tourisme, un tourisme qui ne cesse de se développer, le plus souvent – et fort heureusement – dans le respect de l’environnement.
Si l’histoire du Périgord a été à ce point mouvementée, c’est que cette province fut, au cours des âges, axe de pénétration et voie de liaison, carrefour d’influences, lignes frontalières et route stratégique. « Le long de la Dordogne nostalgique, on n’apprend pas l’histoire, on la revit. » — Gérand Lavergne.
Sources et notes :
- (1) Guy Penaud, Petite histoire du Périgord, Geste éditions, 2013.
- (2) Jean Secret, Le Périgord, Éditions Fernand Lanore, Paris, 1982.
- (3) Pierre Delfaud, Économie du département de la Dordogne, Sud Ouest Université, Éditions Sud Ouest, 2000.
- (4) Jean Secret et Georges Rocal, Châteaux et manoirs du Périgord, Bordeaux, Éditions Delmas, 1938.
Crédits photos:
- Armoiries de la famille de Calvimont, au dessus d’une cheminée dans les ruines du Château de l’Herm, à Rouffignac, Dordogne, by Jebulon (Own work), license Creative Commons.
- Les ruines de l’abbaye de Boschaud, Villars, Dordogne, by Père Igor (Own work), license Creative Commons.
- Abbaye de Chancelade, Dordogne, by Jean-Christophe Benoist (Own work), license Creative Commons.
- La tour de Vésone, Périgueux, Dordogne, by Père Igor (Own work), license Creative Commons.
- Henri de Navarre, portrait au crayon dessiné par Pierre Dumonstier, 1568, Bibliothèque nationale de France, Domaine public.
- Gisant d’Aliénor d’Aquitaine, au second plan Henri II Plantagenêt, à l’Abbaye de Fontevraud, by ElanorGamgee (Own work), license Creative Commons.