Né en 1820 à Cuzorn, près de Fumel, Jean Auguste Hilarion est le fils cadet d’Élisabeth Dabland et d’Antoine Ballande, papetier et maître de forges à Pombié et à Libos. Hilarion Ballande finit ses jours en Périgord, au château de la Finou, à Sainte-Colombe de Lalinde.
En 1841, le père d’Hilarion, Antoine, s’installe à Couze-et-Saint-Front pour exploiter le moulin à papier de Bayac(1). C’est à cette époque qu’Hilarion quitte Couze pour entamer des études de pharmacie à Paris, selon les désirs de ses parents. Lui souhaite devenir comédien. Aussi en 1842, contre l’avis de sa famille, il cesse ses études et entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris.
Sa rencontre avec Pierre Lafon
Pierre Lafon, qui est avec Talma l’un des plus grands comédiens du début du XIXe siècle, est un compatriote, né à Lalinde en 1773. Surnommé « le beau Lafon », sa beauté physique et son talent d’acteur lui valent d’innombrables succès féminins, notamment auprès de Pauline Bonaparte alors mariée à Leclerc. Cette idylle n’est pas du goût de Bonaparte qui, mis au courant de la relation de sa sœur, furieux, lui ordonne avec force de suivre son général de mari à Saint-Domingue.
Retiré de la scène depuis 1839, Lafon reçoit courtoisement Hilarion Ballande, et lui demande de réciter quelques tirades. Le fort accent périgourdin de Ballande le fait sourire. Il se remémore ses débuts parisiens où son accent trop prononcé lui avait été reproché. Lors de cet entretien, ils évoquent les aléas du métier de comédien ainsi que l’impact des critiques de presse parisiens, très durs envers les provinciaux. Viendront s’y ajouter jalousies et hypocrisie des autres tragédiens, et les trahisons qui ne manqueront pas de jalonner sa carrière. Lafon énumère ainsi les embûches qui attendent Hilarion avant d’être connu et surtout reconnu. Le jeune Couzot écoute avec attention son aîné, mais cela ne le décourage nullement de devenir comédien. Lafon n’a pas l’occasion de voir longtemps le succès de son protégé. Il meurt en 1846, alors qu’il se trouve retiré à Bordeaux chez sa fille.
La vie parisienne
Hilarion Ballande commence sa carrière à l’Odéon, le 7 mai 1843. Il est abondamment critiqué, comme l’avait prévenu son mentor, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre sa carrière. Entre 1843 et 1849, il apparaît dans plusieurs pièces : Lucrèce en 1843, Le Misanthrope, Le Légataire, Hamlet, Le Vieux Consul, Héli le Prophète en 1844, Le Lys d’Évreux, Walstein en 1845, Le Syrien, Egmont, Spartacus, Isabelle de Castille en 1847, Le Collier du Roi, La fille d’Eschyle, Henri III et sa cour, Le Doute et la Croyance. Il connaît son plus grand succès avec Macbeth en 1848, l’année où la révolution de Février bouleverse le statut de l’Odéon. Ce théâtre est désormais géré par la Société des Comédiens, dont le poste de vice-président est confié à Hilarion Ballande. Un peu plus tard, il brigue le poste de directeur, mais n’obtient pas la majorité des voix. Probablement déçu, il quitte l’Odéon en 1849, après avoir fait une dernière apparition dans La mort de Stafford.
Après son passage à l’Odéon, il présente sa candidature au Théâtre Français et, à cette occasion, reçoit l’appui d’auteurs dramatiques illustres. Victor Hugo lui écrit : « Je suis heureux, Monsieur, de vous donner le témoignage que vous voulez bien me demander. Je vous ai applaudi dans plusieurs rôles, et notamment dans Macbeth. L’homme qui a ainsi compris Shakespeare comprendrait à coup sûr supérieurement Corneille. Votre talent est de ceux qui ennoblissent encore la scène la plus élevée ; c’est là que votre avenir vous appelle, c’est là que nous vous applaudirons avant peu, je l’espère, dans votre intérêt, Monsieur, et dans l’intérêt de l’art ».
Alexandre Dumas soutient également sa candidature. Il écrit directement à l’administrateur du Théâtre Français : « Je crois, dans ma conscience dramatique, que Monsieur Ballande, après les créations remarquables qu’il a faites à l’Odéon, a droit d’entrer au Théâtre Français. Pour mon compte personnel, si M. Ballande y était, je trouverais occasion, à ma première tragédie, de lui donner un rôle ».
Il reçoit aussi l’appui d’Alfred de Vigny : « Je m’empresse de joindre mon témoignage à celui des poètes dramatiques qui viennent de rendre justice au talent de M. Ballande. Ils ne sauraient manquer de trouver en lui un digne interprète de leurs œuvres. Ses créations déjà nombreuses ont assez attesté son expérience précoce de la scène et ses études profondes de l’art le plus élevé. Lorsque le sentiment exquis des beautés de la tragédie antique s’unit dans le même homme au sentiment juste de la vérité passionnée du drame moderne, n’a-t-il pas le droit d’être considéré non seulement comme parfaitement digne d’être membre de la Comédie Française, mais comme devant y apporter les gages assurés d’un avenir long et brillant ? Je vois cette double puissance en M. Ballande. Je me plais à dire et souhaite que le Théâtre Français ne tarde à le recevoir. »
Avec de telles recommandations, l’administrateur du Théâtre Français n’a d’autre choix que d’accepter la candidature de Ballande. Son entrée est une simple formalité. Il va rester pensionnaire de ce théâtre jusqu’en 1853. Cependant, devant le peu de rôles qui lui sont confiés, il démissionne. A-t-on voulu lui faire payer les fortes recommandations qu’il avait reçues ? C’est en tout cas ce qu’avancent certains chroniqueurs de l’époque, l’administrateur du Théâtre Français n’ayant pas pour habitude de se faire forcer la main.
Mademoiselle Rachel, dont il était le camarade, l’engage dans sa troupe. Il y reste quatre ans, jusqu’à la mort de Rachel, le 3 janvier 1858. Ensuite il disparaît des affiches et se lance dans la politique, sans succès. Puis il se tourne vers la littérature. Il écrit Une prière à notre Saint Père le Pape (1860), puis un recueil de poèmes : Châteaux en Espagne (1861), une comédie en 4 actes intitulée : Une femme (1867), La Parole ou l’Art de dire et d’exprimer… (1868), et Les Grands Devoirs, drame en vers qui se jouera bien plus tard, en 1876, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, ainsi qu’un Rapport à son Excellence Monsieur Maurice Richard, ministre des Sciences, lettres et beaux-arts, sur les matinées littéraires et sur la Société de patronage des auteurs dramatiques inconnus (1870).
En 1867, il crée la Société de patronage des auteurs dramatiques inconnus qui devait faciliter aux jeunes auteurs la représentation de leurs ouvrages ; tentative restée vaine. Puis, en 1869, il met à exécution au Théâtre de la Gaîté l’idée qui va illustrer son nom : Les Matinées littéraires. Ces représentations consistent à faire revivre dans l’après-midi du dimanche, quelques chefs-d’œuvre de l’ancien répertoire, en les faisant précéder d’une conférence où sont évoqués l’œuvre et son auteur.
À cette époque, il n’est pas d’usage de jouer dans la journée. Avant lui, aucun directeur de théâtre parisien n’a osé tenter l’aventure. Dans un premier temps, on se moque de cette entreprise insensée. Les gens du métier prétendent que c’est une utopie, que jamais le public n’acceptera de se déplacer les dimanches après-midi. Hilarion, qui n’a que faire de ces railleries, persiste et finalement, obtient un énorme succès. Le Tout-Paris parle des Matinées Ballande. Son initiative est copiée par l’ensemble des théâtres parisiens. Tous instaurent une séance d’après-midi. L’idée jugée farfelue la veille devient subitement une idée de génie, et l’usage des matinées se perpétue encore de nos jours.
Cependant, malgré le succès qu’Hilarion remporte avec ses Matinées, son contrat n’est pas renouvelé au Théâtre de la Gaîté. Le théâtre se sépare de lui mais s’approprie le concept des Matinées. Ballande proteste devant cette trahison. Il n’obtient pas gain de cause. On lui a volé son idée ! Il décide alors d’organiser ses Matinées au Théâtre de la Porte Saint-Martin, avec ses propres deniers, malgré la concurrence déloyale des théâtres subventionnés par l’État qui organisent bien évidemment des Matinées. Il s’en plaint au directeur général des Théâtres qui l’écoute poliment. Il lui rappelle la promesse de Maurice Richard, ministre des Beaux-Arts sous l’Empire, qui lui avait assuré : « Si la Comédie Française et l’Odéon donnent des matinées, vous n’aurez qu’à vous en applaudir au double point de vue de l’amour-propre et de vos intérêts… Je considérerais comme une spoliation qu’il en fût autrement ». Hilarion Ballande ajoute : « J’aime à croire, Monsieur le directeur, que vous voudrez bien penser et agir comme, à votre place, aurait pensé et agi M. Maurice Richard. Vous comprenez fort bien que je ne puisse soutenir la concurrence qui m’est faite, et que, d’autre part, je ne peux être dépossédé de mon idée par un théâtre qui, au lieu d’employer la subvention qu’il reçoit à remplir les conditions de son cahier des charges, l’emploie à tuer une institution reconnue comme le meilleur mode d’enseignement populaire qui existe et qui imprime un essor considérable à l’esprit public vers les choses élevées de notre grande littérature théâtrale. » Hilarion n’obtient rien du directeur des théâtres, ce qui le mène à la faillite !
Les recettes commencent à baisser et malgré une subvention de quatre mille francs accordée par l’Académie française, son déficit approche les vingt-cinq mille francs. Meurtri et désenchanté, il abandonne son activité d’entrepreneur en 1876 pour prendre la direction du Théâtre Déjazet jusqu’en 1880 et obtient le poste de directeur du Théâtre des Nations. Il y reste jusqu’en 1883, année où il décide de quitter la vie parisienne pour se retirer avec son épouse, Célina de Mailly, dans son château de la Finou acquis en 1881, à Sainte-Colombe, sur la commune de Lalinde.
Tout au long de sa carrière, Hilarion Ballande est une personnalité contestée. Il refuse de s’attirer les bonnes grâces de ceux qui font ou défont les réputations. Certains critiques artistiques ne lui pardonnent pas cette attitude. Maxime Boucheron lui rend néanmoins un hommage posthume dans L’Écho de Paris : « En dépit des légendes et des brocarts dont il fut accablé par la malignité de ses contemporains, Hilarion Ballande reste une personnalité artistique fort intéressante à étudier. C’était un homme instruit, d’excellente famille, connaissant le théâtre. Peu de vocations furent aussi impérieuses que la sienne. Il apportait dans l’interprétation des rôles du répertoire une rare intelligence servie par le sentiment vrai des saines traditions classiques ».
Les journalistes et les professionnels du théâtre s’accordent sur un point, tous reconnaissent qu’il est l’inventeur des séances en matinée. Hilarion Ballande a aussi l’art de découvrir de nouveaux talents. C’est lui qui, notamment, fait jouer Mounet-Sully dans ses débuts.
Ses détracteurs le disent pingre. Mais probablement à tort car, de 1883 jusqu’à sa mort, il n’a jamais réclamé la pension à laquelle il a droit en tant qu’ancien sociétaire de la Comédie française. D’ailleurs, un membre de l’assemblée des artistes s’exprime en ces termes en annonçant la mort d’Hilarion à ses collègues : « Il pouvait réclamer sa pension, il n’en a rien fait, ce qui nous a donné la latitude d’en faire profiter un moins heureux que lui ». Peu de temps avant sa mort, le gouvernement lui décerne les palmes académiques.
Ballande au château de la Finou
Dans ce château du XVe siècle entouré de forêts giboyeuses, de prairies, et de restes d’anciens vignobles, il se découvre une autre passion. Il veut reconstituer ses anciens vignobles détruits par le phylloxéra. Il transforme alors un petit pavillon attenant au château en laboratoire et là, au milieu des agents chimiques, se met en tête de découvrir un remède contre ce fléau de la vigne. Les études de pharmacie entreprises dans sa jeunesse vont lui être utiles. Malheureusement, il ne peut jouir très longtemps du calme de sa retraite colombienne. Il meurt le 27 janvier 1887, à l’âge de soixante-sept ans, sans avoir découvert le remède qui aurait pu sauver ses vignes.
Jean Auguste Hilarion Ballande repose à Couze-et-Saint-Front, dans le caveau de la famille Ballande.
Christian Bourrier
Notes :
Crédit Photos :
- Vue du Théâtre de l’Odéon, aquarelle de Jean-Baptiste Lallemand
- Caricature d’Hilarion Ballande en couverture de la revue « Les Hommes d’Aujourd’hui » n° 247, 1884.
- Épitaphe en hommage à Hilarion Ballande, cimetière de Couze-et-Saint-Front © photo Françoise Cheyrou
- L’une des tours du château de la Finou © photo Père Igor.