Les curieux engins de Monsieur Soulème

À la fin des années quarante et au début des années cinquante, la Ville de Bergerac peut se vanter d’avoir compté, parmi ses illustres habitants, un génial inventeur, aussi énigmatique que ses créations furent originales… Son nom ? Monsieur P. Soulème.

L’histoire se déroule fin 2012. Nous avions organisé une exposition de photos d’événements insolites ou méconnus du Bergeracois des années 30 et 40 provenant du fonds de mon grand-père photographe, Robert Bondier, et de son frère Léon. Les curieux engins de Monsieur Soulème y avaient bien entendu une place d’honneur, même si je ne possédais alors aucune information sur les circonstances de leur fabrication. Seul le nom de leur probable inventeur et constructeur figurait sur les registres que tenaient les frères Bondier.

Un jour, je vis rentrer dans le local d’exposition un homme d’âge avancé, de grande taille, au maintien très droit et à l’élégance raffinée. Son air sérieux, voire austère, n’engageait pas à la discussion. Aussi, après un rapide échange de salutations, il commença seul la visite de l’exposition.Celle-ci montrait des événements aussi divers que le camp soviétique de Creysse en 1945, les sabotages des ponts du Bergeracois en 1944 ou les formidables soldes des Galeries Modernes avant qu’elles ne deviennent Printania en 1939. Je le vis pourtant s’attarder longuement devant les photos des réalisations de Monsieur Soulème. Elles semblaient retenir tout particulièrement son attention. Il examinait la photo du monocycle à moteur quand il se retourna vers moi et déclara, sans se départir de son air grave : « Vous savez que c’est moi qui ai payé tout ça ? »

À mon étonnement, il dut comprendre qu’il avait réussi sa mise en scène. Je le vis se détendre et il commença son récit d’un ton presque amusé : « Je suis Monsieur Fray, ancien marchand de meubles dans le bas de la rue Neuve-d’Argenson et ébéniste. J’avais à l’époque deux ateliers dans la rue des Fontaines. L’un pour la fabrication des meubles et l’autre, plus bas, pour le vernissage. Ces deux opérations ne pouvaient pas se faire dans le même lieu à cause de la poussière. »

J’avais connu, comme beaucoup de Bergeracois, le magasin de la rue Neuve où il proposait des meubles de grande qualité. En revanche, je ne connaissais pas ses ateliers de la rue des Fontaines qui avaient dû disparaitre dans les années 50 ou 60.
Il poursuivit son récit : «  J’avais besoin d’un marqueteur et j’ai débauché Monsieur Soulème qui travaillait chez un confrère bordelais. C’était un excellent artisan, très habile. Il s’est installé à Bergerac avec sa femme, une belle Andalouse qui attirait le regard des hommes sur son passage. Cependant, il semblait pourtant plus préoccupé par sa passion, la construction d’engins bizarres, que par la fidélité de son épouse. En dehors de ses heures de travail, je l’autorisais à rester à l’atelier pour construire les véhicules ou matériels sortis de son imagination. Je fermais les yeux sur le fait qu’il puisait largement dans les matériaux de l’atelier. C’est ainsi que je peux vous dire que j’ai largement payé ce monocycle à moteur ou ce pédalo terre-eau… »

Je n’ai pas revu Monsieur Fray, qui ne m’en a pas dit plus sur ces deux réalisations et sur leur concepteur. Cependant, les registres nous disent que Monsieur Soulème a fait appel aux frères Bondier pour les photographier, en juillet et en octobre 1946. En 1948, les photographes immortalisent l’imposant meuble « Radio-bar » et, en 1950, un véhicule publicitaire présentant « La Nationale 45 », un ensemble de meubles de trois pièces à propos desquels une publicité vantait ainsi la qualité : « Sans concurrence dans toute la France ! Condamnation sans appel du meuble camelotte [sic] ! C’est la chambre à coucher idéale, simple, robuste, chic et confortable, vendue au prix incroyable de 45 000 frs pour les trois pièces ! avec une garantie de 20 années !  » par « P. SOULÈME, Ébéniste d’Art, Boulevard de l’Entrepôt, Bergerac. »

C’est donc très certainement libre de tout engagement avec Monsieur Fray qu’en 1951, il conçoit et fait photographier son « brancard-lit pliant ». Il en fait une démonstration dans la cour de la Clinique Pasteur, avec la participation des religieuses infirmières.

Monsieur Fray en aura-t-il eu assez de financer les inventions de son collaborateur ? Ou Monsieur Soulème, sûr de son talent, a-t-il préféré le mettre au service de sa propre entreprise ? Ses inventions ont-elles connu un certain succès ou sont-elles restées des œuvres uniques ? Nous ne le saurons vraisemblablement jamais, Monsieur Fray étant aujourd’hui décédé. Heureusement, les photos témoignent bien de l’originalité et du talent de l’énigmatique Monsieur Soulème.

Michel Lecat
www.photo-bondier-bergerac.frmlecat@2peb.org


Crédit Photos :


Cet article a été publié dans le numéro 17 du magazine « Secrets de Pays ».

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