Isabeau de Limeuil, aux charmes sulfureux

Catherine de Médicis, Isabeau de Limeuil, Louis prince de Condé, via Wikimedia Commons.

Isabeau de Limeuil, aux charmes sulfureux

Elle a été l’un des fleurons de « L’Escadron volant » de Catherine de Médicis. On lui attribue de nombreux amants parmi lesquels le prince de Condé. Native de la paroisse de Limeuil, la belle Isabeau de la Tour d’Auvergne, égérie de Ronsard et de Brantôme, fait partie de ces femmes au destin exceptionnel.

Nous ne savons rien de la petite enfance d’Isabeau, probablement née à Limeuil vers 1542 (1). Son nom apparaît dans l’histoire quand sa cousine, Catherine de Médicis (2), l’invite à rejoindre l’escadron des demoiselles d’honneur de la cour de France. Isabeau de Limeuil est la fille de Gilles de la Tour d’Auvergne, baron de Limeuil, et de Marguerite de La Cropte, dame de Lanquais.

« L’Escadron volant » de Catherine de Médicis

Isabeau rejoint la troupe galante de la Reine composée de plus de cent cinquante demoiselles nobles qui sont autant d’atouts politiques que Catherine de Médicis utilise à bon escient. La Reine s’est constituée un véritable essaim d’agents dévoués à ses volontés, dont elle exploite les charmes auprès des hommes influents du royaume.

Isabeau de Limeuil n’a que seize ans lorsqu’elle arrive à la cour. Sa beauté va immédiatement faire sensation. En peu de temps, elle devient le fleuron de cet « Escadron volant » et, naturellement, le point de mire de tous les ragots de la cour. On lui prête mille aventures, sans preuve, sauf pour quelques cas précis, bien connus : Claude d’Aumale, fils du duc de Guise, et Florimond Robertet, ministre des Affaires étrangères, qui appartient au clan du duc de Guise. On suppose que ces amants ne sont pas choisis par hasard. La Reine a besoin de faire surveiller l’entourage des Guise.

Le prince de Condé

Les prétendants sont nombreux. Parmi les plus connus, citons le prince de Condé ; Claude de la Châtre, futur maréchal de France ; Claude II de Lorraine, duc d’Aumale ; Anne de Montmorency, maréchal de France ; Pierre de Ronsard qui lui écrit plusieurs élégies, des sonnets et des odes, ainsi que le Périgourdin Pierre de Bourdeilles, abbé séculier de Brantôme, auteur de Vies des dames galantes, plus connu sous le nom de Brantôme. Il va lui dédier une suite de vingt-six sonnets passionnés.

Cependant, malgré le nombre des soupirants qui la courtisent, peu d’entre eux ont les faveurs de la belle de Limeuil. Et ceux qui sont éconduits ne manquent pas de diffuser des allégations malveillantes. Notamment Brantôme, l’un des plus amoureux, lequel, après avoir écrit les choses les plus douces pour l’objet de sa flamme, va envenimer sa plume par dépit, en rapportant des commérages sans fondement.

Devant l’engouement que génère Isabeau, Catherine de Médicis comprend très vite le profit qu’elle peut tirer de la beauté de sa cousine, d’autant plus qu’elle a décelé chez le prince de Condé, chef des réformés, une forte attirance pour sa protégée. Le prince a rencontré Isabeau à Orléans, alors qu’elle accompagnait la reine lors des transactions destinées à mettre fin à la première guerre de religion. Il la retrouve quelque temps après à Fontainebleau, aux festivités de Carnaval organisées par la Reine. Dans un ballet, Isabeau y interprète la déesse de la jeunesse Hébé. Elle apparaît dans une tunique transparente qui laisse entrevoir ses formes de jeune sylphide. Elle illumine la scène et tous les regards de la cour sont braqués sur elle. Notamment Monsieur le prince, Louis Ier de Bourbon, prince de Condé, qui est envoûté. Il n’a pas de mal à séduire la jeune Isabeau, d’autant plus que cette aventure a la bénédiction de Catherine de Médicis qui n’en espère pas davantage. Condé représente aux yeux de la Reine un contrepoids face à la montée en puissance de la Maison de Guise. Catherine s’est arrangée pour que cette idylle ait lieu. La jeune et belle Isabeau, très amoureuse de son prince, probablement insouciante, ne sait pas qu’elle n’est en fait qu’un pion destiné à servir les intérêts politiques du royaume. Elle va l’apprendre à ses dépens à l’occasion de la naissance d’un fils, fruit de son union avec le prince de Condé.

Présumée coupable du crime de régicide

La Reine a averti sa troupe galante. Elle serait intraitable sur ce point. Isabeau le sait. Aussi, va-t-elle jouer de ruses pendant les mois de sa grossesse afin de cacher son état. Mais au cours des nombreux déplacements de la Reine qui exige sa présence, elle vit un véritable calvaire, jusqu’à la date fatidique du 15 mai 1564. À l’hôtel de Saulx, à Dijon, en pleine audience royale et aux yeux de toute la cour, Isabeau accouche d’un fils. L’événement provoque un véritable scandale. Tout le palais est en ébullition. Dans un premier temps on ne sait que faire du bébé, puis on finit par le placer à la hâte dans un panier en osier servant de niche à chien. Condé, présent à l’audience, apprend en même temps que toute la cour, de la bouche même d’Isabeau, qu’il est le père de l’enfant. Il s’empare du panier et quitte précipitamment l’assemblée pour mettre l’enfant à l’abri, afin que ses ennemis n’attentent pas à la vie de l’enfant.

Catherine de Médicis va faire preuve d’une grande sévérité envers sa parente. Comme certains ne manquent pas de le dire dans les coulisses de la cour, cette fermeté est d’autant plus injuste que la fille d’honneur n’a fait qu’exécuter les ordres de la Reine. Tous sont au courant des ordres : obéir aux volontés du prince. Mais personne n’ose dire tout haut ce qui se murmure dans les couloirs du palais, lorsque la pauvre Isabeau est renvoyée et enfermée sous bonne garde dans un couvent d’Auxonne. La Reine, consciente que cette arrestation n’est pas forcément justifiée, trouve un autre prétexte. Elle n’a aucune peine à trouver dans son entourage des courtisans prêts à accuser Isabeau de Limeuil de régicide, notamment parmi ceux qui ont été éconduits par la belle. Car Isabeau ne s’est pas fait que des amis à la cour. Les femmes, jalouses de sa beauté et de ses succès auprès des grands du royaume, et les hommes qui n’ont jamais pu l’aborder, tous se réjouissent de sa mésaventure.

La belle de Limeuil ne brillait pas que par sa beauté. Elle a la parole libre et hardie. La vivacité de ses réparties lui attire autant d’ennemis que ses charmes lui ont offert d’admirateurs. Elle ne prend pas de gants pour repousser les hommages qu’elle estime non convenable. De plus, sa spontanéité l’amène parfois à laisser échapper des paroles inamicales contre les uns et les autres. Jusque-là, tant qu’elle était protégée par la Reine, personne n’a prêté attention à ses propos. Mais après sa mise à l’écart, les paroles jadis prononcées, interprétées et rapportées avec force exagérations, viennent s’ajouter aux fausses déclarations de ceux et celles qui se sont empressés de la mettre à terre.

Afin de procéder à l’instruction de l’affaire, deux membres du conseil sont désignés par le Roi qui veut avec ce procès atteindre Condé. Heureusement pour Isabeau, malgré la persistance des accusateurs, l’enquête n’amène pas de preuve formelle de son prétendu crime d’État ; ce qui ne l’empêche pas de restée enfermée dans un couvent. Transférée à Auxonne, puis à Macon, à Lyon et à Vienne, le prince de Condé ne l’abandonne pas. Il lui écrit plusieurs lettres fort tendres, lui fait parvenir des vêtements chauds et l’informe sur la santé de leur fils qu’il promet de reconnaître. Dans une de ses lettres il lui signifie, dans un langage codé, qu’il a l’intention de la faire évader ; subterfuge que les espions de la reine n’ont pas de difficulté à déceler.

N’ayant plus aucun soutien en cette période où le clivage entre catholiques et protestants se développe, un évènement inattendu va totalement changer le destin d’Isabeau : la mort de l’épouse du prince de Condé, Éléonore de Roye. Suite à cet évènement, la rumeur selon laquelle le prince de Condé pourrait se remarier avec la veuve du duc de Guise met la Reine en émoi. Elle veut absolument empêcher ce mariage. Aussi, afin de brouiller les cartes, elle laisse le prince de Condé réaliser son projet d’évasion. Elle va même l’aider secrètement.

Dans un premier temps, sous le prétexte d’adoucir la peine de sa petite cousine, Catherine de Médicis la fait transférer au château de Tournon en Ardèche, propriété d’une parente des Limeuil. La comtesse de Tournon étant née de La Tour d’Auvergne, Isabeau se retrouve ainsi près d’une de ses parentes, qui n’a rien d’un garde-chiourme. Elle a le droit de recevoir des visites, et il ne faut pas longtemps au prince de Condé pour rejoindre sa belle et l’enlever. Ils se réfugient dans le château de Valéry (Yonne) ; château que le prince tient d’une de ses anciennes maîtresses, Marguerite de Lustrac, veuve du maréchal de Saint-André, qu’il n’a pas eu de scrupules à quitter malgré le magnifique cadeau qu’elle lui a offert. Le Roi s’en est irrité. Aussi ne pardonne-t-il pas à Condé l’affront qu’il a fait subir à la veuve du maréchal. Mais l’heure du prince viendra.

Isabeau va vivre avec le père de son fils des mois merveilleux. Homme libre après le décès de son épouse, la demoiselle de Limeuil espère bien qu’il va régulariser la situation. Mais c’est sans compter sur les affaires d’État. Les princes huguenots redoutant de voir leur chef entraîné dans une autre alliance exercent une pression constante sur Condé afin qu’il cesse sa relation avec Isabeau de Limeuil qu’ils considèrent comme un agent à la solde de Catherine de Médicis. Certains auteurs pensent que Condé s’est lassé de la demoiselle de Limeuil… Toujours est-il qu’il finit par céder. Il quitte Isabeau pour une prétendante, âgée de seize ans, que Coligny lui a présentée : Françoise-Marie d’Orléans-Longueville. Il l’épouse en 1565. Elle n’a de cesse de réclamer à son époux la restitution des bijoux et autres cadeaux qu’il a offerts à la demoiselle de Limeuil. Lassé par les remontrances de son épouse, le prince envoie un messager récupérer les présents. Isabeau, furieuse, se résout à remettre au commissionnaire de Condé tout ce qu’il lui demande, et notamment un miroir sur lequel est peint au dos le portrait de Condé. Cependant, avant de le remettre, elle prend le soin de dessiner à la plume deux cornes au milieu du front du prince : « Tenez mon ami, remportez cela à votre maître, je le lui rends comme il me le donna, je n’y ai rien ôté ni ajouté, si ce n’est que de lui-même il y ait ajouté quelque chose depuis. » (3)

Mariage de raison avec Scipion Sardini

Après cette rupture, Isabeau rentre en grâce auprès de la Reine et reprend sa place de demoiselle d’honneur à la cour. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, Scipion Sardini, parmi les Italiens qui gravitent autour de Catherine. Sardini est un banquier établi à Paris depuis 1560. Ses affaires sont florissantes, notamment grâce aux faveurs de la Reine. Isabeau l’épouse en 1569, quelques mois avant la mort du prince de Condé qui est tué à Jarnac en affrontant les troupes du comte d’Anjou. Elle n’a alors qu’un seul mot à la mort de Condé : « Enfin ! »

Scipion Sardini est originaire de Lucques, en Italie. Bien que sa famille ne soit pas d’extraction aussi élevée que celle des La Tour d’Auvergne, il n’en est pas pour autant d’origine roturière. Les Sardini sont connus depuis 1360. Plusieurs ancêtres de Scipion ont été ambassadeurs en France, en Espagne et en Allemagne.

Avant de s’établir en France, Scipion s’est vu confier des missions pour le compte du duc de Florence auprès de Charles Quint ; missions couronnées de succès qui lui ont valu de devenir l’homme de confiance de Cosme de Médicis, duc de Florence. En 1560, le duc lui confie une nouvelle mission en France. C’est au cours de celle-ci qu’il est remarqué par la Reine. Apparentée au duc de Florence, Catherine de Médicis demande à son parent si elle peut garder Scipion comme conseiller. C’est ainsi que Sardini s’installe à la Cour de France où il va bénéficier de la confiance de Catherine et de son fils Henri III. Avec leur accord, et peut-être leur aide, il fonde sa banque. C’est un banquier remarquable. En outre, il aide de ses propres deniers le financement de certains bataillons, en pleine guerre de religion. Sous le règne d’Henri III (1574-1589), Scipion est à l’apogée de sa carrière. Premier financier de Paris, toute la cour du Roi fait appel à lui.

À la mort d’Henri III, le dernier des Valois, c’est son beau-frère et cousin Henri de Bourbon qui va régner sous le nom d’Henri IV. Scipion Sardini n’a plus les faveurs du Roi. Mais il a acquis une fortune considérable sous les Valois qui le met à l’abri d’éventuelles vicissitudes. Propriétaire d’un hôtel particulier dans le quartier Saint-Marcel à Paris, d’un autre à Blois, du château de Serrant en Anjou, il se consacre au mécénat en faveur des arts et des belles lettres.

En 1577, Isabeau reçoit du cardinal de Bourbon, frère du prince de Condé, la vicomté de Buzancy dans les Ardennes. Avec une pointe de regret, le prince s’est-il peut-être souvenu qu’il avait eu un fils avec la belle de Limeuil ? Fils qu’il n’a jamais reconnu et qui porte le nom de Nicolas Sardini, seigneur de Princay, près de Blois, Nicolas ne touchera rien de la succession de son père adoptif. La vicomté de Buzancy, qui lui revenait de droit, va à Alexandre Sardini, fils aîné du couple.

En 1600, Scipion et Isabeau revendent le château de Serrant pour acquérir le magnifique château de Chaumont-sur-Loire qui a appartenu un temps à Catherine de Médicis et à Diane de Poitiers. Scipion porte le titre de baron de Chaumont qu’il a acquis suite à une dette impayée du sieur de Vaussemain réglée par ses soins. Cependant, leur résidence principale reste l’hôtel particulier de Paris.

Et c’est à Paris que Scipion Sardini meurt, en 1609. Isabeau ne lui survit pas longtemps. Elle meurt quelque mois plus tard, le 25 mars 1609. Son fils, Nicolas, ramène sa dépouille dans l’église Saint-Nicolas de Chaumont pour qu’elle repose auprès de son mari. Selon les témoins, il la fait transporter dans un carrosse « avec belle solennité ».

Triste fin pour la belle de Limeuil

À la Révolution, les sépultures d’Isabeau de Limeuil et de Scipion Sardini sont profanées puis détruites, et leurs cendres dispersées. L’église est démolie à la fin du XIXe siècle par la nouvelle propriétaire du château de Chaumont.

Triste fin pour la belle Isabeau. Adulée pour sa beauté par les plus grands dignitaires du royaume, elle a laissé son empreinte dans l’histoire de France grâce aux écrits de Brantôme et aux poèmes de Ronsard qui furent de fervents admirateurs de la petite Périgourdine. Aucune des filles de « l’Escadron volant » de Catherine de Médicis n’a bénéficié d’autant d’égard qu’Isabeau de Limeuil. Reniée par son frère Gilles de la Tour d’Auvergne, seigneur de Lanquais, lorsqu’elle a accouché de l’enfant du prince de Condé, et par la plupart de ceux qui l’avaient encensée, elle n’est jamais revenue sur sa terre natale.

Christian Bourrier
Pour en savoir plus : www.espritdepays.com/dordogne/histoire/isabelle-de-limeuil-la-scandaleuse


Notes :

  • (1) Elle serait née entre 1525 et 1544, selon les auteurs, au château de Lanquais pour les uns, au château de Limeuil pour les autres.
  • (2) La mère de Catherine de Médicis se nommait Madeleine de la Tour d’Auvergne. Elle s’était mariée avec Laurent de Médicis, duc d’Urbin, en 1518.
  •  (3) Brantôme, tome IX, page 510.
Crédit Photos :

  • Portrait de la régente, Catherine de Médicis, daté de 1560, par François Clouet. Musée Carnavalet, Paris. © Domaine public. 
  • Isabelle de Limeuil, Madame de Sardini, via Wikimedia Commons.
  • Louis prince de Condé, via Wikimedia Commons.
  • Mademoiselle Isabelle de Limeuil, fille d’honneur de la reine Catherine de Médicis, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
  • « La vie des dames galantes de Brantôme », un ouvrage de Pierre de Bourdeille, seigneur et abbé de Brantôme (1540-1614). Ces chroniques de la vie amoureuse à la cour des derniers Valois doivent ce titre, qui fit leur renommée, à l’éditeur Jean Sambix jeune qui les publia pour la première fois à Leyde en 1666.
  • Château de Chaumont-sur-Loire, via Wikimedia Commons.
  • Vue de la cour intérieure de l’hôtel Scipion à Paris, immeuble de la Renaissance en pierre et brique construit par Scipion Sardin, via Wikimedia Commons.

Cet article a été publié dans le numéro 13 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer en consultant la boutique du site…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *