Les Châteaux du Périgord



Les quelques 1 500 châteaux, manoirs et gentilhommières du Périgord impressionnent le visiteur par leur nombre et leur variété : il est bien difficile d’expliquer cette exceptionnelle densité par l’Histoire, ainsi que la prolifération des fiefs. Nulle part, mieux qu’en Périgord, ne s’applique l’adage : « Nulle terre sans seigneur ! ». Le miracle c’est que chacune de ces demeures s’inscrit dans un cadre à sa taille et à son échelle ; qu’il y a une sorte de symbiose entre l’habitat et le terroir, celui-ci fournissant à celui-là les matériaux locaux : granit ou calcaire, schiste ou torchis, tuiles ou ardoises, mais surtout, autrefois, la lauze aux gris variés et délicats. Et ces demeures offrent non seulement leur architecture d’une étonnante variété, mais la sculpture qui les a ornées, ceci, tantôt sous forme de mâchicoulis moulurés d’arcs, tantôt sous celle d’un portail flamboyant (l’Herm, Château-l’Évêque), tantôt sous celle d’une décoration intérieure (cheminée de Fages, Lanquais et Bannes), voire sous celle d’un parti décoratif exubérant, où le ciseau du sculpteur a fait chanter la pierre des culs-de-lampe, des ogives, des voûtes plates, des fenestrages, des lucarnes et des tours, comme à Puyguilhem ou à Mareuil. — Jean Secret. (1)

Généralités

Le Périgord, lieu de fortes rivalités successorales, est sans aucun doute la province la plus médiévale de France. Le nombre proverbial de ses mille et un châteaux résume bien l’histoire tourmentée de cette région au passé d’une richesse exceptionnelle. Tel un livre d’histoire ouvert depuis de nombreuses générations, on peut facilement suivre l’évolution de l’architecture castrale en Périgord, de l’austère moyen-âge à l’élégant classicisme du Grand Siècle, en passant par l’extraordinaire floraison de la Renaissance.

Forteresses moyenâgeuses perchées au sommet des falaises, manoirs Renaissance au bord des rivières, castels blottis au creux des vallons, ruines romantiques oubliées par le temps, le Périgord vous offre tout cela et davantage encore car certains de ses châteaux ont traversé plus de huit siècles d’histoire. Leurs murs résonnent encore des bruits de batailles, des cris d’amour et de haine de leurs hôtes. Ils se souviennent de leurs victoires et de leurs drames. Toute pierre est un livre d’histoire. — Jean-Luc Aubardier, Michel Binet. (2)

La distribution géographique des châteaux des XIe et XIIe siècles révèle qu’ils s’implantèrent d’abord dans les vallées où se concentraient le peuplement, la richesse agricole, les échanges. Ils furent établis sur des points naturellement forts, escarpements rocheux, pointes d’éperon, ou en fond de vallon sur des tertres entourés de marécages, presque toujours placés près d’axes de communications terrestres ou fluviales, pour les contrôler et imposer un péage, souvent près de carrefours où voie d’eau et route entraient en contact comme à Mouleydier, Lalinde ou Badefols-sur-Dordogne. Rares sont les établissements fondés sur les terres maigres des plateaux forestiers qui furent maintenues. Certaines mottes castrales anonymes et désertées seraient disséminées dans le paysage périgourdin comme La Moutère à Bosset, Las Moutes à Saint-Georges de Blancaneix, Saint-Géry, Le Moutot à Léguillac-de-l’Auche, Vaudu à Saint-Michel-l’Écluse, Château Bigou à Salon de Vergt…. (3)

L’évolution de l’architecture castrale en Périgord

À partir de l’an mil, le château seigneurial connaît une évolution rapide et continue. En Périgord, cette évolution est facile à suivre, les innovations architecturales préférant se mêler aux anciennes, sans véritable unité architecturale. Bon nombre de châteaux périgourdins ont la particularité de faire cohabiter, de façon harmonieuse, une très grande diversité de styles due aux époques successives de construction. Cet ensemble si riche n’obéit à aucune règle convenue. L’évolution s’est faite au fil du temps, suivant les nécessités, les moyens et les fantaisies des propriétaires. De cet ensemble disparate se dégage bien souvent un équilibre subtil, une vraie beauté…

Manœuvres de charpentiers posant les hourds d'un donjon – Eugène Violet-le-Duc

Manœuvres de charpentiers posant les hourds d’un donjon – Eugène Violet-le-Duc

À l’origine, le château est une motte féodale défensive, parfois résidentielle, généralement construite en bois. À partir des Xe et XIe siècles, l’édifice est construit en pierre de taille de façon à mieux résister aux attaques : c’est le château-fort. L’édification des châteaux du Périgord commence pour l’essentiel au cours des XIe et XIIe siècles sur des lieux difficiles d’accès comme des éperons rocheux.La hauteur du donjon et l’épaisseur des courtines ne servent pas seulement à repousser les attaques ennemies. Elles inspirent le respect. Plus hauts sont les châteaux, et mieux l’idée de domination va s’imposer dans les esprits des voisins et des ennemis. Certains châteaux comme celui de Commarque, s’entourent d’un village fortifié pour mieux se protéger.

Les châteaux du Périgord ont un style bien à eux. (…) On devine le plus souvent qu’ils ont grandi avec la fortune d’une famille. D’où une sorte de gracieuse négligence dans la distribution des tours rondes ou carrées, des échauguettes, des mâchicoulis, des terrasses à balustres, qui rappelle le désordre apparent et délicieux des grandes maisons de campagnes anglaises. Les architectes de la région avaient un talent naturel pour bien répartir leurs volumes. L’alternance de grosses tours rondes et de tours carrées est réglée avec une adresse consommée, et avec la plus ingénieuse variété. — Jean Secret. (2)

Cette prolifération des forteresses va continuer jusqu’à la fin du XIIIe siècle et l’arrivée de la guerre de Cent Ans, va quelque peu ralentir leur édification et les dégrader. Il faut dire que la terre périgourdine devient alors le théâtre de conflits particulièrement violents qui laisseront des traces indélébiles dans la pierre. Certains châteaux ont complètement disparu, tels Montcuq en Bergeracois, Muratel en Terrassonais, Auberoche près de Périgueux. D’autres se réduisent à des rognons de murailles comme Lascaux-de-Sales à Béleymas, Roussille à Douville. Plus souvent, ont résisté les parties les moins vulnérables : les donjons. De cette époque d’occupation anglaise, il en reste une quinzaine, tous carrés, construits en bel appareil régulier, d’une incomparable solidité, grâce à leurs murs épais (deux mètres environ) et leurs contreforts plats. Chose curieuse, la plupart sont relativement bas et trapus : Jayac, Baneuil, Biron… Certains sont cependant audacieux, voire Excideuil, Comarque, Castelnaud. (4)

Les trêves seront mises à profit pour restaurer, rebâtir, consolider inlassablement ces forteresses où les seigneurs se devaient de protéger en temps de guerre les populations qui dépendaient d’eux.

Le Périgord possède des châteaux remarquables. Les uns remontent au moyen-âge, plus ou moins transformés depuis, comme Montréal et Biron ; les autres à l’époque classique, comme Bardou, Besse et le fameux château d’Hautefort, Rastignac et Sept-Fonts. Toutefois, la plupart sont de cette époque de paix et de prospérité dans ce pays, qui s’étend de la bataille de Castillon en 1453, qui marque la fin des guerres anglaises, à la mort de François Ier, avant les déchirements des guerres de religion, au moment du passage du gothique à la Renaissance : Marzac, La Filolie, Fenélon, Montfort, Beynac, Salignac, Fages, Montréal, Le Paluel, la chapelle de Biron, Bourdeilles, Monbazillac, Jumilhac, Puyguylhem… — Jean Secret. (4)

Puis les conflits vont s’apaiser et le pays connaîtra des temps moins troublés. Bien que les premiers éléments de confort apparaissent dès le XIVe siècle, c’est à partir de la Renaissance que les châteaux sont construits ou aménagés, non plus pour la défense, mais pour l’agrément. Il existe alors une noblesse nombreuse et peu fortunée qui va, au fil des partages et des héritages, embellir ces vieilles demeures, les remanier, ajouter les douceurs de la Renaissance aux rigueurs guerrières. Les tours, privées de leur rôle défensif, vont souvent devenir moins fonctionnelles et abriter de ravissants escaliers à vis. Un peu plus tard, ce sont des pavillons d’angle carrés qui vont agrandir les châteaux et en faire de vraies résidences. Après la Révolution, le château n’est plus qu’une grande et riche demeure rurale.

Existe-t-il un style périgourdin ?


D’époques diverses et de styles divers, la noblesse périgourdine a en effet beaucoup construit, et souvent fort bien. Et si le Périgord ne peut se comparer avec le Val de Loire, il offre néanmoins à l’amateur d’art, ou tout simplement aux touristes, des chefs d’œuvres étonnants. Les châteaux du Périgord ont en effet un style bien à eux. Les architectes de la région avaient un talent naturel pour bien répartir leurs volumes. L’alternance de grosses tours rondes et de tours carrées est réglée avec une adresse consommée, et avec la plus ingénieuse variété.

Les sites sont également bien choisis. Et les maîtres-d’œuvre du pays – qui n’étaient pas toujours de grands artistes – ont eu cependant le goût et le mérite d’harmoniser l’architecture avec le paysage, de choisir des matériaux, des volumes, des lignes et des couleurs qui s’harmonisent miraculeusement avec telle falaise, telle forêt, tel étendue d’eau. Tout particulièrement au Moyen-Âge, ces demeures ont été bâti avec une réelle habileté à profiter du terrain, des défenses naturelles, des escarpements, des défilements. Plus tard, avec le XVe siècle et la Renaissance, ont assiste à une éclosion de nouveaux châteaux. Mais ce sont le plus souvent d’anciens fiefs qui sont presque toujours restaurés avec beaucoup de soin et d’ingéniosité, tant et si bien qu’il n’est pas rare de rencontrer de pittoresques puzzles d’éléments hétéroclites, remplis de savoureux anachronismes, mais où le savoir-faire a su tirer de la dissymétrie même une harmonie inattendue.

La relative pauvreté des bâtisseurs explique peut-être l’absence de ces subtilités d’écoles qui sont la marque d’une très grande richesse architecturale autant que financière : en Périgord, pas de travées rythmiques, par exemple, pas de galerie régulières scandées par des pilastres ou des colonnes, pas de riches arcades formant des promontoires voûtés, pas d’orangeraies somptueuses, mais partout, ou presque, l’aimable sourire d’un portail sculpté, la fantaisie d’une baie joliment moulurée, d’une lucarne habilement traitée, d’une cheminée aux excellentes proportions, d’un motif décoratif, d’un écu armorié, d’une rustique toiture à la Sarladaise.

C’est ainsi que très nombreux châteaux périgourdins présentent une façade relativement simple, un parti relativement modeste, mais quelques thèmes sculptés, une pente de toit bien calculée, un couronnement de mâchicoulis bien disposé, une échauguette bien agrafée, les maîtres d’œuvre ont su, presque à coup sûr, créer de petits chefs-d’œuvre de goût et d’ingéniosité.

Même l’époque classique n’a pas su imposer une discipline de symétrie, et là encore, le pays a échappé à l’académisme, aux poncifs, aux formules habituelles. Ce paradoxal conservatisme donna aux châteaux périgourdins un cachet original, par cette espèce de parenté continue qui se transmet d’âge en âge. (1)

Il n’est pas de province en France qui puisse s’enorgueillir d’une telle moisson de vieilles demeures : dans les combes, sur les plateaux, dans les sylves, dans les vignes, le long des fleuves, des rivières et des rivelets, partout des châteaux, des manoirs et des gentilhommières, des chartreuses, des tournebrides, des rendez-vous de chasse, des folies… — Georges Rocal et Jean Secret. — Jean Secret. (5)


Notes :

  • (1) Jean Secret, Le Périgord.
  • (2) Jean-Luc Aubardier, Michel Binet, Les châteaux du Périgord.
  • (3) Bernard Lachaise, Histoire du Périgord.
  • (4) Jean Secret, Le Périgord en 300 images.
  • (5) Georges Rocal et Jean Secret, Châteaux et manoirs du Périgord.

Crédit Photos :

  • Le château de Mareuil, vue Est, by JLPC (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Les manœuvres des charpentiers posant les hourds d’un donjon, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Hourd.