Passages et péages fluviaux
Passages et péages fluviaux furent règlementés après la Révolution française

Passages et péages fluviaux

Au XVIIIe siècle, 67 passages et 62 péages ont été recensés sur la Dordogne, l’Isle et la Vézère. Bien souvent, passages et péages fluviaux se confondent en un seul et même endroit. Les passages permettent de suppléer à l’absence de ponts. Le péage désignait autrefois l’impôt prélevé sur les marchandises, en échange de quoi les voies de communication devaient être entretenues et sécurisées. En ce qui concerne le péage fluvial, une partie des bénéfices réalisés devait être réemployée pour l’entretien des ponts et autres infrastructures fluviales. Le péage trouve également son origine dans la garantie à la navigation que doit assurer le seigneur y compris en périodes de troubles et de guerres. Dans sa dimension matérielle, le péage fluvial est un point de contrôle et de perception où sont enregistrées et taxées les marchandises qui voyagent par le fleuve ou le traverse.

La vallée de la Dordogne est une voie de commerciale importante. L’étude des passages et péages révèle de précieux indicateurs pour l’histoire locale, notamment dans leur capacité à préciser et à quantifier l’importance du trafic fluvial, son rôle dans le transport des marchandises, la nature des exportations et des importations ainsi que l’activité économique et le rayonnement de plusieurs pôles d’industrie présents dans la province du Périgord. Enfin, leur étude permet de comprendre les rapports sociaux entre les bateliers, les pêcheurs et autres usagers du fleuve, et l’ensemble des seigneurs péagers.

Des péages trop contraignants

L’une des préoccupations majeures des seigneurs locaux a été de déterminer les droits de péage et de leude à percevoir sur les hommes et les biens qui transitaient sur la Dordogne. Même si la distinction entre péage et leude n’était pas absolue, on peut néanmoins dire que, par péage, il faut entendre les droits de transit destinés à l’entretien des routes, des berges et des ponts et, par leude, il faut comprendre les droits perçus sur les marchandises vendues sur les marchés et à l’intérieur des villes.

Le droit de péage trouve son origine dans la garantie que doit assurer le seigneur du lieu à la navigation malgré troubles et guerres. En principe, il le fait au nom du roi qui lui a délégué cette mission. Le péage compense les frais engagés pour payer les hommes chargés de la surveillance et du contrôle des cargaisons. La paix revenue, les péages demeurent et se multiplient. Parfois, des contributions exceptionnelles viennent s’ajouter à ces péages subis plus qu’acceptés. C’est ainsi qu’en 1726, le marquis de Brancas crée la Société de Dordogne pour rendre la rivière entièrement flottable. Celle-ci se fait octroyer par le roi le droit de percevoir des taxes sur les marchandises flottées ou transportées par bateaux, proportionnellement aux dépenses qui auraient été faites. C’est le tollé général ! Certains marchands prétendent que monsieur de Broncas et ses associés n’ont absolument rien fait et refusent de payer. Des heurts s’en suivent, entrainant la disparition de la Société de Dordogne. (1)

La royauté tente, apparemment sans grand succès, de limiter les abus, avec sans doute l’idée de récupérer à son profit une partie de cette lucrative activité. Lors des différents péages, les vexations subies par les bateliers sont nombreuses. Ajouté à cela les retards qui s’accumulent et peuvent devenir importants, surtout lorsqu’il fallait aller sonner la cloche pour prévenir le receveur qui n’était pas toujours à son poste. (1)

Des péages trop nombreux

Au Haut Moyen Âge, on dénombre vingt-quatre péages sur la Dordogne, dans la seule traversée du Périgord. Sur la basse-vallée, de Lamothe-Montravel à Saint-Jean-de-Blaignac, il y en a quatre sur une distance d’une vingtaine de kilomètres ! C’est aux abords des villes et points stratégiques qu’ils se concentrent. C’est ainsi que huit péages cernent les abords et le port de Bergerac, cinq frappent le trafic de Libourne, trois gardent Domme, et trois encore, Souillac. (2) (3)

Avec l’édification des bastides et des villes nouvelles au cours des XIIIe et début du XIVe siècles, les stations péagères se multiplient dans tout le bassin Guyenne-Gascogne : 12 nouveaux péages sur la Garonne entre 1200 et 1300, 10 entre 1300 et 1400 ; 17 et 5 sur la Dordogne ; 7 et 1 sur le Tarn, 3 sur l’Ariège au XIIIe siècle ; 3 sur la Baïse et 2 sur l’Aveyron au XIVe siècle. Poussée impressionnante, traduction numérique de la croissance du trafic sur les rivières, voire de leur ouverture à la navigation commerciale. (3) Une telle concentration, mal supportée par les usagers, entraîne, au XVIIIe siècle, une réforme de la fiscalité fluviale, avec la mise en place d’une commission des péages. Elle n’a guère d’effets positifs. Toutefois, certaines seigneuries qui réclament des péages excessifs sont dépossédées de leurs droits et de très rares péages sont même supprimées. (2)

Les sites de péages privilégiés sont les ports des cités riveraines, où il est facile de contrôler le trafic et d’arraisonner les récalcitrants, les arches du pont de Bergerac, où il est aisé de faire stopper les embarcations déjà ralenties par leurs manœuvres, l’entrée des rapides de la Gratusse, où la nécessité du transbordement facilite la surveillance des cargaisons. (2)

Des pancartes doivent signaler le péage. La liste des produits taxés – accompagnée du montant des droits qui les frappent – doit y figurer. Ces indications font trop souvent défaut, ou bien elles sont cachées, ce qui est source de conflits incessants. Grâce à ce flou, les étrangers se voyaient taxés plus lourdement que les locaux.

Péages et passages fluviaux soumis à un droit féodal

Comme le péage fluvial, le droit de bac est une servitude féodale qui, à l’origine, permettait au seigneur de percevoir un droit de passage : c’était le droit de travers ou droit de pontenage ou pontonnage (le terme ponton attesté en 1245 dérive du latin vulgaire pontonem, accusatif de pontô, le bac). Le seigneur affermait le bac à un fermier qui lui devait redevance, pour une période d’un à neuf ans (la durée la plus fréquente est de neuf ans). En contre-partie des taxes perçues, le péager devait entretenir la portion qui lui appartenait avec un nombre de bateaux et d’hommes suffisant pour assurer correctement le service dudit passage et réduire les temps d’attente des usagers.

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À partir de la Renaissance et jusqu’à la Révolution, ce sont principalement les membres de la haute noblesse, ainsi que les maires et consuls (rejoint par les grands-officiers et parlementaires bordelais), qui détiennent le droit d’établir et percevoir les péages, un privilège soumis à l’autorité royale. C’est ainsi qu’en 1724, le droit de passage de la Dordogne au-devant de la ville de Sainte-Foy-La-Grande est détenu par moitié par Suzanne Filliol de Mézières habitant le château de Mézières situé sur la rive droite au port de Sainte-Foy, l’autre moitié appartenant au Roi. À Branne, c’est le Sieur de Durfort, Marquis de Civrac qui détient le droit de bac sur la Dordogne. Vers 1750, le Duc de la Force contrôle les péages bergeracois et les bacs situés en amont et en aval de la ville, mais aussi les péages et bacs des Milandes et Castelnau ; le duc de Noailles, contrôle Montfort, Aillac et Carlux ; le Marquis de Fénelon, Saint-Julien ; le Duc de Bouillon, le contrôle de la haute-vallée… On pourrait multiplier les exemples. Mais cette énumération ne serait pas complète si le haut clergé n’était pas représenté : citons, parmi tant d’autres, l’archevêque de Bordeaux, seigneur tout-puissant de la Moyenne-Dordogne, qui contrôle les péages de Montravel, Bigaroque et Saint-Cyprien. (2)

La petite et moyenne noblesse doit se contenter de bacs médiocrement fréquentés, ne procurant pas de grands profits. Peu soucieux de leurs devoirs, mais zélés quant à leurs droits, ces petits et moyens péagers ont été des proies faciles pour le bureau des péages qui leur reprochait leur défaut d’entretien ou l’abus de leurs privilèges. Certains préfèrent d’ailleurs renoncer à leurs péages plus couteux que profitables. (2)

Concernant les tarifs des passages et péages fluviaux

Le tarif général de la châtellenie de Bigaroque (Dordogne), qui date de 1364, est actuellement le plus complet que l’on connaisse pour l’ensemble des fleuves et rivières du basin de la Garonne, Dordogne comprise. La pancarte de ces droits de péages ne mentionne que les produits faisant l’objet d’un commerce local : le sel, le vin, le blé, l’huile, les châtaignes, les noix, les poissons salés ou frais, tous les animaux domestiques (dont les porcs vivants ou salés) ainsi que la production de l’industrie et de l’artisanat. Les tarifs sont modérés pour tous les produits provenant de la châtellenie (au-delà de Saint-Cyprien), mais plus élevés pour ceux transportés en-dehors de ses frontières. (4)

Quelles que soient les époques, les péages sont délégués, par contrats de fermage, à des fermiers qui en assurent la mise en place et le bon fonctionnement. Les modalités d’exploitation sont rappelées dans les baux de fermage. Elles se réduisent le plus souvent à des conditions financières concernant le montant de la ferme et l’échelonnement de son paiement. Pour le reste, le fermier engage sa seule responsabilité vis-à-vis des charges d’entretien et de fonctionnement du passage et du péage. À lui d’engager le personnel nécessaire, de mettre à la disposition des voyageurs des bateaux assez robustes ; à lui, enfin, de se plier au respect des tarifs règlementairement affichés sur les pancartes qui signalent le péage ou balisent les abords des passages…(2)

Les efforts des intendants et du bureau des péages afin de codifier les tarifs se sont heurtés à la résistance des fermiers et des usagers. Plutôt que de respecter les tarifs officiels, qui prévoient une gradation des droits selon l’importance des chargements et la fréquentation des bacs, les fermiers préfèrent se contenter de trois catégories de clients : l’homme à pied, l’homme à cheval, l’attelage. Pour le premier, les droits varient selon les passages de un sol à trois deniers, pour le second de un à vingt sols, pour le troisième de dix à trente sols. Pour définir leurs tarifs, les fermiers se référent également à la coutume, un ensemble de préceptes régissant les rapports des individus entre eux. À Couze et Lanquais, par exemple, moyennant un versement annuel en grains ou argent, les habitants « passent et repassent » autant qu’ils le veulent sans acquitter les droits, seulement exigés des « étrangers ». Afin de simplifier la tâche des péagers et d’abréger l’attente des usagers, les paiements en nature disparaissent avec l’ordonnance du 20 mai 1672. Toujours dans un souci d’efficacité, la liste des produits taxés est également simplifiée une première fois cette année-là, et le sera également en 1743.

Voici les tarifs pratiqués en 1724 au passage de la Dordogne, au-devant de la ville de Sainte-Foy-La-Grande : par personne à pied, trois deniers tournoi ; par personne à cheval, un sol ; par cheval chargé ou non chargé, y compris le conducteur, un sol ; par chaise ou autre voiture attelée d’un cheval, deux sols ; par litière, coche, carrosse, charrette, chariot, ou autre voiture attelée de deux chevaux, mulets ou bœufs, quatre sols ; par cheval, mulet ou boeuf d’augmentation aux dites voitures, six deniers. Les personnes qui seront dans les dites voitures, les domestiques, conducteurs et marchandises seront exempts en payant pour la voiture les droits cy dessus ; par boeuf ou vache, un sol ; par veau, chèvre ou cochon, quatre deniers ; par douzaine de moutons ou brebis, deux sols. Enjoint sa majesté à ladite Demoiselle Filliol d’entretenir à l’avenir en bon état ledit bac pour la portion qui lui appartient avec nombre de bateaux et d’hommes suffisants pour le service dudit passage. (3)

Enfin, l’état de la rivière incite à régler les droits en fonction de la hauteur des eaux : à Castelnau, « on augmente les droits quand la rivière grossit ». À Creysse, « en rivière basse », le passager se contente de six deniers « pour chaque homme à pied », mais « en rivière haute », il exige le double. De telles pratiques étaient courantes puisqu’en 1743 la codification des tarifs par l’intendant stipule qu’il est interdit d’augmenter les droits « même en temps de débordement ».  (2)

« Le premier acte où il est question de navigation sur la Dordogne remonte à 1194 : il est relatif à l’établissement d’une pêcherie à Bigaroque ; sur tout le cours de la rivière, il y avait de toute ancienneté des concessions de pêcherie et des droits de péage. Au XIIIe siècle, il y en avait à la Linde, Badefol, Limouil, Bigaroque, Montfort et Aillac  au XIVe siècle, à la Molte-Montravel, Gardone, Saint-Cyprien ; au XVe siècle, à Berbiguières  au XVIe siècle aux Milandes et à Castelnau, et sans date certaine à Clérans, Beynac, Dome-Vieille, Gaulegeac, Carlux ; en 1600, il y avait 19 lieux de péage. » (Dessales, la Dordogne et ses péages). Entre autres additions qui peuvent être faites à cette énumération, on peut citer : Monleydier, Mons Leyderius, dont le nom indique le payement d’une leyde ; ensuite, un acte du 7 mai 1440, rendu par le comte de Hutington, gouverneur pour le roi d’Angleterre, en faveur de Jean de la Cropte, seigneur de Lenquais ; il porte : « Comme jadis aulcuns ses prédécesseurs seigneurs de Lenquays n’avoient voulu faire compliment de justice d’aulcuns malfaicteurs qui avoient comis certains crimes, certain péage et droit sur toute manière de marchandises conduites tant par eau que par terre es seigneurie de Lenquays leur fust tollu et annulé, etc. ». La rivière pour la pêcherie et le péage était, en cette partie, partagée entre Lanquais et Clérans. — Dictionnaire topographique du département de la Dordogne, Alexis de Gourgues (1801-1885).

Bacs, trailles, coches d’eau et bateaux de postes

Le service du bac est connu depuis l’Antiquité gallo-romaine. Jusqu’au XIXe siècle, époque de construction de la quasi-totalité des ponts sur la Dordogne (à l’exception de celui de Bergerac, attesté dès 1209), les bacs étaient d’une importance vitale, non seulement pour les locaux, mais aussi pour tous ceux qui devaient se déplacer sur les grandes voies transversales d’échanges. Toutefois, franchir un cours d’eau n’est pas sans danger et une certaine maîtrise de la technique et du lieu semble nécessaire. Ainsi, les conducteurs les plus aptes à exercer cette profession sont les bateliers. Des mesures sont prises pour éviter les accidents lors des franchissements. La réglementation portée par les différentes conventions établies entre les péagers et les autorités marque la volonté d’assurer la sécurité des usagers. Ainsi, une attention toute particulière est portée à l’état des embarcations, au professionnalisme du conducteur et de son équipage. Il est rappelé au propriétaire « qu’il a obligation d’avoir bac et bateau en bon état », mais également « un équipage suffisant et habile à la manœuvre ». Un tarif détaillé et variable selon les lieux devait être affiché sur un panneau planté à terre, visible des passagers.

Bien que situé dans les Landes, cette photo permet de bien comprendre le principe du bac à traille.

Cette photo permet de bien comprendre le principe d’un bac à traille situé dans les Landes.

Le nombre et la répartition des passages soulignent la nécessité de franchir le fleuve aussi souvent que possible, tout au long de son parcours. En fait, sur la Dordogne, on peut facilement trouver un bateau et son passager (passeur) chaque lieue ou presque. Pour rappel, la lieue terrestre correspond à la distance que peut parcourir un homme à pied en une heure, soit environ 4,4 km. Mais cette assurance ne garantit en rien la sécurité et la rapidité de la traversée. En effet, l’attente peut être longue, car le passager préfère entasser les clients dans son bateau, plutôt que de multiplier des traversées moins profitables. Cette multiplicité de passages a favorisé ceux qui étaient les mieux placés, aux abords des villes et sur le tracé des grandes voies de communication. (2)

Le terme portus désigne généralement le lieu de passage sur la rivière où l’on prend le bac pour se déplacer d’une rive à l’autre. Au Moyen-Âge, le terme de cale est également utilisé. Les dénominations actuelles de « Port » ou « Passage » indique la présence ancienne d’un bac.

Les caractéristiques techniques des bacs

Le bac est un grand bateau à fond plat qui, outre le transport de passagers, peut aussi passer carrosses, charrettes et animaux. Les premières techniques utilisent simplement les avirons et les gaffes pour diriger l’embarcation. Le passeur prévoit sa trajectoire et part en amont du point de débarquement de manière à utiliser la force du courant.

Comme pour les gabares de commerce, la morphologie des bacs répond à des besoins spécifiques : les charrières, basses de levées munies de pontons d’embarquement, peuvent faire traverser charrettes et bestiaux. Trois appellations sont connues pour différencier les modèles sur la Dordogne. On les appelle, nau, passe-cheval ou batelet, selon leur taille. Leur forme est allongée, rectangulaire aux deux extrémités, et légèrement relevées. Leur taille va de 10 à 18 mètres de long pour les naus ; 6 à 9 mètres, pour les passes-chevaux. Leur contenance est de 15 personnes ou 8 chevaux pour les petits naus ; 60 personnes ou 12 chevaux pour les grandes. Le passe-cheval contient 8 personnes ou 6 chevaux. Ces bateaux sont, comme les gabares, construits à Spontour ou Argentat et descendus par grandes eaux. (3)

Pour accoster les bacs, il faut faire d’importants travaux sur chaque rive. Il s’agit tout d’abord d’assurer une profondeur suffisante aux endroits déterminés. Il est alors nécessaire de construire des cales d’abordage, souvent protégées par une digue, ou bien alors, sur une des rives, on creuse dans le lit de la rivière un bassin, qui peut avoir 40 mètres sur 20.

La traille traversière

Un autre système, apparu vers 1845 en raison de l’augmentation du trafic, est employé : la traille traversière. Il s’agit d’un long cordage aérien – ou d’un câble d’acier – qui relie les deux rives. La propulsion se fait – en fonction des circonstances – à bras, en tirant sur la corde, en poussant sur une perche ou par la force du courant et grâce à l’action du gouvernail. L’embarcation se déplace au moyen d’une poulie ou d’un coulisseau fixé au bateau ce qui permet d’éviter les dérives éventuelles. Mais ce système nécessite un aménagement de piliers sur berges pour faciliter l’installation de chèvres et de cabestans destinés à surélever et tendre la traille. Le mot traille définit tout à la fois le câble ou l’embarcation.

Les coches d’eau et bateaux de postes

Les coches d’eau sont des bateaux confortables équipés d’un cabanage, plus ou moins spacieux, dont le toit pouvait servir de terrasse à la belle saison et où l’on pouvait entreposer les colis encombrants qui ne craignaient pas la pluie.

En 1641, les consuls de Bergerac établissent un service régulier de navigation par un bateau de poste entre cette ville et Libourne, avec correspondance pour Bordeaux. Chaque vendredi, il descend à Libourne où il reçoit gratuitement les affaires du roi, de la ville et les religieux mendiants. Pierre Marchand, maître de ce bateau, doit placer, en haut du mât, une bannière portant les armes du roi et de la ville de Bergerac. Chaque voyageur paye 15 sous, pour lui et pour ses hardes. Le bateau de poste remonte jusqu’à Bergerac, tiré par des haleurs.

La fin des privilèges féodaux

Sious l’Ancien Régime, les bacs étaient exploités par leurs propriétaires soit directement soit en fermage. Quoiqu’il en soit, le souci majeur du passeur était la rentabilité, au détriment, bien souvent, de la sécurité et du confort des usagers ; de ce fait, l’entretien des bateaux et le respect des règles de sécurité n’étaient pas une priorité. De plus, les exigences des péagers, les vexations souvent infligées aux bateliers et aux marchands provoquent, très souvent, de spectaculaires conflits.

La Révolution de 1789 met fin à tous les privilèges féodaux. Ils sont supprimés sur la Dordogne le 17 juillet 1793. Mais ils sont remplacés par la taxe d’octroi de navigation par la loi du 30 floréal an 10. La loi du 9 juillet 1836 établit l’uniformité des droits – impôts payés à raison de la distance parcourue : taxe assise sur le poids des marchandises – non-imposition sur les bateaux vides. La Révolution confisque aussi les droits de péages des bacs au profit de la République. Il s’agit, en quelque sorte, d’une nationalisation des passages d’eau. Le service est alors confié aux municipalités.

Anecdote : « Le 4 germinal an III, le conducteur de la messagerie de Bordeaux à Bergerac se présente au bac du port de Sainte-Foy pour solliciter le passage de la rivière et poursuivre sa route vers Bergerac. Constatant l’absence des préposés au passage, le conducteur se rend immédiatement à la maison commune pour déposer plainte. Le maire se déplace en personne pour constater les faits. Il ordonne aux gardes nationaux de requérir les quatre préposés : Jean Pérou, François Charpentier, Baby dit Maragou et Jean Chignon. Le maire nomme l’officier municipal Boudayron en qualité de commissaire pour monter à bord des bateaux et constater l’immatriculation. Il réquisitionne Baby et Chignon pour effectuer la traversée de la voiture de la messagerie cependant que les deux autres passeurs, Pérou et Charpentier sont mis en état d’arrestation et conduits pour vingt-quatre heures à la prison de Sainte-Foy par le citoyen Bricheau, commandant local de la garde nationale escorté de quatre fusiliers. Les deux autres passeurs sont également condamnés pour le lendemain à vingt-quatre heures de prison ». (3)

Cette nouvelle gestion des passages d’eau a permis d’appliquer une réglementation qui devait garantir un service plus rigoureux et moins dangereux. Outre, le bail qu’il devait acquitter à dates fixes, le passeur était tenu de respecter des règles strictes, dont bon nombre étaient censées protéger l’usager. C’est ainsi qu’un poteau indicateur, planté sur la rive du contre-halage, portait une marque rouge. En période de hautes eaux, lorsque le niveau de la rivière atteignait cette marque, le tarif pouvait être doublé. Mais si les eaux submergées le poteau, il était interdit d’utiliser le bac. Les bacs portaient une ligne – rouge, elle aussi – peinte sur leurs flancs : la ligne de flottaison au-delà de laquelle il était interdit de charger du poids supplémentaire.  (5)

Cette nouvelle réglementation prévoyait également des exemptions de paiement pour les officiels en tournée de sorte que préfets, sous-préfets, maires, juges et greffiers, et même ministres des cultes n’acquittaient aucun péage. Idem pour les pompiers qui, en cas d’incendie, allaient porter secours d’une rive à l’autre.  (5)

Ce système va perdurer jusqu’au XIXe siècle, siècle au cours duquel la rivière se couvre de nombreux ponts qui, dans un premier temps, sont également à péage, jusqu’à ce que la loi du 30 juillet 1880 autorise à l’État à racheter les concessions, afin de permettre un libre passage.

Les ponts sur la Dordogne

Les ponts, les bacs et les ports sont des points stratégiques qui rythment les activités et les déplacements des populations riveraines comme des marchands. Mais les ponts sont de loin les plus vulnérables des infrastructures fluviales. En effet, lorsqu’un pont vient à être emporté par une crue, c’est un dommage important pour la collectivité : le trafic marchand est détourné, la circulation des biens et des marchandises fortement perturbée, les revenus liés aux différentes taxes précédemment perçues, ramenés à rien. Sans compter que la reconstruction du pont représente un coût considérable, que bien souvent les communautés locales sont incapables de prendre en charge.

Le pont de Bergerac

Pendant longtemps, le seul pont de la vallée de la Dordogne, fut celui de la Bergerac. Attesté dès 1209, il est situé sur l’un des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, très fréquenté par les pèlerins depuis le milieu du Xe siècle. Son utilisation fut régulièrement interrompue, pendant des périodes plus ou moins longues : très certainement en bois, ce premier pont fut remplacé par un ouvrage en pierre, suite à un lègue effectué en 1290, par Hélie Rudel, seigneur de Bergerac. Il sera entièrement détruit par une crue, en 1444, et ne sera reconstruit qu’en 1513. Un bac assurera la liaison entre les deux rives durant tout ce temps-là. En 1568, il est à nouveau détruit, cette fois-ci par les Huguenots révoltés, et il faudra attendre 1571 pour que des travaux de reconstruction soit entrepris. De nouvelles crues destructrices survinrent : tout d’abord celle de 1728 qui causa suffisamment de dégât pour interrompre le trafic jusqu’en 1737, et surtout celle de 1783 qui ne laissa que des ruines. C’est à nouveau un bac qui remplacera le pont, jusqu’à l’achèvement des travaux de reconstruction, en 1825. L’État sera chef des travaux, et remboursera sa dette par l’imposition d’un péage qui sera aboli en 1847.

Les autres ponts de la vallée de la Dordogne

Dès le premier quart du XIXe siècle, le paysage de la rivière change radicalement et rapidement, avec la construction de véritables ouvrages d’art. Le 28 août 1827, Charles X approuve l’adjudication d’un pont suspendu entre Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) et Port-Sainte-Foy (Dordogne). Les travaux de construction seront terminés en 1829. À Argentat, un pont suspendu est ouvert le 29septembre 1829. Il sera remplacé par un pont de pierre, en 1892. À Libourne, le grand pont sur la Dordogne est inauguré en 1824, avant que Bergerac ne puisse ouvrir de nouveau le sien. Toujours à Libourne, le pont sur l’Isle est construit en 1831. En 1889, à limeuil, débute la construction de deux ponts, en équerre, au confluent de la Dordogne et de la Vézère. Ils sont achevés en 1891(1)


Notes :

  •  (1) La navigation sur la Dordogne et ses affluents, Annie-Paule et Christian Félix, Éditions Alan Sutton, Collection Parcours et Labeurs, 2002.
  •  (2)  Les gens de la rivière de Dordogne, Anne-Marie Cocula-Vaillières, Thèse présentée devant l’Université de Bordeaux III, le 5 février 1977.
  •  (3) Géographie des péages de la Garonne, Charles Higounet, Éditions Klincksieck, 1978.
  •  (4) La Châtaigne en Périgord, fruit des Temps et des Hommes, Claude Lacombe, Éditions La Lauze, Périgueux, 2007.
  • La navigation sur la Dordogne et ses affluents, Annie-Paule et Christian Félix, Éditions Alan Sutton, Collection Parcours et Labeurs, 2002.
  •  (5) Les métiers disparus, Collection La vie d’autrefois, Régis Granier, Éditions Sud Ouest, 1999.

Crédit Photos :

  • Le Bac à Sorde l’Abbaye, au début du XXe siècle, en pays d’Orthe, By Centre culturel du Pays d’Orthe (Own work), via Wikimedia Commons.

LA BATELLERIE EN PÉRIGORD

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