Parce que l’activité commerciale et industrielle de la vallée de la Vézère était devenue très importante et que le réseau routier était quasiment inexistant, la rivière Vézère fut logiquement le seul axe de communication envisageable. Les premières tentatives pour rendre la Vézère navigable ont été entreprises par les Romains, mais les crues ont été les plus fortes. Les premiers projets concrets d’aménagement remontent au XVIe siècle, mais c’est surtout à partir de la Révolution que l’activité batelière n’a cessé de se développer, malgré une canalisation embryonnaire. L’unique écluse achevée sur la Vézère, se situe à Montignac, et elle date de 1843. D’autres écluses ont été entreprises à Montignac, Losse, Thonac, Saint-Léon et la Grambaudie, mais ne furent jamais achevées. Au final, malgré divers projets, la partie de la Vézère située entre Le Bugue et Limeuil resta la plus utilisée.
La rivière Vézère est un des principaux affluents de la Dordogne. Elle prend sa source dans la tourbière de Longéroux, sur le plateau de Millevaches, dans le Massif central en Corrèze, pour se jeter 211 kilomètres plus loin dans la Dordogne, à Limeuil exactement. Ce que l’on appelle communément la vallée de la Vézère est la dernière portion d’une trentaine de kilomètres qui traverse le Périgord Noir et, notamment, les villes de Montignac, Saint-Léon-sur-Vézère, Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil et Le Bugue. Cette vallée est mondialement connue en raison des trésors préhistoriques qu’elle recèle. Pas moins de 147 gisements dont 25 grottes ornées et 14 sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco !
L’histoire de la batellerie de la Vézère
Au XVIe siècle, les gentilshommes de l’Auvergne et du Limousin réclament l’aménagement de la Vézère jusqu’à sa jonction avec la Dordogne, à Limeuil, l’objectif affiché étant de la rendre navigable durant six mois de l’année, en dehors des périodes d’été pendant lesquelles l’abaissement des eaux était très importants, ou lors des périodes de crues soudaines. La production des forges et fonderies du Périgord fut mise en avant pour prouver l’utilité de la rivière. Les résultats furent décevants. Toutefois, sous le règne de Louis XIV, il semble que la situation évolue favorablement si l’on en croit le mémoire de Bazin de Bezon, intendant de Guyenne, en date de 1698. Il signale que « sur la Vézère en Périgord, on a fait des passes pour la rendre navigable depuis Terrasson jusqu’à Limeuil ». Par la suite, à la Révolution, en 1793, une requête est adressée à Lakanal, en ces termes : « Rien n’est plus facile que de rendre en peu de temps navigable cette Vézère si importante avec son beau bassin et le volume d’eau considérable qu’elle offre. Elle soutiendra la navigation toute l’année avec avantage. C’est à toi, digne représentant, qu’est réservée la douce satisfaction de rendre la Vézère navigable. Ce grand bienfait te méritera la reconnaissance des citoyens de 5 départements… Et bien parle, ordonne, et aussitôt le peuple en masse te secondera dans ce projet salutaire. ». (1)
Au XVIIIe siècle, les gabares à faible tirant d’eau, peuvent remonter jusqu’à Montignac, Saint-Léon-sur-Vézère et même Terrasson pour livrer du sel, du blé et des denrées coloniales. Elles sont tirées par des paires de bœufs qui empruntent un difficile chemin de halage. Il faut en effet changer 17 fois de rive, à cause des rochers en surplomb. On compte trois jours pour descendre du Lardin à Limeuil, et huit jours pour remonter. De la Haute-Vézère, quand « les eaux sont du voyage », les gabariers descendent des cargaisons de merrain, feuillard, charbon de bois et de terre, et du minerai de fer. Dans les forges des Eyzies, il est coulé jusqu’à 500 quintaux d’acier par jour. Au port du Moustier, les canons des forges d’Ans sont alors chargés sur les gabares qui parviennent à Limeuil avant de poursuivre leur voyage jusqu’en Basse-Dordogne.
Alors que, sous l’Ancien Régime, la Vézère était navigable sur la majorité de son parcours, au début de la Restauration, le trafic n’est assuré qu’entre Limeuil et Saint-Léon. Aussi, sous Charles X, un ancien élève de l’École Polytechnique, Eugène Mévil, offre d’aménager la Vézère, à ses risques et périls. La loi du 8 juin 1825 accepte la proposition de l’ingénieur et lui concède la jouissance perpétuelle de ces canaux et de leurs dépendances. Le 8 août de la même année est créée la « Société des Canaux sur la Vézère et la Corrèze », dont le siège est installé à la Maison de la Marine à Saint-Léon-sur-Vézère, devenue par la suite la mairie de Saint-Léon-sur-Vézère. (2)
Le projet est ambitieux : il s’agit de réparer les anciennes écluses, d’en construire de nouvelles, d’aménager les chemins de halage afin de permettre une remontée des bateaux jusqu’à moulin de Beauvais, au-dessous de Brive ! Le résultat, quant à lui, fut mitigé : une seule écluse fut mise en service à Montignac, en 1843. Celles de Losse, Thonac, Saint-Léon et la Grambaudie, ne furent jamais achevées. Et les temps de transport sont toujours aussi longs et pénalisant, en raison d’un halage particulièrement difficile, avec 17 changements de rive, un nombre élevé qui n’a pas changé depuis le XVIIIe siècle… En fait, le projet se heurte à la négligence et surtout à l’égoïsme des intérêts particuliers :
Les producteurs et les viticulteurs de la vallée, aux environs de Montignac, tiennent à s’assurer le monopole de la consommation locale en fourrage, en blé et en vin ; ils sont soutenus par les meuniers qui s’approprient les digues et refusent de manœuvrer les écluses et par tous les propriétaires riverains qui désirent être maîtres chez eux et n’hésitent pas à interdire le chemin de halage en y plantant des arbres ; même les aubergistes de la route qui mène de Périgueux à Libourne ne tiennent pas à ce que le trafic sur la Vézère soit amélioré. Ces multiples oppositions au progrès des transports contribueront à faire échouer (…) le projet de canalisation de la Vézère, envisagée depuis la réouverture d’une mine de houille à Terrasson. (3)
Toutefois, les effets ne furent pas nuls puisque la forge des Eyzies, les mines de charbon du Lardin et de Beauregard, la verrerie de Saint-Lazare trouvèrent un regain d’activité. Des commerçants de Libourne iront même jusqu’à installer des entrepôts à Montignac avec l’intention de faire transiger depuis Bordeaux des marchandises à destination de Tulle, Ussel, et même Lyon… Ce beau rêve ne se concrétisera pas !
L’auberge à l’enseigne « L’Ancre du Salut », à Limeuil, lieu de rendez-vous des gabariers de la Dordogne et de la Vézère, est aussi le bureau de déclaration des marchandises et le siège du syndic des bateliers. En 1833, ce péage comptabilise 15 557 quintaux à la descente (charbon de bois et de terre, minerai de fer, feuillard, carassonnes, merrains) et 1 891 quintaux à la remonte (sel, grains, plâtre, faïence, denrées coloniales).
Le trafic chuta rapidement en dessous de 5 000 tonnes dans la seconde moitié du XIXe siècle, grâce à l’amélioration du réseau routier et l’apparition des ponts qui permettaient dorénavant le franchissement des voies d’eau quelle qu’en soit la largeur. À la fin du XIXe siècle, seules quelques rares gabares naviguent encore sur la Vézère entre Limeuil et le Bugue où fonctionne un important moulin. (2)
Notes :
- (1) La navigation sur la Dordogne et ses affluents, Annie-Paule et Christian Félix, Éditions Alan Sutton, Collection Parcours et Labeurs, 2002.
- (2) Bateliers des Pays de Garonne et Dordogne, Jacques Reix, Éditions Secrets de Pays, 2016.
- (3) La vie quotidienne au temps de Jacquou le Croquant, Gérar Fayolle, Éditions Hachette, 1977.