Chargement d'une gabare sur le Dropt, à Eymet.

La navigation sur le Dropt au temps des bateliers

L’aménagement du Dropt pour permettre sa navigabilité débuta tardivement, en 1795. À partir de 1858, l’ensemble des travaux était entièrement achevé et le Dropt était réellement navigable de l’embouchure jusqu’à Eymet (soit environ 70 km), même par les temps de grande sécheresse. Après le développement des transports routiers, l’ouverture, en 1899, de la ligne de chemin de fer reliant Bordeaux à Eymet, concurrença la circulation des marchandises sur le Dropt et lui porta un coup fatal. (1)

La rivière Drot ou Dropt, prend sa source dans la région de Monpazier en Périgord, plus exactement à Capdrot. Sur son cours supérieur, c’est une petite et pittoresque rivière qui faisait tourner de nombreux moulins dans la région de Villeréal et Lauzun avant de venir dormir un temps dans la vaste retenue du moulin d’Eymet. D’Eymet à la Garonne, il arrose La Sauvetat et Allemans, baigne la plaine de Duras, passe au pied des fortifications de Monségur avant de se jeter dans le fleuve à Caudrot ou Queue du Drot par opposition à Capdrot ou Tête du Drot.

« Le Dropt nait au sud-ouest de l’arrondissement de Bergerac, arrose Monpazier, entre immédiatement dans le département de Lot-et-Garonne, qu’il traverse, puis dans la Gironde où il se perd dans la Garonne, après un parcours de 128 kilomètres, exempt d’affluents importants. » — Géographie illustrée de La France, par Jules Verne. (2)

La vallée du Dropt est particulièrement fertile. Toutefois, elle est isolée, située à l’extrémité de trois départements : Gironde, Lot-et-Garonne et Dordogne. Oubliée de l’Administration centrale, les voies de communications sont quasiment inexistantes. Les produits du sol gagnent à grands frais les marchés voisins à dos d’ânes, de mulets ou au moyen de lourdes charrettes à bœufs. La navigation sur le Dropt est donc une nécessité absolue pour toute la vallée…

« Il n’y a pas de pays plus riche que cette vallée. Ce ne sont partout que prairies, terres à chanvre ou à blé. Sur les plateaux, également bien cultivés, les céréales et la vigne ont depuis bien longtemps remplacé les forêts qui les occupaient primitivement. On y remarque des plantations considérables d’arbres fruitiers et surtout des pruniers d’ente. Peu de bois, peu de communaux, pas un hectare de landes ou de terres en friche; partout, au contraire, de belles cultures avec la petite propriété, signe infaillible de la fertilité du sol et de l’aisance des populations. » — Extraits des archives de la Compagnie de navigation du Drot (1850). (3)

Historique de l’aménagement du Dropt

L’histoire de la batellerie sur le Dropt débute tardivement, et elle restera assez mouvementée, jusqu’à son déclin.

Le duc de la Force, à la tête du Conseil du Commerce, fut le premier à proposer de « rendre la rivière du Drot navigable ». L’édit royal de juillet 1719 accorde au duc de Laforce et au marquis de Biron des droits extrêmement étendus pour aménager la rivière. Toutefois, la concession accordée par le Roi est annulée au bout de deux années, à la suite d’un procès condamnant le duc de la Force pour « spéculation et accaparement de denrées ». Le gouvernement décide alors de poursuivre lui-même l’entreprise, mais le projet est finalement abandonnée.

En 1764, de nouvelles études seront menées sous la direction de M. de Boutin, Intendant de la province. Ces études n’auront pas de suite immédiate, mais, en 1780, les jurats de Castillonnès adressent une requête auprès de Jacques Necker, directeur général des Finances du royaume, pour faire canaliser la rivière, mais c’est sous la Convention que Joseph Lakanal, alors représentant du peuple en mission installé à Bergerac (1793), ordonne la construction des premières écluses du Dropt. Fidèle à sa méthode expérimentée en Périgord pour d’autres grands chantiers, Lakanal rassemble de façon la plus autoritaire qui soit la main d’œuvre nécessaire et décide la démolition des tours du château de Duras et de plusieurs petites églises environnantes pour récupérer des pierres en vue de la construction des écluses. (4)

Le moulin à eau fortifié dénommé moulin de Bagas (XIV) enjambe le Dropt en limite de la commune de Camiran – Cliquez pour agrandir

Le moulin à eau fortifié de Bagas (XIVe siècle) enjambe le Dropt en limite de la commune de Camiran
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En l’An II de la République, la Convention décide la canalisation du Drot. Lakanal, député de l’Ariège à la Convention, chargé de mission en Dordogne d’octobre 1793 à août 1794, prend la tête des opérations, déclarant vouloir « faire de la vallée du Dropt ce que la vallée de Tempé fut en Grèce ». Il ordonne la construction des écluses pour rendre le Dropt navigable jusqu’à Eymet et les études indispensables pour conduire la navigation jusqu’à Castillonnes d’abord, puis jusqu’à Villeréal s’il y avait lieu. Lakanal impose la participation financière des villes, rassemble la main d’œuvre (hommes et femmes, nobles et roturiers, à trois ou quatre lieues à la ronde) et les matériaux. Pour satisfaire aux besoins en pierres, il ordonne de réduire les tours du château de Duras « au niveau des combles du logis » (une des tours du château de Duras sera gardée intacte pour les besoins du télégraphe Chappe) et la démolition de l’église de Roquebrune (elle sera démolie partiellement en 1794-95 et restaurée en 1808). (3)

L’ouverture des chemins de halage, la construction des barrages, tout est entrepris sur-le-champ avec une activité toute révolutionnaire pour faciliter la navigation sur le Dropt. Les propriétaires riverains sont tenus à faire couper les arbres qui bordent la rivière dans les trois jours. L’ensemble des ouvrages sera terminé dans deux mois pour tout délai.

Le 26 octobre 1795, la Convention est dissoute. Lakanal décide (de lui-même) de regagner Paris alors qu’une douzaine de barrages sont sur le point d’être achevés. Les travaux se poursuivront sous la conduite du député Pellissier, mais avec lenteur et finalement sans achèvement. Vingt écluses devaient être construites ; deux seulement l’ont été. Les bateliers du Dropt sont contraints de procéder à de nombreux transbordements de bateaux pour faire circuler les marchandises.

Un nouveau système d’écluses fut établi en 1839 sur une distance de 58 kilomètres entre Eymet et la Garonne. En 1858, les travaux d’aménagement sont entièrement achevés et le Dropt est partout navigable de l’embouchure à Eymet (soit environ 70 km), même par les temps de plus grande sécheresse. Très rapidement la flotte se compose de 9 gros bateaux et 10 à 20 coureaux (le Dropt peut porter des bateaux de 60 à 80 tonneaux ) entraînant en 1860 un mouvement de 273 221 tonnes (Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, édition de 1870).

La rivière comporte désormais 38 barrages et à chaque barrage se sont installées deux à trois moulins à blé : un moulin sur chaque rive et un autre sur une île. L’Inventaire sur les moulins à blé, de l’An II à 1809 répertorie 44 moulins pour la partie de la vallée allant de la source à la région de Villeréal. On trouve également des moulins à foulons (qui servaient au foulage des étoffes de laine), des moulins à soufflets de forges ou à marteaux de forges, et des moulins à scieries.

Moulin de Loubens, en Gironde, sur le Dropt

Moulin de Loubens, en Gironde, sur le Dropt

Les embarcations naviguant sur le Dropt

Les gabarres du Drot ont les caractéristiques suivantes : longueur de 15 m à 20 m, tirant d’eau de 0,70 à 0,80 m (du fait de la quille), jusqu’à 25 tonnes à pleine charge; pour les plus grandes : 3,50 m de large au fond, 5,50 m de large aux bords, bords à 1,75 m au-dessus du fond.

Les couraux du Drot ont les caractéristiques suivantes : longueur de 8 m à 20 m, tirant d’eau de 0,20 m à 0,50 m, jusqu’à 50 tonnes à pleine charge ; pour les plus grands : 4 m de large au fond, 5 m de large aux bords, bords à 1 m au-dessus du fond. (3)

Le déclin de la navigation sur le Dropt

Les transports routiers et ferroviaires seront fatals à la batellerie sur le Dropt. Dès 1884, « La Géographie du Lot-et Garonne » ne classe plus le Dropt parmi les voies navigables du département ; seule la partie Casseuil-Duras sera plus ou moins bien entretenue.

En 1890, le mouvement des transports n’est plus que de 19 574 tonnes, soit l’équivalent de 570 bateaux d’une charge moyenne de 34 tonnes : deux-tiers pour les matériaux de construction (essentiellement tuiles, briques, carreaux de la basse vallée en direction de Bordeaux) et les minéraux, un tiers pour les denrées alimentaires et les produits agricoles.

À partir de 1900, les congrès d’études sur les rivières navigables du bassin de la Garonne ne notent aucun projet relatif au Dropt. Les bateliers, les usiniers se plaignent continuellement du mauvais état de la rivière et des écluses; la remise en état du barrage et de l’écluse de Casseuil (18861901) sera le dernier chantier important. L’activité fluviale (en particulier, tuileries de la région de Gironde-sur-Dropt) se poursuivra quelques années encore entre Bagas et Casseuil, puis s’arrêtera…

Au lendemain de la Grande Guerre et jusque dans les années 1930, seule la partie aval de la rivière (Caudrot – Monségur) est encore empruntée par quelques gabares de Garonne. De Gironde-sur-Dropt, d’importantes cargaisons de carreaux en terre cuite sont acheminées vers Bordeaux. (2)


Notes :

Crédit Photos :

  • Moulin de Loubens sur le Dropt, en Gironde, By Henry Salomé (Own work), via Wikimedia Commons.

LA BATELLERIE EN PÉRIGORD

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