Le transport fluvial sur la Dordogne était alimenté par les industries locales, comme l’Usine du Foutenil, installé sur les rives du canal latéral de Lalinde

Le transport fluvial sur la Dordogne

De l’Auvergne à la Gironde, la Dordogne a connu, depuis la Gaule romaine, une activité marchande. Jusqu’à l’arrivée du chemin de fer, le fleuve fut en effet la voie de communication privilégiée entre le haut-pays, producteur de bois ouvrés, le pays vigneron entre Bergerac et Libourne, et Bordeaux, métropole contrôlant la navigation maritime. La batellerie était un moyen de ravitaillement indispensable en période de pénurie, remontant blé, seigle, riz et pois secs, mais aussi sel, poissons salés, sucre, café et autres produits exotiques… (1)

Avec leurs courpets, bateaux à fond plat pour affronter les rapides, les gabariers de la région d’Argentat descendaient des cargaisons de merrain et de carrassonnes, peaux et cuirs bruts destinés aux tanneries de la basse Dordogne, minerai de fer, charbon de bois et de terre, pierres et meules de moulin, sans oublier les fromages d’Auvergne et les châtaignes du Limousin très prisés dans les ports du Bordelais. À Limeuil, confluent de la Dordogne et de la Vézère, on récupérait les productions des forges de haute vallée de la Vézère. À Couze, on chargeait les rames de papiers filigranés aux armes d’Amsterdam, ainsi que des sacs de grains de genièvre pour les liqueurs très appréciées par les Hollandais. Les bateliers de la Moyenne-Dordogne (Bergerac, Sainte-Foy, Castillon), acheminaient avec leurs coureaux, des cargaisons de vin, eaux de vie, froment et céréales vers les ports de Libourne, Blaye et Bordeaux. À l’aide de la voile et de la marée jusqu’à Castillon, puis du halage pour le cours le plus haut de la Dordogne, les bateaux remontaient des produits agricoles et alimentaires, épicerie, huile, savon, poissons séchés et salés, denrées coloniales, sucre, café, quincaillerie, engrais, combustibles, minéraux et surtout des cargaisons entières de sel qui parvenaient jusqu’aux ports de Domme et de Souillac. — Histoire des Bateliers – Musée de la Batellerie à Port-Sainte-Foy.

Transport fluvial : le trafic à la descente

À la fin de l’Ancien Régime, Argentat envoit chaque semaine en période de hautes eaux, une vingtaine de gabares à fond plat (courpet et couajadour), chargées de charbon à destination du port de Bergerac. Ce trafic se poursuit sous la Révolution lorsqu’est créée en 1792, sous l’impulsion de Lakanal, une manufacture d’armes demandant beaucoup de combustible pour l’alimentation des fourneaux.

La loi du 9 juillet 1836 attribuant à la régie des contributions indirectes la délivrance des laissez-passer de navigation, permet d’avoir une idée précise du trafic de la haute Dordogne dans la deuxième moitié du XIXe siècle :

  • De 1858 à 1867, 4 009 bateaux (401 par an).
  • De 1868 à 1877, 1 961 bateaux (196 par an).
  • De 1878 à 1887, 773 bateaux (77 par an).
  • De 1888 à 1897, 970 bateaux (94 par an).

Les années où le transport fluvial fut le plus fort étant 1858 avec 438 descentes, 1859 avec 433 descentes et 1860 avec 571 descentes. À la fin du XIXe siècle, une trentaine de bateaux à fort tonnage (50 à 100 tonneaux), fréquentaient régulièrement les ports de la haute Dordogne : Domme en comptait 6, Vitrac 2, Grolejac 1, la Roque-Gageac 6, Beynac 1, Castelnaud-Feyrac 2, Envaux 2, Le Garrit 3, Siorac 3, Limeuil 4.

D’après la Statistique de la navigation intérieure pour l’année 1890, le mouvement du transport fluvial (descente et remonte) fut le suivant :

  • De Bort à la limite des départements de la Corrèze et du Lot, 103 bateaux, et 1 794 tonnes de bois à brûler et bois de service.
  • Dans la traversée du département du Lot : 107 bateaux, 1 767 tonnes également de bois à brûler et bois de service.
  • De l’entrée dans le département de la Dordogne au confluent de la Vézère à Limeuil : 122 bateaux, 2535 tonnes, dont 26 387 de bois à brûler et bois de service.
  • De Limeuil à Libourne : 2 594 bateaux, 84 895 tonnes, dont 33 540 en matériaux de construction et en minéraux, 17 792 en bois à brûler et bois de service, 1 398 en produits agricoles et en denrées alimentaires, 6 687 en engrais et amendements, 3 602 en combustibles minéraux, 3 223 en produits industriels, 6 198 divers.
  • Entre Bordeaux et le Bec d’Ambès, 3 657 bateaux, 194 028 tonnes ; soit au total 16 769 bateaux ayant convoyé 597 258 tonnes de marchandises. (1)

La Statistique fait observer que « la plupart des marins naviguant au bornage sur la Basse-Gironde (et aussi ceux de la Basse-Dordogne) évitent de faire les déclarations prescrites par le règlement sur la statistique de la navigation intérieure ; il résulte de ce fait que les tonnages accusés par les relevés statistiques ne représentent qu’une partie des transports effectués sur lesdites sections. Sur les 597 258 tonnes, 244 834 sont afférentes aux produits agricoles et denrées alimentaires, 138 989 aux matériaux de construction et aux minéraux, 75 215 aux bois à brûler et bois de service, 43 272 aux engrais et amendements, 34 086 aux produits industriels, 28 078 aux combustibles minéraux ». (1)

Merrandier au travail – Cliquez pour agrandir

Merrandier au travail
Cliquez pour agrandir

Le commerce du bois

Le commerce du bois représentait le fret le plus important des gabares. Une fois débité, le bois était chargé sur des bateaux fabriqués sur les berges de la rivière, pendant la période d’été. D’après une étude portant sur le trafic de descente passant devant Tuilières en 1836, le bois représentait 69 % du tonnage. Les chargements de bois étaient composés des éléments suivants :

  • Le bois de merrain destinés à la tonnellerie. Il représentait le tiers du trafic par gabare. Le merrain est un bois de chêne ou de châtaignier, calibré en douves pour la tonnellerie (douves ou douelles sont fendues dans le sens de la fibre du bois, les fonçailles, en bois plus épais sont réservées aux fonds de barriques). Il se vendait alors par millier, unité de mesure comprenant 1 260 douves et 604 fonçailles et pesant environ trois tonnes. On appelait « pillage », ce conditionnement de merrain qui constituait l’essentiel du chargement des bateaux.
  • La carrassonne (des planches d’acacia ou de châtaigniers assemblées en fagots) ou échalas. Il représentait le quart du trafic. Ces piquets de châtaignier de 1,50 à 2 mètres destinés à servir de tuteurs aux pieds des vignes de la basse Dordogne et du Bordelais se vendait au « cent » ou au « mille », par fagots de vingt-cinq, liés par des bries de noisetier. Le mille pesait environ une tonne.
  • Du bois de chauffage et de construction (planches ou madriers de chêne, de hêtre, de châtaignier, pour la construction des gabares, des charpentes, des mâts de bateaux…).

Les gabariers de Haute-Dordogne étaient avant tout des bûcherons et des marchands de bois plutôt que des bateliers, la gabare étant seulement le moyen de transport qui leur servait à livrer leur production. Ne sachant pas vraiment dans quelle catégorie professionnelle il fallait les ranger, on les appelait indifféremment « gabariers » ou « meyrandiers ».

« M. Chamfeuil de Valette, l’un des grands négociants en merrains de la Saintrie, fit construire il y a environ 40 ans* à Espontours, par des ouvriers de Lalinde et tuilière, un chaland qui au départ, chargé de seize milliers de merrains, arriva sans encombre à Souillac. A ce port il en reçu seize mille autres, qui lui firent une charge de 96 tonneaux, il fut déchargé à Bergerac, où on le nomma Le Corrèzien. On lui fit faire un service de transport de Bordeaux à Bayonne. » — * Puisque Eusèbe Bombal a écrit son ouvrage en 1903 il parle donc des années 1863(2)

Le commerce du vin occupait, avec le bois, une grande partie du transport fluvial à la descente – Cliquez pour agrandir

Le commerce du vin occupait, avec le bois, une grande partie du transport fluvial à la descente

« Le Bas-Pays, cultivé, fort peu boisé, dut demander de bonnes heures à celui d’amont, ces produits indispensables qui lui manquaient. Il n’existait pour transporter les matières encombrantes qu’une voie unique, le fleuve, et l’on devine sans effort que malgré ses périls, il s’y produisit un mouvement descendant très actif.

Il n’était guère d’habitants de ces versants, ni des plateaux voisins, possédant quelque étendue de bois, qui ne se fit « meirandiers » à certaines heures. Cette industrie procurait le bien-être à la contrée. Avait-on une dette gênante, c’est la forêt qui la payait. On abattait quelques arbres, on en faisait du merrain, des planches ; on construisait ou achetait un bateau, on partait. Les gens qui ne tenaient pas à naviguer vendaient sur place aux marchands ; en ce cas la marchandise était portée par le vendeur au port le plus voisin. Ces marchands avaient à leurs ordres chacun une tribu d’ouvriers, bûcherons, scieurs-de-long, meirandiers, carassonniers, constructeurs de bateaux, patrons gabariers, manœuvres.

Une coupe de bois est une rude besogne. Elle se fait ordinairement de novembre à mars, durant le cours de chaque lune, durant la lune vieille. Le propriétaire ou le marchand mène son équipe d’ouvriers dans la forêt, située loin de toute habitation. Les versants de la Haute-Dordogne sont à peu près déserts. Des sentiers étroits sur des pentes raides, sur des précipices coupés de rochers, rendent impossibles les marches nocturnes. D’autre part, il ne faut ni dépenser les heures de jour en longues allées et venues, ni ajouter sans profit à la fatigue des ouvriers. On commence donc par construire sur place une hutte de branchages et de genêts où l’on dormira la nuit sur la paille apportée, ou sur des feuilles sèches ramassées. Là aussi sera la cantine. On reçoit des vivres une fois par semaine. L’ordinaire, c’est du pain, des légumes, des salaisons, et du vin. L’un des ouvriers fait l’office de maître-coq…

L’arbre à terre, scié, débité, il s’agit alors de faire descendre ce bois à proximité du rivage. Si l’on est sur un versant de la Dordogne, le transport est aussi simple que peu couteux : on fait rouler le tout en bas. Là s’opère le triage, chaque sorte de bois est empilée sur la berge où elle sera façonnée, sinon on la flottera, ou l’on l’enlèvera par bateaux. (2)

Les autres produits du trafic à la descente

Après le commerce du bois, les 31 % restant du transport fluvial se répartissaient ainsi :

  • Fourmes de Salers et de Pleaux, petits fromages de Rocamadour.
  • Peaux et cuirs bruts provenant essentiellement des tanneries de Bort-les-Orgues.
  • Des toiles provenant de Bort-les-Orgues – renommé pour la qualité de ses grands chanvres – destinées, dès 1569, aux voilures de vaisseaux.
  • Des toiles de lin et de chanvre produites, vers 1700, par les localités de Saint-Céré et Sousceyrac.
  • Des bouteilles noires produites en Quercy pour envoyer les vins vers l’Angleterre et la Russie.
  • Graines de genièvre.
  • De l’eau-de-vie et du vin.
  • Des porcs vivants du plateau corrézien ayant mangé tout l’hiver glands et châtaigne.
  • Châtaignes du Limousin dont il se faisait un important commerce avec l’Angleterre, particulièrement aux XVIe et XVIIe siècles (aux dires de l’historien Jean Papire Masson (15441611). Il s’agissait de châtaignes séchées.
  • Truffes exportées vers l’Angleterre, la Hollande et l’Allemagne.
  • Fonte et fer des forges de la Vézère (dont des objets manufacturés parmi lesquels des canons de marine et des chaudières à sucre à destination des colonies…). Les canons et bombes produits par les forges du Périgord parvenaient aussi par gabares fluviales jusqu’à Libourne pour être transbordés sur des navires caboteurs à destination de la base royale de Rochefort : de 1682 à 1699, on peut ainsi relever quarante de ces chargements, qui continueront d’ailleurs dans toutes les premières années du siècle suivant (17021704), de façon assez importante. Les libournais transporteront encore des canons, des bombes, du plomb, de la poudre, des affûts de canons, des mortiers à poudre, du chanvre, tout cela pour le “Roy” à Rochefort. Pendant tout le XVIIIe siècle, des canons passeront par Libourne, parfois en grosse quantité. Ainsi, en 1758, plus de 120 grands canons se trouvaient sur le terrain du Fourat (champ d’épreuves situé au nord de la ville où on essayait les canons avant de les embarquer). L’année précédente, « une frégate du Roy, portant flame » était montée à Libourne pour charger des canons. (Le port de Libourne au XVIIe siècle, Bernard Ducasse, voir bibliographie). (4)
  • Du plomb provenant des mines de Mercœur qui, en 1776, étaient en pleine activité.
  • Pierres meulières, les « soustres », provenant des ateliers de Domme.
  • Vins du Quercy, de Domme et du Bergeracois.
  • Céréales (avoine, maïs, noix, huile de noix) et tabac.
  • Balles de papier des papeteries de Mouleydier, Creysse et Couze.
  • Charbon de bois en sac de 50 kilos, provenant du débitage du merrain et des planches. Il était fabriqué par les familles itinérantes de charbonniers et se transportait en sacs de cinquante kilos.
  • Charbon de terre des mines d’Argentat ou de Lapleau (au XVIIIe siècle). Anthracite en provenance des mines de Champagnac-les-Mines, dans le Cantal, qui furent exploitées de 1773 à 1860. À la fin de l’Ancien Régime, Argentat envoyait chaque semaine, en période de hautes eaux, une vingtaine de gabares à fond plat (courpet et couajadour), chargées de charbon à destination du port de Bergerac. Ce trafic se poursuivit sous la Révolution lorsque fut créée en 1792, sous l’impulsion de Lakanal, une manufacture d’armes nécessitant beaucoup de combustible pour l’alimentation des fourneaux. Elle fonctionna jusqu’en 1797. Elle recevait son charbon d’Argentat par petits bateaux de 24 pieds (environ 8 mètres). Chacun d’eux portaient 6 tonneaux, soit un peu plus de 8 mètres cubes, au prix de 15 sous par tonneau pour un trajet de deux cent kilomètres. Sans doute, celui-ci s’effectuait en moins d’une semaine, et le bateau étant revendu à l’arrivée au quart de son prix. Ces transports de charbon étaient réputés dangereux de par la densité du matériau, dont la plupart du temps, les bateaux étaient trop chargés. Nombre d’entre eux se perdaient ainsi chaque année, en particulier sur le malpas en aval d’Argentat, et l’on avait souvent des difficultés à trouver des équipages pour les mener. En raison de leur plus grande maniabilité, on employait généralement pour ces transports, des bateaux de dimensions réduites, dont on multipliait le nombre en fonction des besoins.

Un rapport établi en 1858 indique que le transport fluvial entre Limeuil et Libourne s’élèvait à 136 300 tonnes pour une valeur de 17,7 MF. Le vin représentant 68 % de cette valeur et les bois 28 %. Les 7 % restant provenaient de la vente d’huile de noix du Sarladais, de châtaignes du Limouzin et du Périgord central, des productions des forges , des ateliers meuniers de Domme, des papeteries de Couze et de Creysse, des carrières de pierres de taille…

Transport fluvial : le trafic à la remonte

Le trafic à la « remonte » a toujours été inférieur à celui de la descente en tonnage (1/3–2/3) et en valeur. Néanmoins, il existait une forte complémentarité économique entre le Haut-Pays producteur de bois ouvrés et le Bas-Pays viticole dépourvu de ce bois. La Dordogne jouait le rôle de lien entre ces deux régions.

Le commerce florissant du sel

Les bateaux remontaient toutes les denrées coloniales rapportées de Bordeaux : thé, café, épices, poissons séchés-salés en fûts (morue et harengs), soude en provenance des îles de Ré et Noirmoutier. Mais le gros du trafic à la remonte était surtout constitué de cargaisons de sel pour le Quercy et le Limousin, et ce, bien avant la période coloniale. Le sel provenait des marais salant d’Aunis et de Saintonge, d’Oléron et, surtout, de la Seudre, des « Isles » de Marennes et de quelques modestes ports de l’embouchure de la Gironde, celui de Brouage étant le plus réputé.

Le commerce du sel sur la Dordogne est attesté dans le Livre de Vie de la ville de Bergerac. Le 13 avril 1381, des pillards de Masduran, un repaire noble de la paroisse de Saint-Pierre d’Eyraud arraisonne un courau chargé de sel. Le 5 décembre de la même année, puis le 16 mai 1382, deux plaintes similaires sont rapportées. Ces trois évènements sont ainsi relatés :

Item, le mercredi avant Rameaux, 3 avril, de cette même année 1381, les gens de Masduran, à savoir Miguonet del Bosc et Thomas, avec d’autres pillards, sont sortis de Masduran, ont pris le courau de la dame de Soyra devant Masduran : il était chargé de sel. Ils voulaient prélever deux sols par livre de sel transporté. Et ils ont défoncé un tonneau de sel et en ont volé huit quartières et plus. En outre, ils se sont fait donner vingt sols pour le courau.

Mémoire soit que le 5 décembre de cette même année 1381, les pillards qui vinrent de Masduran ont défoncé trois tonneaux de sel appartenant à Miquel Sabatièr et en ont pris trois poignères.

Mémoire soit que le vendredi 16 mai de cette même année 1382, ceux de Masduran ont prélevé sept quartières de sel sur un grand courau de Miquel Sabatièr et les ont emportées à Masduran. (3)

C’est pour ce précieux condiment que les hommes des pays riverains furent principalement amenés à naviguer et à troquer leurs produits de terroir : bois, vin et eau de vie, blé et châtaignes. Le commerce du sel a permis le développement de certaines villes riveraines qui exerçaient un droit de taxe de passage, ou un monopole local de stockage et le contrôle du mesurage du sel. Des « greniers à sel » furent créés très tôt dans l’histoire et vite taxés de la fameuse gabelle. C’est le cas de Libourne, Bergerac, Lalinde, et Souillac, le point extrême de la navigation remontante et port d’embarquement des bois pour le Bergeracois et le Bordelais.

Dès le début du XIIIe siècle, les salinières de Libourne et Bergerac à qui revenait le mesurage du sel, détenaient le monopole du trafic. À Libourne, ils étaient installés près du port et gérés par les « sacquiers ». En terme de Marine, le sacquier désignait un petit officier installé dans les ports de mer et dont la fonction consistait à surveiller les chargements et déchargements des vaisseaux de sel et de grain et en mesurer la quantité. Les sacquiers qui formaient une corporation, avaient leurs propres statuts.

Le sel a été la source de bien des conflits entre des péagers trop proches qui traquaient les convois de sel sur la rivière, dans les ports, sur les chemins de l’intérieur, et qui, aux abords de Libourne, Bergerac et Domme, montaient la garde sur terre et sur fleuve pour prélever leur dû sur les chargements de sel. Les communautés urbaines furent les principales détentrices des droits levés sur le sel, à l’exception de quelques péagers ruraux, tels ceux de Castelnau, de Capet et de Carlux, maintenus dans leurs privilèges sur le sel de la remontée, « à condition de baliser la rivière ». (6)

Les habitants de Sainte-Foy sont autorisés à acheter et vendre le sel parvenu dans le port par gabares : « Quand le dit sel et gabares seront arrivés au dit port, les dits consuls et habitants pourront décharger les dits sels, mettre à terre en leurs maisons ou ailleurs, dedans la dite ville pour le vendre et revendre, bailler comme bon leur semblera, le mesurer et palager en palle, comme il est de coutume de faire en ville de Bergerac et de Libourne assises sur la dite rivière de Dordogne, sans de ce faire demander licence à aucun, ni payer aucun denier. » (1)

Du 30 octobre 1758 au 30 juillet 1764, il fut relevé au port de Domme, le passage de 751 bateaux chargés de sel ; de 1787 à 1790, 660 bateaux représentant une quantité de 13 485 pipes (la pipe bordelaise était une ancienne unité de mesure équivalente à 1 350 livres). À Souillac, en 1790, il y avait, soit en magasin, soit sur les bateaux des principaux négociants et maîtres de bateaux, environ 4 000 pipes de sel, soit 16 000 hectolitres. En 1836, le transport du sel s’élève à 4 600 tonnes. (1)

Les autres produits du trafic à la remonte

Après le sel, on trouve des importations d’huile d’olive et de savon en provenance du Midi méditerranéen via Bordeaux. À partir du XVIIIe siècle, on assiste à une importation croissante de produits coloniaux : sucre, café, soie et bois exotiques… et de poissons séchés (principalement des sardines), au total, 3 500 tonnes. Parfois, lors des mauvaises récoltes, étaient également importés blé, seigle, riz, fèves, pois secs, ce qui mobilisait la flotte entière.

Puis venaient les produits suivants : chiffon et acides pour les papeteries, alun et teinture pour les tanneries (600 tonnes), térébenthine, plâtre, bois résineux pour le bâtiment (2015 tonnes), acier (30 tonnes) et petit fer ouvré pour la construction et l’outillage agricole (235 tonnes, brai des landes de Gascogne pour les chantiers navals, minerai de fer, fonte, charbon de terre en partie destinés aux forges des Eyzies (2 500 tonnes), poudre de tabac (50 tonnes), vin (250 tonnes), blé (400 tonnes), pour les usages domestiques (10 tonnes).

Flottage et radelage

Dans les parties supérieures des cours d’eau (jusqu’à Spontour et surtout Argentat), les hommes pratiquent depuis fort longtemps le flottage du bois et la navigation avec des radeaux primaires. Pour rappel, le radelage est une technique de transport du bois par flottage, qui consiste à assembler des pièces choisies en radeau.

Au XIXe siècle, la Dordogne est navigable sur 200 kilomètres jusqu’à Meyronne, en amont de Souillac. Au-delà, elle est classée comme flottable sur 150 kilomètres jusqu’à Chalvignac, aux confins de la Corrèze et du Cantal. Depuis le Moyen Âge, le flottage des bois constitue la seule utilisation de cette section de rivière, gorge étroite et sinueuse où émergent des blocs de rochers et des bancs de cailloux. Cette région, très accidentée, est en majeure partie couverte de forêts de chênes et de châtaigniers dont l’exploitation offre la principale source de revenus. Charroyées vers les rives, les billes de bois sont propulsées dans le courant et parviennent par flottage dans la région aval où existent des chantiers de construction navale comme c’est le cas à Spontour ou Argentat. (1)

Toutefois, le flottage du bois présente des inconvénients : un lit encombré de roches, de pêcheries et de moulins entravait le flottage des bois. Libérer les enchevêtrements était périlleux et réclamait d’énormes efforts. De plus, une immersion prolongée gâtait le merrain. Le bois devenait ingrat à travailler et, surtout, noirci par l’eau, faisait craindre de mauvais effets sur le vin. Pour toutes ces raisons, les merraindiers préféraient une navigation à bateau perdue dès que le cours de la rivière le permettait, en fait à partir de Spontour et surtout Argentat.


Notes :

  •  (1) Bateliers des Pays de Garonne et Dordogne, Jacques Reix, Éditions Secrets de Pays, 2016.
  •  (2) La Haute-Dordogne et ses gabariers, Eusèbe Bombal, Imprimerie de Crauffon, 1903.
  •  (3) Le livre de vie (1379-1382) – Bergerac au cœur de la Guerre de Cent Ans, Y. Laborie et J. Roux, Éditions Federop, 2003.
  •  (4) Gabarier sur la Dordogne, Jean-Baptiste Blaudy, Édition établie par Guitou Brugeaud, La Table Ronde, Paris.
  •  (5) La navigation sur la Dordogne et ses affluents, Annie-Paule et Christian Félix, Éditions Alan Sutton, Collection Parcours et Labeurs, 2002.
  •  (6)  Les gens de la rivière de Dordogne, Anne-Marie Cocula-Vaillières, Thèse présentée devant l’Université de Bordeaux III, le 5 février 1977.

LA BATELLERIE EN PÉRIGORD

Consultez le sommaire de la rubrique…