L'élevage caprin en Périgord

La production périgordine actuelle s’appuie sur une longue tradition de fabrication fromagère. Autrefois, de nombreux élevages familiaux fabriquaient et vendaient au marché le surplus des fromages destinés à la consommation familiale. Parmi eux le plus commun est le Cabécou du Périgord. Depuis 1965, la production s’est structurée. Progressivement, des zones de collecte spécifiques se sont mises en place et la spécialisation des élevages s’est accrue. (1)

La chèvre a été domestiquée dès le début du Néolithique, vraisemblablement pour son lait, puis pour sa laine, sa viande, sa peau, et même son cuir. Puis, des Gaulois aux Romains, des Sarrasins aux révoltes paysannes, les chèvres ont accompagné les populations et se sont enracinées dans les terres périgourdines.

Une brève histoire de l’élevage caprin en Périgord

Des fouilles récentes ont permis de mettre en évidence sur les sites gallo-romains de Vésunna, ancienne capitale des Pétrocores, devenue aujourd’hui Périgueux, des débris d’os issus des cuisines des villae, anciens domaines agricoles à l’époque de l’occupation romaine de la Gaule. Après le cochon, les moutons et les chèvres semblent avoir été les espèces les plus consommées par nos ancêtres gallo-romains. Il semblerait toutefois que l’histoire du Cabécou remonte à l’introduction de la chèvre par les arabo-berbères dans le sud de la Loire. Ces envahisseurs arabes auraient alors fabriqué un fromage nommé cheblis (chèvre en arabe dialectal maghrébin), qui deviendra par la suite le Cabécou du Périgord ou le Chabichou du Poitou.

Les traces écrites concernant la présence de chèvres sont peu nombreuses, mais néanmoins suffisantes pour attester du fait que l’élevage caprin était bien implanté en Périgord, et ce, dès le Moyen-Âge. Un document concernant l’enregistrement de taxes relatif au commerce des chèvres sur les foires de Périgueux est parvenu jusqu’à nous, ainsi qu’un bail à cheptel datant de 1590, et une estimation de bestiaux datant de 1661 faisant état de la présence de chèvres. (2)

Pendant la révolution en exécution d’un décret de la convention (1795) le prix du lait de chèvre à la pinte de Paris est fixé en différents points du département. En 1801, dans sa Topographie Agricole du Département de la Dordogne, André Alain de Fayolle (1765– 1841) dressait un tableau sans complaisance de la situation agricole du département. À propos de l’élevage caprin, il écrit :

Le nombre de chèvres s’élève à plus de 9 000 dans toute l’étendue du département. On en trouve beaucoup dans la Double et le Landais, et dans les cantons de Cubjac, Thiviers, Excideuil, etc… Cet animal vorace et destructeur devrait être banni à jamais d’un pays où l’on voudrait élever des bois ; le mal qu’il cause aux taillis est incalculable, dans ce département surtout, parce que les anciennes ordonnances ne sont pas observées. Il devrait être permis de tuer les chèvres à tout propriétaires qui les surprendrait dans ses bois. — André Alain de Fayolle.

En général, l’exploitation agricole de base était alors de très petite taille, de 5 à 10 ha en moyenne. Rarement exploitée par son propriétaire, elle est confiée à un métayer qui partage par moitié le fruit de son travail avec son propriétaire. À chaque métairie correspondait généralement une famille et un cheptel composé d’une paire de bœufs, de deux cochons, une troupe de 10 à 30 ovins et d’une basse-cour variée (lapins, poules, oies et canards) comportant souvent quelques chèvres qui approvisionnent la famille en lait lorsque cette dernière ne peut nourrir une vache.

En 1893, on dénombre 18 985 chèvres en Dordogne. En 1905, on recense plus de 25 000 chèvres dans le département de la Dordogne. C’est l’âge d’or de l’élevage caprin en Périgord. Mais cette situation favorable ne durera pas. Une violente épidémie de fièvre aphteuse décime les populations en 1920. Les troupeaux sont reconstitués avec des souches prélevées dans les Alpes. Ainsi, au fil du temps, les troupeaux de race Chamoisée des Alpes (Capra aegagrus hircus, dite race alpine) et de race Saanen (une race caprine originaire du Sannenland et de l’Obersimmental en Suisse), se développent au détriment de la race locale, la chèvre poitevine. En 1963, on ne comptait plus que 1 650 chèvres.

La chèvre Saanen, originaire de Suisse présente typiquement le profil « chèvre de Monsieur Seguin » avec son air doux et son pelage entièrement blanc et soyeux. Excepté qu’elle et souvent sans cornes ! Cette chèvre docile, excellente laitière (environ 800 litres de lait par an), est une marcheuse moyenne et elle craint les coups de soleil. Elle a été introduite en France vers 1910 en vue de croisements, puis de manière intensive à partir des années 1960, en vue d’une sélection de race.

La chèvre Alpine, ou Chamoise des Alpes, originaire du massif alpin côté suisse, est la première chèvre en France en termes d’effectif, avec 55 % du cheptel caprin. Elle peut posséder plusieurs couleurs de robes, mais la robe chamoisée, fauve avec une bande dorsale et les extrémités noires, reste la plus répandue. Très bonne laitière elle aussi, avec ses 780 litres d’un excellent lait fromager, elle est rustique, et ses ongles durs, adaptés aux chemins pierreux et aux pentes raides lui permettent (malheureusement ?) d’accepter aussi les sols bétonnés des élevages intensifs. — Saveurs de paysages, Au fil de la Dordogne, Magali Am. (3)

L’élevage caprin en Périgord aujourd’hui

Après 1963 débute le renouveau de l’élevage caprin en Périgord. Un technicien caprin et quelques pionniers en proposant la mise en valeur des zones difficiles relancent l’élevage de la chèvre. Progressivement, la filière caprine en Dordogne s’est structurée, des zones de collecte spécifiques se sont mises en place et la spécialisation des élevages s’est accrue. Après une période de forte croissance jusqu’en 1997, la production périgourdine s’est stabilisée.

Globalement, la situation s’est donc nettement améliorée puisque la Dordogne est devenu le premier département caprin d’Aquitaine. La filière caprine de Dordogne réunie 155 éleveurs, dont 25 sont des producteurs fermiers, avec un cheptel de plus de 20 000 chèvres. Elles sont issues principalement de la race Alpine française, à la robe fauve, et de la race Saanen française à la robe toute blanche. La collecte du lait est assurée par cinq entreprises, et dont trois d’entre elles assurent la transformation du lait sur place.

La production annuelle de lait de chèvre en Périgord, collecte et transformation à la ferme est estimée à 14 millions de litres qui sont transformés en Cabécou du Périgord et autres spécialités.

Il y a quelques décades, la vache laitière était une bête rare dans nos métairies ; elles y auraient été nourries difficilement, le peu de fourrage provenant de prés mal entretenus étant destiné aux bœufs et aux vaches de labour, lesquelles ne donnaient qu’avec parcimonie un lait maigre, réservé aux enfants et aux vieux. Mais d’un appentis collé à la grange sortaient chaque matin une ou deux chèvres qu’il convenait d’attacher au piquet pour protéger le potager et les quelques fleurs semées au printemps devant l’entrée de la maison. Souci constant ce piquet qu’il fallait changer de place, sans compter que, bien souvent, malgré les précautions prises, les bêtes se détachaient et, en quelques minutes, s’étaient régalées de salades et de reine-marguerite ! Mais ces voraces petites chèvres prodiguaient un lait crémeux qui, caillé avec la barbe d’artichauts, donnait, après avoir été égoutté, un fromage d’une grande finesse qui se vendait sur les marchés de Sarlat, de Cubjac et de Thiviers ou directement du producteur au consommateur ; la livraison se faisait à domicile pour une clientèle fidèle.

Le soir, précédées du bruit des clochettes, suivies d’une forte odeur qui vous sautait au nez et traînait dans l’air longtemps après leur passage, ventre rond, pis ballant entre jambes, repues, comblées, les chèvres rentraient à l’étable où les attendaient les ménagères munies d’une jatte que, pour quelques sous, le chevrier remplissait d’un jet rapide, du pis au récipient, de lait crémeux dans lequel il mettait une goutte de présure. Refroidi, sucré, quel laitage merveilleux ! Mais le caillé a un goût plus naturel s’il est fait à la barbe d’artichauts. Pour 1 litre de lait de chèvre ou de vache, 1 cuillère à café de barbe d’artichauts qui sera conservée séchés, mais ne sera pilée qu’au moment de l’utiliser. Dans une tasse, mettre 3 cuillerées de lait, y tremper quelques secondes un petit sachet de mousseline contenant la barbe d’artichauts pilée, en exprimer le jus 3 ou 4 fois, mélanger cette présure au lait tiédi légèrement dans la jatte où le lait sera servi. Tenir à température douce 1 heure ou 2. — Les Secrets des Fermes en Périgord Noir, Zette Guinadeau-Franc. (4)


Sources :

  • (1) Filière Caprine : Chambre d’Agriculture de la Dordogne, www.dordogne.chambagri.fr.
  • (2) Site officiel Le Cabécou du Périgord.
  • (3) Saveurs de paysages, Au fil de la Dordogne, Magali Amir, Éditions Plume de Carotte, 2016.
  • (4) Les Secrets des Fermes en Périgord Noir, La Cuisine paysanne en France, Zette Guinadeau-Franc, Éditions Berger-Levrault, 1995.

Crédit Photo :

  • Chèvre Alpine – Salon international de l’agriculture 2011, Paris, by Eponimm (travail personnel), via Wikimedia Commons.
  • Chèvre au Parc de Fond’Roy, by GdML (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Chèvres saanen en Vendée, by Damien Hardy (Own work), via Wikimedia Commons.

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