Cueilleurs de safran dans une exploitation de la province de Khorasan-e Razavi (Iran).

Une brève d’histoire du safran

D’où vient le safran ? Est-il apparu au Cachemire, au pied de l’Himalaya, comme on le pensait autrefois ou dans le bassin méditerranéen ? Selon des recherches botaniques récentes, il serait originaire de Crète et non du Cachemire…

L’histoire du safran remonte à plus de 3 500 ans et traverse diverses cultures, continents et civilisations. L’ancêtre sauvage de la fleur de safran domestique est le Crocus cartwrightianus. Des spécimens ayant des stigmates particulièrement longs ont été sélectionnés. À force de croisements, une forme mutante de Crocus cartwrightianus, Crocus sativus, est apparue en Crète, à la fin de l’âge du bronze. L’analyse de l’ADN de Crocus sativus (un triploïde stérile) confirme que Crocus cartwrightianus est l’ancêtre le plus vraisemblable du safran.

L’histoire du safran dans l’antiquité

Plusieurs fresques représentent le safran dans les îles grecques. L’une d’entre elle, au palais de Knossos, dépeint une récolte de safran. Sur le site d’Akrokiri (dans l’île grecque de Santorin), on trouve des fresques parfaitement évocatrices à ce sujet. On y voit en particulier de petites touffes de safran cueillies par deux femmes. Ces fresques sont les premières représentations exactes de la plante. Elles ont été protégées par des cendres émises par une explosion volcanique survenue entre 1650-1500 avant notre ère.

La première référence écrite relative au safran a été repérée dans la littérature botanique assyrienne datant de l’ère d’Assurbanipal (VIIe avant notre ère). Chez les égyptiens, le safran est également à l’honneur : il possède son propre hiéroglyphe. De plus, il est mentionné dans le plus vieux traité scientifique, le papyrus Ebers, l’un des plus anciens traités médicaux qui nous soit parvenu datant de 1550 avant notre ère. Et il figure dans la composition de quatre-vingt-dix recettes médicinales, dont certaines datent de 2670-2610 avant notre ère.

Grâce aux Phéniciens, le commerce du safran est assuré le long de leurs vastes routes commerciales. On le retrouve bientôt dans les cultures perse, indienne et chinoise.

Le safran a joué un rôle significatif durant la période classique gréco-romaine (du VIIIe siècle avant notre ère au IIIe siècle). C’est ainsi qu’il est abondamment utilisé par Alexandre le Grand et ses armées durant leurs campagnes asiatiques. Ils l’utilisent dans le thé et dînent de riz safrané. Alexandre en saupoudre même ses bains chauds. Il croit pouvoir soigner ainsi ses nombreuses blessures. Les soldats grecs, sous le charme de ses prétendues vertus curatives, continuent à l’utiliser à leur retour en Macédoine. La culture du safran atteint aussi ce qui est aujourd’hui la Turquie. (1)

Cueilleuse-safran-fresque-Akrotiri-Grece

L’histoire du safran en Europe à travers les âges

Les colons romains ont emporté du safran avec eux lorsqu’ils s’établirent dans le sud de la Gaule. Ils le cultivent de manière intensive jusqu’à la chute de l’Empire romain. Après quoi, cette culture disparaît pratiquement d"Europe, pendant plusieurs siècles, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Cette tendance s’inverse au IXe siècle, quand la civilisation maure s’implante en Afrique du Nord pour s’établir ensuite dans la péninsule ibérique, ainsi que dans une partie de la France et dans le sud de l’Italie. Il se pourrait également que les Maures aient réintroduit le safran dans la région poitevine après leur défaite contre Charles Martel, lors de la bataille de Poitiers de 732(1)

En France, la réintroduction du safran date du XIIe siècle. Elle est essentiellement liée aux retours des croisades et aux échanges commerciaux avec l’Orient. De nombreuses provinces françaises le cultivent, notamment l’Orléanais, le Vaucluse et l’Angoumois. Au moins depuis le XIIIe siècle, il est cultivé en Périgord et dans la province voisine du Quercy.

La princesse Aliénor d’Aquitaine, deux fois reine (d’abord reine de France, puis remariée à Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre), est bien connue pour le rôle qu’elle a joué dans l’introduction des épices et autres produits orientaux en Europe. Dans l’un des tout premiers manuscrits culinaires européens — écrit en anglo-normand entre 1293 et 1297, et intitulé Comen l’en deit fere Viande e Claree, — on trouve de nombreuses recettes qui témoigne de cet engouement pour une cuisine orientale, dans laquelle les épices, dont le safran, occupent une place de choix.

Au XIVe siècle, le commerce du safran est sujet de convoitise, piratage et vol massifs. Sillonnant les eaux méditerranéennes, les pirates se détournent alors des chargements d’or, leur préférant le safran vénitien et génois. Conscients de ce problème de piratage, les Bâlois développent leur propre culture de safran. Après plusieurs années de récoltes abondantes et lucratives, Bâle devient une ville européenne prospère. Pour protéger son statut, elle interdit l’exportation de cormes en dehors des limites de la ville ; des gardes sont postés pour empêcher les voleurs de cueillir les fleurs ou déterrer les cormes. Malgré toutes ces précautions, et pour des raisons encore mal connues, la culture du safran dépérit après une dizaine d’années, puis disparaît. (1)

La Peste noire qui ravage l’Europe entre 1347 et 1350, favorise grandement le commerce et la culture du safran, celui-ci étant recherché en raison de ses propriétés médicinales. Mais comme la plupart des fermiers européens sont eux-mêmes victimes de l’épidémie, on se met à l’importer en grande quantité. On sait par exemple que le safran de Rhodes a fourni l’Europe centrale et du nord. Toutefois, à cause des Croisades qui débutent à cette époque, les fils de safran de première qualité des terres musulmanes ne partiront jamais pour l’Europe. (1)

En Europe centrale, le cœur du commerce de safran se déplace ensuite à Nuremberg, tandis que les marchands de Venise continuent à dominer le marché méditerranéen. Là-bas, des variétés de safran d’Autriche, de Crète, de France, de Grèce, de l’Empire ottoman, de Sicile, et d’Espagne sont disponibles. On trouve aussi des spécimens frelatés, certains trempés dans du miel, mélangés avec des pétales d’œillet d’Inde, ou conservés dans des caves humides pour augmenter le poids des fils de safran. Du coup, les autorités de Nuremberg ont été contraintes de signer des arrêts sévères qu’on a regroupés ensuite sous l’expression « code Safranschou », le but étant de réguler le commerce du safran et de punir les fraudeurs. Ces derniers étaient condamnés à des peines plus ou moins sévères, certains d’entre eux pouvant être immolés avec leur production. (1)

Au XIVe siècle, durant le règne d’Édouard III, l’Angleterre devient un producteur de safran européen de premier plan. On le trouve tout d’abord dans les régions côtières de l’est de l’Angleterre, puis il est rapidement cultivé à travers tout le pays, mais pas pour très longtemps. En effet, c’est seulement dans les terres claires, bien drainées et calcaires, de la campagne au nord de l’Essex que cette culture a survécu pendant la période du Moyen Âge. Ensuite, des sentiments puritains grandissants et des nouvelles conquêtes à l’étranger compromettent l’usage et la culture du safran anglais, les puritains influents étant partisans d’une nourriture plus austère, simple, et non épicée. Parallèlement, l’afflux d’épices en provenance d’Orient concurrence le safran local. De plus, on a besoin de nouvelles terres pour cultiver le maïs et la pomme de terre fraichement introduits en Europe. Et enfin, ceux qui faisaient commerce du safran s’intéressent dorénavant à de nouveaux produits exotiques tels que le chocolat, le café, le thé et la vanille. Pour toutes ces raisons, la culture du safran déserte l’Angleterre. Le déclin du safran anglais se prolongera tout au long du XVIIe siècle et jusqu’à l’aube de la Révolution industrielle. On ne le retrouve plus que dans le sud de la France, de l’Italie, et de l’Espagne, pays dans lesquels il fait partie intégrante des cultures locales. (1)

Mais revenons en France. La première ordonnance régulant le commerce du safran est rendue à Blois le 18 mars 1550. Le Livre du Safran, publié à Poitiers en 1568, indique que les Allemands achètent chaque automne du safran en Charente pour une valeur de cent mille livres tournoi. En 1698 un édit de Louis XIV en autorise la récolte. Plus tard, une lettre patente du roi de France, en date de 1772, indique que des inspecteurs du safran seront nommés dans quinze villes, parmi lesquelles Rouen, Orléans, Pithiviers, Dijon, Avignon, Albi, Cahors, Angoulême. C’est dire à quel point la culture du safran était bien implanté. En 1789, les archives indiquent que le Gâtinais avait produit 30 000 kg de Safran. En 1869, il s’en produisait encore 10 000 kilos… Une lettre du préfet du Vaucluse en 1808 parle de « la supériorité du safran à la mode d’orange pour la région de Carpentras ». Ce n’est que vers 1850 que le Gâtinais prendra le dessus. Le safran du Gatinais gagna rapidement un renom international, et pendant les deux siècles suivants les cours mondiaux de cette épice furent fixés sur le marché de Pithiviers. (1)

Pendant plus de cinq cents ans, la France a donc été un producteur de safran important. Voilà qui explique pourquoi le deuxième Vendémiaire (correspondant au 23 septembre dans le calendrier révolutionnaire en usage de 1792 à 1808) s’appelait « Safran », date correspondant à l’apparition fréquente des premières fleurs.

La culture du safran renaît en France

La culture safranière va nettement ralentir avec la révolution française et pratiquement disparaître avec les hivers rigoureux de la fin du XIXe siècle. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, et à cause de l’exode rural, que les safranières disparaîtront totalement… sans pour autant déserter totalement des jardins du Périgord noir et du Quercy. Difficile d’imaginer qu’une culture dont la production pouvait se compter en tonnes ait pu disparaître en quelques années seulement au tout début du XXe siècle ! L’arrivée des colorants chimiques y est également pour quelque chose… Mais l’histoire du safran produit en France n’est pas fini pour autant… En effet, aujourd’hui, un renouveau semble se dessiner avec une production française grandissante se répartissant sur de nombreuses régions : Bourgogne, Poitou, Charentes, Centre, Provence, Alpes, Midi-Pyrénées, Sud-Ouest. Chez nous, les régions de production se concentrent en Périgord Noir, aux abords des vallées du Lot et du Célé (Causses du Quercy, Bouriane, Quercy Blanc jusqu’au Bas Quercy), ainsi que dans le Rouergue.

Actuellement, la France produit une dizaine de kilos de safran d’excellente qualité… mais elle en importe plusieurs tonnes – dont la grande majorité est frelatée d’ailleurs !


Notes :

Crédit Photos :

  • Cueilleurs de safran dans une exploitation de la province de Khorasan-e Razavi (Iran), By Safa.daneshvar (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Un détail de la fresque des « Cueilleurs de Safran », sur un mur de l’édifice Xeste 3, via Wikimedia Commons, Public domain.

LE SAFRAN DU PÉRIGORD

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