C’est au XVIIIe siècle que naquit la fraise moderne, lorsqu’un botaniste au nom prédestiné, Antoine Amédée Frézier, greffe sur nos vieux fraisiers sauvage d’Europe, des plants du Nouveau Monde. Depuis, les variétés résultant de ce croisement n’ont cessés de se multiplier ; on en recense aujourd’hui plus d’un millier.
Première fraise européenne à bénéficier d’un signe IGP, la Fraise du Périgord est cultivée en Dordogne depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, elle est considérée comme l’un des trésors gastronomiques de notre département. La Fraise du Périgord représente à elle seule un quart de la production française.
L’histoire de la fraise en Europe
Le mot fraise est dérivé du latin « fragare » qui signifie embaumer, en raison de son parfum qui, bien souvent, permet de la découvrir sous les feuilles qui la dissimulent.
S’il est généralement admis que nous mangeons la fraise des bois d’Europe (Fragaria vesca), depuis la plus haute antiquité, elle n’a été implantée dans les potagers qu’à partir du Moyen-Age. Pour ce faire, il suffisait de repiquer des stolons dans les jardins. Les Anglais, qui l’appréciaient tout particulièrement, avaient l’habitude de la pailler pour la protéger, hâter sa maturation et augmenter son rendement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils lui donnèrent le nom de strawberry, « baie de paille ».
On sait que la fraise est cultivée dans le Lot-et-Garonne au moins depuis le XVe siècle. En effet, des « carreaux de fraisiers » sont implantés dans la commanderie de Temple de Breuil, en Agenais (Temple-sur-Lot), à l’époque de Louis XI et Charles VIII, comme en atteste Le livre de raison de Bernard Gros, le commandeur. Le 28 mai 1622, lorsque Louis XIII déjeune à Marmande, « au jardin de Delage », on lui sert un souper à base de fraises. Toujours d’après le témoignage de son médecin, Jean Héroard, le soir même, à l’hostellerie des Trois Mores, son repas débute par des fraises au vin et au sucre puis fini par divers desserts dont une tourte à la crème et aux fraises. À cette époque, la fraise est déjà bien présente dans la gastronomie locale. (1)
Plus tard, vers 1678-1683, le célèbre jardinier et agronome Jean-Baptiste de La Quintinie, créateur du Potager du roi à Versailles (un jardin classé monument historique en 1926), en cultivait en abondance pour Louis XIV qui en raffolait. Grâce à ses cultures sous serres et sous châssis, La Quintinye réussit même le tour de force de produire des fraises dès le mois de mars. À la fin du XVIe siècle, Jacques Cartier introduisit en France ce que les botanistes nommèrent « fraisiers de Virginie », Fragaria virginiana.
Frézier et les fraisiers
En 1714, à la faveur d’une mission de reconnaissance pour le compte du Roi Soleil, le Lieutenant Amédée François Frézier, féru de botanique, découvrit des fraisiers à gros fruits près de la ville de Conception au Chili. C’est avec le croisement de deux espèces, celle qu’il rapporta, Fragaria chiloensis (le fraisier du Chili) et Fragaria virginiana (le fraisier de Virginie, un autre fraisier d’Amérique), que fut obtenue la première fraise à gros fruits, la fraise-ananas (Fragaria grandiflora). De ce croisement naquit une nouvelle espèce baptisé fraisier ananas (Fragaria ananassae). Elle est à l’oigine des innombrables variétés que nous consommons ou cultivons aujourd’hui.
Esprit universel curieux de tout, Frézier préleva à Concepción (entre Valdivia et Santiago du Chili), et rapporta en France (en les arrosant quotidiennement, alors que l’eau douce était à bord de tous les voiliers en bois une denrée précieuse) cinq plants d’une nouvelle espèce de fraisier dite Blanche du Chili (la Fragaria chiloensis), à gros fruits blancs différents des fraises des bois alors connues en Europe. Pour remercier [les marchands malouins] de la ration d’eau supplémentaire qui lui avait été accordée quotidiennement, Frézier fit cadeau de deux plants de fraisier chilien aux frères Bruny, les armateurs (autre version : deux plants offerts à M. Roux de Valbonne, l’officier du bord chargé des réserves en eau), puis il en offrit un à Lepelletier de Souzy, remit un pied entre les mains d’Antoine de Jussieu, au Jardin Royal à Paris, et garda le dernier pied qu’il planta dans le jardin de sa propriété de Plougastel et qui se multiplia par croisement spontané. Les fraisiers transitèrent ensuite par le jardin botanique de Brest où Antoine de Jussieu venait d’être affecté. Les premiers essais d’acclimitation échouèrent car les plants rapportés étaient tous mâles et ne pouvaient fructifier, quelques plants furent ensuite cultivés (après croisement par le botaniste Antoine Nicolas Duchesne avec une espèce rapportée en Europe (Fragaria virginiana) à Plougastel à partir du milieu du XVIIIe siècle. (2)
On a retrouvé une lettre de Frézier à Antoine Nicolas Duchesne (1747-1827) auteur d’une « Histoire naturelle des fraisiers » : Amédée-François y décrit la fraise du Chili à son jeune correspondant botaniste, tout en convenant qu’elle est moins parfumée que les fraises des bois européennes : « On y cultive des campagnes entières d’une espèce de fraisier différent du nôtre par les feuilles plus arrondies, plus charnues et fort velues. Ses fruits sont ordinairement gros comme une noix, et quelquefois comme un œuf de poule. Ils sont d’un rouge blanchâtre et un peu moins délicats au goût que nos fraises des bois ». (2)
Le nom de Frézier est par une coïncidence extraordinaire une déformation du mot fraise : Julius de Berry, un de ses ancêtres, avait servi un plat de fraises des bois au roi Charles III le Simple à la fin d’un banquet à Anvers en 916, roi qui le remercia en l’anoblissant et lui donnant le nom de Fraise, qui se déforma en Frazer après émigration de la famille en Angleterre puis en Frézier, après que la famille fut revenue faire souche en Savoie. (2)
Les origines de la fraise en Périgord
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les variétés françaises traditionnelles sont dans un état peu enviables. Affectées par la virose, cultivées pendant des années sur les mêmes sols, elles sont d’une faible productivité. Vers la fin des années cinquante, les chercheurs commencent à sélectionner de nouvelles variétés, plus résistantes aux maladies, plus productives, sans pour autant négliger les qualités gustatives.
La fraise fait son apparition en Périgord vers 1895. Il s’agissait alors de gros fruits de variétés disparues. Elle s’est tout d’abord développée de façon limitée dans plusieurs micro-régions. On la trouve dans la région de Saint-Estèphe et sur la commune l’Église-Neuve-de-Vergt où elle a été introduite par des immigrés bretons, après la guerre de 1914-1918. À cette époque, des variétés aujourd’hui disparues sont cultivés entre les rangs de vignes, avant d’être vendue sur champ « à l’assiette » ou sur les marchés locaux, en paniers de 20 kilos.
Après la Seconde Guerre mondiale, de 1946 à 1950, sa culture s’organise et se développe tout d’abord sur les coteaux d’Eglise-Neuve-de-Vergt. Elle gagne ensuite la vallée de la Dordogne et le Bergeracois, mais elle s’installera principalement sur les coteaux boisés du Périgord Blanc (Périgord central et Ribéracois), là où les sols sont argilo-calcaires, légers, perméables et riches en humus. On la cultive en pleine terre sous des tunnels de plastique rayant le paysage.
Le grand boum de la fraise périgourdine viendra en 1954, lorsque M. Véchambre, un ancien courtier des halles de Paris, crée un gigantesque verger, à Chalagnac, au bord de la RN21 : « La Californie périgourdine ». Un grand élan venait d’être donné et bientôt d’importantes parcelles de forêt de châtaigniers sont défrichées. Peu après, un négociant, M. Maury, organise la collecte avec une camionnette, en se déplaçant dans les fermes tous les deux jours, voire quotidiennement si nécessaire. La production massive était lancée.
Notes :
- (1) (1) Les quatre saisons gourmandes d’Aquitaine, Éric Audinet, Éditions Confluences, 2008.
- (2) Amédée François Frézier , Wikipedia.
Crédit Photos :
- Fraise des bois, By Isabelle Nouvel (Own work) [CC0], via Wikimedia Commons.
- Relation du voyage de la mer du Sud aux côtes du Chili, du Pérou et de Brésil, fait pendant les années 1712, 1713 1714. Ouvrage enrichi de quantité de planches en taille-douce (1717) traduction anglaise publiée la même année (exemplaire de la bibliothèque patrimoniale de Gray (France), By Jeffdelonge (Own work) [Public domain], via Wikimedia Commons.
- Illustrations de Relation du voyage de la mer du Sud aux côtes du Chili et du Pérou fait pendant les années 1712, 1713, et 1714, N. Guérard, Amédée François Frézier, dess. ; Fonbonne, J-B Scotin, grav. ; Amédée François Frézier, La Fraise blanche du Chili (source Gallica BNF), By dess. ; Fonbonne, J-B Scotin, grav. (Bibliothèque nationale de France) [Public domain], via Wikimedia Commons.