Si un Périgordin vous parle de champignons avec émotions et chaleur, il s’agira toujours et uniquement de cèpes. Le propos sera plus détaché, désinvolte, anecdotique, voire méprisant si par hasard on vous entretient des autres espèces. Non pas qu’elles soient délaissées – on ne gâche pas en Périgord – et même certaines variétés comme la chanterelle, l’oronge ou la morille ont leurs amateurs attendris. Néanmoins « Le » champignon par excellence – après la truffe – c’est le cèpe et lui seul. (1)
En Périgord, le cèpe n’est pas un champignon comme les autres : sa cueillette est un rituel, un véritable phénomène social et culturel. Depuis fort longtemps déjà, il est considéré comme une véritable manne providentielle qui ne demande qu’à se baisser. Vendu habituellement entre 12 à 20 euros le kilo (exceptionnellement, jusqu’à 40 euros le kilo), on comprend qu’il soit une source de revenus appréciée des paysans et des retraités pour arrondir discrètement les fins de mois. Inutile de préciser que les périgourdins se disputent jalousement leurs « coins », et parfois de façon très « énergique » ! Pour protéger leurs terres, certains propriétaires forestiers surveillent donc les allées et venues des cueilleurs et installent même des caméras dans les endroits les plus convoités.
Pour bien comprendre cette notion de « coins », jalousement gardés, il faut savoir que le cèpe vit en symbiose mycorhizienne avec certaines espèces d’arbres — comme la truffe. Lors de la cueillette du cèpe, en apportant un soin tout particulier à n’enlever que la partie visible du champignon, le mycélium peut continuer à vivre sous terre. Et de ce fait, si les conditions météorologiques le permettent, on retrouvera des cèpes, tous les ans, exactement au même endroit ; à condition toutefois de se lever suffisamment tôt, la concurrence étant particulièrement rude dans les coins les plus réputés du département ! Pour cette raison, personne ne divulgue ses endroits de cueillette… de même que personne n’ose poser de questions à ce sujet ; ce qui n’empêche pas les histoires de champignons d’aller bon train, surtout la saison venue, tout comme les histoires de chasse d’ailleurs !
Les espèces de cèpes récoltées en Périgord
Parmi la quinzaine d’espèces de cèpes comestibles que l’on trouve en France, deux ont la faveur des gastronomes :
- Le Boletus edulis – cèpe de Bordeaux ou cèpe du Périgord – communément appelé gros pied (ou bien encore champignon à chapeau), se distingue des autres bolets par sa chair très ferme et blanche, son chapeau brun clair, son pied strié, trapu et charnu, en forme de tronc. Et comme tous les bolets, la face interne de son chapeau est tapissée de tubes plutôt que de lamelles, caractéristiques qui rappellent le « foin » ou la « barbe ». Le « Cèpe de Bordeaux » doit son nom aux récoltants Bordelais qui, autrefois, approvisionnaient les halles parisiennes et l’expédiaient également par bateau à destination de Londres, où il était particulièrement apprécié par le souverain britannique d’alors.
- Le Boletus aereus — cèpe bronzé — connu en Périgord sous le nom de « tête nègre » ou « tête noire », aisément reconnaissable à sa tête noire contrastant avec sa chair blanche, possède les mêmes caractéristiques que les autres représentants de la famille des bolets, mais il est généralement plus petit que le cèpe de Bordeaux, bien que des spécimens d’un ou deux kilos ne soient pas rares. C’est également le cèpe que les amateurs préfèrent en raison de son parfum musqué et de la remarquable fermeté de sa chair.
Deux autres espèces sont également récoltées, bien que beaucoup moins appréciées :
- Le Boletus pinophilus – cèpe des pins – à la tête couleur lie de vin. Il n’a pas grande saveur.
- Le Boletus aestivalis – cèpe d’été – brun pâle aux pores jaunes et au pied sombre.
Est-il besoin de préciser que, pour un Périgourdin, le cèpe local est de loin supérieur à celui que l’on trouve en Corrèze ou dans le Quercy voisin ! Faut-il alors s’étonner du fait que le cèpe de Bordeaux soit ici nommé « cèpe du Périgord » !
Le mot cèpe découle du gascon cep, lui-même issu du latin. Il signifie « tronc ». Ce qui illustre le caractère trapu de ce champignon fort d’une quinzaine de variétés. Quatre d’entre elles sont particulièrement recherchées. (2)
Notes :
Crédit Photos :
- Trois cèpes, by Michel Venot (Own work), via Wikimedia Commons.
- Steinpilz (14), by Thomas Pruß, via Wikimedia Commons.
- Naschmarkt Wien 2009, by Politikaner, via Wikimedia Commons.
- Daube de cèpes, by BocaDorada, via Wikimedia Commons.