Les bastides ne sont pas une exception périgourdine puisqu’elles maillent tout le sud-ouest de la France, de l’Atlantique au Languedoc. Surtout concentrées en Aquitaine et en Midi-Pyrénées, elles offrent un patrimoine original, tant urbanistique qu’architectural. Entre 1222 et 1373, le Sud-Ouest de la France a vu la fondation de près de quatre cents bastides, dont vingt-cinq en Périgord. Apparues à l’occasion d’un mouvement d’urbanisme européen, elles s’inscrivent dans la continuité des sauvetés et des castelnaus, formant non seulement un réseau économique dense, mais aussi un réseau dissuasif d’appuis stratégiques.
En Périgord, les bastides occupent principalement le sud du département, en raison de la proximité de l’Agenais devenu théâtre de rivalités franco-anglaises. En effet, suite au mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec le Henri Plantagenêt, futur roi d’Angleterre, les seigneurs locaux avaient bien des difficultés à affirmer leur autorité, entre le roi d’Angleterre devenu duc d’Aquitaine et le roi de France qui voulait étendre son influence. C’est à Alphonse de Poitiers, frère du roi de France, que revient l’initiative des premières créations de bastides sur les confins du Bergeracois, là où la suzeraineté du roi Plantagenêt trouvait ses limites. (1)
Le Périgord étant tombé dans le giron anglo-saxon, il est logique qu’il y ait beaucoup plus de bastides anglaises que françaises dans cette partie du Sud-Ouest, soit onze bastides commandées par le roi d’Angleterre, à savoir, Beaumont-du-Périgord, Beauregard-et-Bassac, Fonroque, Lalinde, Molières, Monestier, Monpazier, Puyguilhem, Roquepine, Saint-Barthélémy de Bellegarda et Villefranche-de-Lonchat. Trois autres étaient des bastides comtales, c’est-à-dire construites par un comte : Bénévent, Saint-Aulaye et Vergt. Enfin, les bastides françaises, c’est-à-dire commandées par le roi de France, n’étaient que quatre : Domme, Eymet, Saint-Louis-en-l’Isle et Villefranche-du-Périgord.Il est également logique de retrouver la plus forte densité de bastides au sud du département, entre la Dordogne et le Dropt, puisque c’est là que se situe la frontière – certes très fluctuante – entre les possessions anglaises et françaises. Au nord du département, entre la Dordogne et la Dronne, zone moins sensible, les implantations sont nettement plus clairsemées.
En Périgord, ce sont donc vingt-cinq bastides qui furent créées, ce qui est une bonne moyenne par rapport aux autres départements. Précisons tout de même que seules dix-huit fondations ont été authentifiées avec certitude. Elles ont toutes été édifiées entre la Guerre des Albigeois et celle de Cent Ans, soit dans un laps de temps relativement bref, une cinquantaine d’années environ : la première, Villefranche-du-Périgord, fut construite en 1261, la dernière, Saint-Barthélémy, en 1316.
La majorité de ces bastides prospéra. Le dénombrement de 1365 – initié par le prince Noir – attribuait 230 feux à Beaumont, 205 à Domme, 282 à Eymet et 315 à Monpazier, soit une population de l’ordre de 1 000 à 2 000 âmes, à une époque où les grandes villes ne comptaient que quelques dizaines de milliers d’habitants. À titre indicatif, en 1300, à Toulouse, on en dénombrait entre 30 et 35000, 30 000 à Bordeaux, et 5 000 à Agen, Périgueux et Bayonne. Toutefois, malgré les avantages offerts, bien des bastides se peuplèrent lentement et avec difficulté. À Monpazier, par exemple, l’occupation fut lente puisque six ans après la création, des amendes sanctionnèrent des retardataires qui s’étaient engagés à bâtir leurs maisons dans les délais imposés. Certaines connurent même l’échec, comme Puyguilhem, Monestier, Roquepine, Goyran, Bonneval. Quelques tentatives plus tardives avortèrent, comme celles de Beaulieu et Pépicou (on parle alors de « bastide avortée »). En fait, seulement seize arrivèrent véritablement à maturité.
Les bastides ont véritablement et profondément changé les conditions de vie des paysans. Elles leur ont offerts la paix, la sécurité, la liberté et un environnement adapté à leurs besoins. Le site lui-même est étudié pour répondre aux nécessités élémentaires : bon terroir, proximité d’un point d’eau et de voies de transports. L’organisation de l’espace et du bâti est conçue pour faciliter l’exploitation de la terre et pour stimuler les échanges. Les nouveaux colons sont souvent des agriculteurs et des éleveurs. Mais avec le temps, commerçants, boulangers, bouchers, épiciers, poissonniers, taverniers artisans, maçons, charpentiers, tisserands, mégissiers, forgerons, se font plus nombreux. (1)
LES BASTIDES DU PÉRIGORD QUI ABOUTIRENT
Bastide | Fondateur(s) | Date de Fondation | |
---|---|---|---|
BEAUMONT-DU-PÉRIGORD | Bastide anglaise | Édouard Ier. Réalisation de Luc de Thaney | 1272 |
BEAUREGARD-ET-BASSAC | Bastide anglaise | Édouard Ier. Créée par Jean de Grailly | 1286 |
BÉNÉVENT | Bastide comtale | Philippe le Hardi avec Archambaud III comte de Périgord | 1270 |
DOMME | Bastide française | Philippe le Hardi, sénéchal de Périgord. Paréage avec Guillaume de Domme. Créée par Simon de Melun | 1281 |
EYMET | Bastide française | Alphonse de Poitiers | 1270 |
FONROQUE | Bastide anglaise | Édouard Ier | 1284 |
LALINDE | Bastide anglaise | Jean de Lalinde pour le roi d’Angleterre | 1267 |
MOLIÈRES | Bastide anglaise | Édouard Ier. Fondation entreprise par Jean de Grailly. Paréage avec l’abbaye de Cadouin | 1284 |
MONESTIER | Bastide anglaise | Des officiers Édouard Ier | vers 1284 |
MONPAZIER | Bastide anglaise | Édouard Ier. Réalisation par Jean de Grailly avec Pierre de Gontaut, seigneur de Biron | 1284 |
SAINT-AULAYE | Bastide comtale | Édouard Ier | 1288 |
SAINT-BARTHÉLÉMY-DE-BELLEGARDE | Bastide anglaise | Édouard II | 1316 |
SAINT–LOUIS-EN-L’ISLE | Bastide française | Philippe le Bel | 1308 |
VERGT | Bastide comtale | Édouard Ier avec Archambaud III comte de Périgord | 1285 |
VILLEFRANCHE-DE-LONCHAT | Bastide anglaise | Philippe le Bel | 1287 |
VILLEFRANCHE-DU-PÉRIGORD | Bastide française | Alphonse de Poitiers, aidé de Guillaume-de-Bagneux, sénéchal d’Agenais | 1261 |
LES BASTIDES DU PÉRIGORD QUI SE PEUPLÈRENT AVEC DIFFICULTÉ
Bastide | Fondateur(s) | Date de Fondation | |
---|---|---|---|
MONESTIER (La Bastide-de-Monestier) | Bastide anglaise | Des officiers Édouard Ier | vers 1284 |
PUYGUILHEM | Bastide anglaise | Henri III, sur des terres cédées par plusieurs seigneurs locaux | 1265 |
ROQUEPINE | Bastide anglaise | Édouard Ier | 1283 |
SAINT-BARTHÉLÉMY-DE-GOYRAN | Bastide anglaise | Édouard II avec Amaury de Créon, sénéchal | vers 1316 |
SAINTE-EULALIE-DE-PUYGUILHEM | Bastide anglaise | — | 1265 |
LES BASTIDES DU PÉRIGORD QUI AVORTÈRENT
Bastide | Fondateur(s) | Date de Fondation | |
---|---|---|---|
BEAULIEU | — | — | 1284 |
BONNEVAL | Bastide comtale | — | 1324 |
CASTELRÉAL | — | — | |
CHASSAING | Bastide comtale | — | vers 1360 |
PÉPICOU | — | — | — |
Qu’appelle-t-on bastide ?
Le terme de « bastide », qui provient du mot bastida, utilisé aussi bien en latin médiéval qu’en langue d’oc, vient d’un verbe signifiant « bâtir ». Son sens a varié au cours des siècles, comme l’indique Violet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture. À l’origine, il désigne une tour en bois que les assaillants plaçaient contre des murailles afin de mieux assiéger une forteresse. Plus tard, ce mot désigne une construction provisoire, toujours en bois, destinée à renforcer une partie faible de l’enceinte. Puis ce mot prend un sens très large : il désigne une construction récente ou en cours, de quelque importance Ouvrons une parenthèse avant de la refermer très vite : aujourd’hui, le mot « bastide » désigne, en Provence, une demeure campagnarde. Mais sa signification la plus importante est celle qu’on lui a attribuée au Moyen-Âge pour désigner les villes nouvelles fondées pour le compte du roi de France ou d’Angleterre au cours des XIIIe et XIVe siècles. Dès cette époque, on trouve en effet dans les actes officiels la mention bastida seu villa nova (bastide ou village neuf) et bastida sive populationes (bastide ou centre de peuplement). (1)
Il est d’usage de qualifier les bastides de « villes nouvelles ». Villes nouvelles, elles le sont puisqu’elles marquent la rupture avec la cité médiévale organisée autour d’un château, d’une abbaye ou d’une église. Pour obtenir le statut de bastide, il faut en effet obéir à des critères stricts. D’abord et avant tout, la bastide est une création artificielle, a novo, c’est-à-dire surgie de terre dans une zone dépourvue de constructions antérieures. En règle générale, il ne s’agit pas d’un regroupement spontané d’habitants qui trouvent à un endroit donné des conditions d’installation favorables. C’est une vraie ville nouvelle qui concrétise la volonté d’un ou plusieurs seigneurs de rassembler des populations pour exploiter la terre. (2)
L’historien Félix de Verneilh (1820-1864), archéologue périgourdin, définit les bastides comme : « …des villes neuves bâties tout d’un coup, en une seule fois, sous l’empire d’une seule volonté… ». Alcide Curie-Seimbres (1818-1885), historien des villes médiévales, précise cette définition : « Les bastides furent toutes fondées a novo, d’un seul jet, à une date précise, sur un plan préconçu, généralement uniforme, et cela dans la période d’une centaine d’années (1250-1350) ». (3)
Aujourd’hui, on sait que les bastides ne sont pas toujours des fondations a novo. C’est ainsi qu’en Périgord, elles s’établirent le plus souvent dans des terroirs anciennement peuplés et structurés, qu’elles ne firent que remanier. C’est le cas de Beaumont qui a été fondé sur un emplacement où se trouvaient déjà quelques constructions ; celles-ci ont été incorporées au nouveau village.
Quoi qu’il en soit, que la nouvelle agglomération ait été entièrement nouvelle ou qu’elle ait englobé un noyau plus ancien, il y a toujours une volonté manifeste du fondateur de bâtir une cité nouvelle. D’ailleurs, cette volonté était clairement actée par des chartes de divers types. (1)
Sources :
- (1) Jacques Dubourg, Histoire des bastides, les villes neuves du Moyen-Âge.
- (2) Claudine Roland, Bastides et autres villes neuves du Moyen-Âge.
- (3) Wikipedia, Bastides (ville).
Crédit Photos :
- Domme, une très belle bastide du Périgord, By Ghezoart (Own work), via Wikimedia Commons.
- Le plan d’un quart de la place de la bastide de Monpazier, la plus belle bastide du Périgord, considérée par Viollet-le-Duc comme la bastide « modèle » parmi les 350 à 400 bastides du Grand Sud-Ouest, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Eugène Viollet-leDuc.