Quand un seigneur seul crée une bastide, on parle d’un acte de fondation. Mais, dans la plupart des cas, il s’associe avec d’autres, ou sollicite la participation d’une autorité suzeraine garante de l’ordre public : le roi, souvent représenté par son sénéchal, ou un grand féodal. Le suzerain y trouve son compte puisqu’en plus des bénéfices en espèces, il a ainsi l’occasion d’étendre son influence. Un contrat de partage précise les limites du territoire de la bastide, la taille des parcelles, les charges et, surtout, les revenus que se partageront les associés. La création d’une bastide permet aussi de mieux contrôler la population et de combattre l’insécurité en délogeant les brigands des fortes défrichés. (1)
Avant même de commencer la construction d’une bastide, il fallait planifier de nombreuses opérations qui se déroulaient selon un processus précis qui pouvait s’échelonner sur plusieurs années.
Une enquête préalable permettait d’une part de s’assurer de la validité des titres de propriété, et d’autre part de rechercher l’avis de personnages compétents capables d’apprécier la faisabilité et la pertinence du projet. Un compte-rendu d’enquête était rédigé et des réunions plénières étaient organisées avant d’arrêter une décision.
Première étape : le choix du site
Le choix était dicté par les considérations d’ordre économique, politique et stratégique que nous avons évoqué précédemment. Toutefois, dans certains cas, et lorsqu’il s’agissait de terrains cédés, le lieu était imposé. Le choix pouvait également être restreint lorsque la bastide venait renforcer un centre de peuplement déjà établi, comme ce fut le cas à Beaumont-du-Périgord. Mais la plupart du temps, le choix exact du lieu s’effectuait librement.
Quand l’aspect militaire primait, les caractéristiques topographiques devenaient importantes. Souvent, le choix se portait alors sur des hauteurs. Lorsque l’aspect économique l’emportait, on choisissait de préférence des sites placés sur de grands axes de circulation terrestre ou fluviale, parfois les deux comme à Lalinde.
Deuxième étape : l’acquisition des terrains
Le choix du site, une fois décidé, une enquête minutieuse et approfondie sur la propriété effective du foncier était effectuée, une étape indispensable pour éviter toute contestation ultérieure.
Trois cas de figure se présentaient pour l’acquisition des terrains :
- Dans de très rares cas, le fondateur était propriétaire des lieux, ce qui facilitait les choses.
- On avait le plus souvent recours à des contrats d’association dits de paréage ou pariage, appelée aussi parragium, terme évoquant la notion de partage, en l’occurrence celle de l’usufruit. C’était en effet un contrat officiel de répartition des revenus entre l’autorité fondatrice — généralement, un seigneur ou une abbaye — et le propriétaire des terrains. L’exploitation du domaine devait se faire en commun, les charges et les bénéfices étant généralement répartis équitablement. Cependant le contrat de paréage ne fixe pas le statut des forêts et pâturages autour de la ville. Il était signé devant notaire.
- Certains fondateurs – ce fut le cas d’Alphonse de Poitiers – préféraient obtenir cession des terres récupérées plutôt que de signer un paréage.
Troisième étape : le cérémonial
Une cérémonie officielle appelée fixatio pali donnait le coup d’envoi au rituel de construction. À cette occasion, un mât appelé « pal » était planté sur la future place de la bastide, pour proclamer officiellement sa création. Il portait les armoiries du fondateur et marquait ostensiblement la prise de possession de la nouvelle fondation. Il est vraisemblable que le clergé bénissait l’emplacement.
À ce propos, l’acte de paréage de Trie (Hautes-Pyrénées) précisait que « la communauté entre le roi et les pariers existerait à partir du jour où le pieu serait planté en signe de la nouvelle bastide, comme il est d’usage constant dans toutes les nouvelles bastides de la sénéchaussée de Toulouse ».
Suivait alors la preconisatio ou proclamation des avantages au cours de laquelle on lisait à haute voix la charte de communes. Pour informer les absents ou les indécis, les crieurs publics parcouraient ensuite la campagne munis d’un document sur lequel figuraient les franchises et autres avantages promis.
Quatrième étape : le marquage du tracé au sol
Des « arpentins » dessinaient le contour de la bastide sous la surveillance d’officiers royaux, tel Bertrand de Panissals qui, en Périgord, dirigea la création de plusieurs bastides, dont celle de Monpazier, l’une des plus parfaites qui soit. Cette opération est ainsi décrite dans un document se rapportant à la fondation de Villefranche-d’Astrac : « …à un jour fixé, la bastide est dessinée sur le sol, au cordeau, dans tous ses détails : ses rues droites, parallèles et perpendiculaires les unes aux autres, aboutissent les unes aux autres et laissent au milieu de la place un vaste quadrilatère… ». Pour matérialiser le tracé, on plaçait des bornes, on creusait des fossés, et parfois, on dressait une palissade en bois pour délimiter le contour. Généralement, un procès-verbal d’arpentage officialisait le partage.
Cinquième étape : la division du terroir
Il s’agissait de diviser le terroir en lots égaux affectés à des vocations différentes.
Près du centre, il y avait tout d’abord les terrains à bâtir d’environ 8 mètres sur 20 (8 m sur 24 à Beaumont) destinés aux habitations. Ils étaient le plus souvent désignés sous le terme de localium. Leur superficie était suffisante pour aménager une cour et des dépendances. Suivant leur importance, les bastides en comptaient entre 200 et 1000.
Un peu plus en retrait, mais toujours à l’intérieur de l’enceinte, il y avait ensuite les jardins, généralement appelés « cazals » ou « cavalières » ou bien « courlis » lorsqu’il s’agissait d’un potager. Bien souvent, il y en a autant que de maisons. Leur superficie variait de cinq à sept ares.
À l’extérieur de l’enceinte, ils y avaient les terres agricoles, d’une superficie d’environ cinq à six hectares.
Sources :
- Jean Dubourg, Connaître les bastides du Périgord, Éditions Sud Ouest, Luçon, 1993.
- Jean Dubourg, Histoire des bastides, Éditions Sud Ouest, Luçon, 2002.
- Serge Maury et Michel Combet, Dordogne Périgord, Éditions Bonneton, Paris, 1993.
Crédit Photos :
- Place de la bastide de Monpazier, By GO69 (Own work), via Wikimedia Commons.