Préparer et cuire la Châtaigne

On les mangeait aussi bouillies dans une eau (quelque fois, c’était dans du lait – version bourgeoise de la recette !) à laquelle on avait ajouté de l’anis étoilé. François Mauriac, dans Commencement d’une vie, évoque « ces matins d’automne où (…) de vieilles femmes vendaient des “castagnes bouillies tout caou” qui donnaient à la brume une odeur d’anis ». (1)

Le pelage des châtaignes

Aujourd’hui, les châtaignes que vous achetez dans le commerce sont pelées de manière mécanique, mais voici la méthode classique que vous pouvez utiliser très simplement, chez vous :

Avant de faire cuire les châtaignes à l’eau, il faut tout d’abord inciser circulairement le péricarpe, la partie bombée de la peau, à l’aide d’un couteau bien aiguisé. On peut également effectuer un pré-séchage des châtaignes afin de rétracter légèrement l’amande et faciliter le décollement de la deuxième peau, le tan. Ensuite, on les ébouillante environ 3 minutes, puis on les passe sous un jet d’eau froide. Une simple pression du doigt suffira à dégager le fruit de ses deux peaux, péricarpe et tan. Si la seconde peau résiste, on réitère l’opération. Une cuillerée d’huile ajoutée dans l’eau de cuisson assouplira son écorce et facilitera cet épluchage. Il est préférable d’enlever cette seconde peau en raison de son goût amer et astringent.

La méthode traditionnelle pour « déboirer » les châtaignes

Jadis, les châtaignes étaient mises à bouillir dans l’ole, une marmite en fonte noire, à col étroit, que l’on suspendait à la crémaillère, sur le feu dans la cheminée. L’eau chaude assouplissait la première peau qui se séparait plus facilement. Pour enlever la seconde peau – appelé tan en raison de la richesse en tanin – on utilisait un instrument en bois, à forme de ciseaux, constitué de deux tiges de bois de 30 à 40 centimètres de longueur, de la grosseur d’un manche à balai, le bouéradour (encore appelé boueïradou ou escuradour). Ce mot, utilisé en Limousin et dans le nord du Périgord, dérive du terme patois « déboirer » qui signifie débourrer de son enveloppe. Les deux baguettes du bouéradour étaient assemblées en leur centre par une vis assez lâche pour permettre un mouvement de cisaillement, et leurs bois étaient cochés d’entailles dans leurs parties inférieures. En écartant ces baguettes, l’instrument a alors la forme d’une croix. C’est en tournant vigoureusement cet instrument, baguettes écartées, dans l’ole où se trouvent les châtaignes ébouillantées et dégagées de leur première écorce que la seconde peau se détachait facilement. Voici la description complète de la méthode traditionnelle utilisée en Périgord pour préparer et cuire la châtaigne :

À la veillée, on s’occupe à peler toutes les châtaignes qui doivent être mangées le lendemain. Cette opération est longue… La seconde opération a pour but d’enlever la pellicule rougeâtre qui se trouve sous l’écorce brune. Voici comment on y parvient. On place des châtaignes simplement pelées dans une marmite de fonte qui est à peu près sphérique au fond et qui peut se termine par un collet droit et cette forme particulière est essentielle au succès de l’opération : on fait chauffer la châtaigne dans un peu d’eau, jusqu’à ce que la pellicule s’enlève aisément. Mais il ne faut pas que la cuisson soit assez avancée pour que les châtaignes puissent se laisser écraser par le frottement qu’il faut bien leur faire éprouver pour les débarrasser de leur dernière enveloppe. En effet, après avoir retiré la marmite du feu, on introduit dedans deux bâtons croisés couverts de petites entailles et réunis en leur milieu d’un clou en forme de croix de Saint-André et quand les deux branches inférieures sont introduites, on fait tourner de gauche à droite et de droite à gauche… de manière à bien faire frotter les châtaignes chaudes les unes contre les autres, puis contre le bâton de bois nommé escuradour et contre les parois de la marmite.

Et après avoir tourné et retourné l’escuradour pendant quelques minutes, on renverse les châtaignes dans une espèce de crible, on les agite et on achève ainsi de les blanchir ; alors quand l’opération a été bien faite, elles sont parfaitement dépouillées de leur pellicule, elles sont blanches et appétissantes et ne demande plus qu’à être cuites, et c’est la dernière période de l’opération, voici en quoi elle consiste : après avoir mis au fond de la même marmite quelques feuilles de maïs, on recuit les châtaignes sur le feu en ayant souci de les recouvrir d’un tampon de linge qui s’oppose à la sortie de la vapeur que la petite quantité d’eau contenue dans la châtaigne produit. Quand cette vapeur est parvenu jusqu’au tampon de linge, on dit que la chaleur est à sa place et alors les châtaignes sont cuites. Cette petite opération assez longue à décrire et assez difficile à bien faire épargne beaucoup de temps aux domestiques et aux ouvriers qui doivent déjeuner avec, car les châtaignes ainsi préparées se mangent avec la plus grande facilité, tandis que si on les servait encore enveloppées de leur peau brune, cela demanderait beaucoup trop de temps et ne pourrait véritablement être donné comme nourriture à des hommes si lents et si longs à manger. – Extrait de l’enquête du préfet Cyprien Brard, 1835. (2)

Dans le sud du Périgord, le bouéradour était appelé ruffadou (ou rufadou) et l’ole, oule (ou ola) ; on parlait alors de châtaignes « rufées » :

LES CHÂTAIGNES RUFFÉES — Encore, dans notre campagne, on peut voir, le soir au cantou, un vieux qui pèle les châtaignes. À côté de lui, un petit aligne quelques marrons devant la braise après avoir ôté un morceau de peau pour éviter qu’ils n’éclatent. Le vieux garnit le toupie (une marmite en fonte parfois sur pieds), de châtaignes pelées que la vieille, le lendemain, ébouillantera pour le ruffadou : après que l’on ait ôté la première peau des châtaignes, on les ébouillantait puis à l’aide du ruffadou, ustensile sommaire en bois, une sorte de X mobile, on les brassait et agitait pour les débarrasser de leur deuxième peau. « Allons, lève-toi, Franco, l’angélus sonne à l’église, attrape donc le ruffadou et fais leur danser la bourrée ! ». Une indicible odeur embaume toute la maison et me fait sauter du lit ! « Vois, elles sont cuites, et sur le crible, les châtaignes ruffées fument encore. Je ne connais pas de meilleur déjeuner pour le plus riche des châtelains ! ». — Le soir au Cantou, Docteur Boissel. (3)

Il n’y a pas si longtemps, la châtaigne blanchie ou ruffée se mangeait quotidiennement, aussi bien à la table des riches que des pauvres, à la ville comme à la campagne.

Comment faire cuire les châtaignes ?

Châtaignes cuites à l’eau

Cuites à l’eau bouillante, on dit alors que les châtaignes sont « blanchies » ou ruffar, en raison de leur couleur blanche, une fois débarrassées de son tégument. Pour faire cuire des châtaignes à l’eau, il est préférable de les éplucher au préalable, comme indiqué précédemment. Après cette préparation, toujours un peu fastidieuse, plongez-les dans une casserole (ou, pour les grosses quantités, une cocotte haute) remplie d’eau avec une ou deux pincées de sel, et laissez-les bouillir à petit feu, pendant 20 à 30 minutes. Ensuite, égouttez-les et séchez-les dans une serviette.

REMARQUES :

  1. L’autocuiseur ayant tendance à ramollir la châtaigne, préférez la cocotte ou la casserole pour faire cuire vos châtaignes.
  2. Si l’on veut remettre à plus tard l’épluchage des châtaignes, il faut au minimum les inciser.
  3. Si vous envisagez d’utiliser vos châtaignes avec des préparations salées, vous pouvez les parfumer délicatement, en ajoutant dans votre eau de cuisson une branche de fenouil ou une feuille de figuier. Pour les préparations sucrées, n’utilisez que très peu de sel et n’ajoutez rien de plus.

Une fois épluchées, vous pouvez également préparer une purée de châtaignes, en les faisant cuire dans du lait froid pendant une demi-heure. Après quoi, passez-les au presse-purée et, ensuite, assaisonnez-les de beurre ou de crème fraîche. On peut également y ajouter de l’anis étoilé.

Pour accompagner viandes blanches et volailles, faites-les doucement revenir dans un peu de beurre.

LES CHATAIGNES BLANCHIES – Vous enlevez la première peau de belles châtaignes (ne pas employer de marrons) et vous les plongez pendant dix minutes dans l’eau bouillante. Quand elles sont refroidies, avec un écorchoir spécial qu’on trouve dans le pays, vous débarrassez vos fruits de la seconde pellicule pelucheuse. Vous les mettez ensuite dans une « aoule », comme on dit en Périgord, et qui est simplement une marmite, en ayant soin de disposer dans le fond un lit de pommes de terre pour que les châtaignes ne s’attachent pas et vous les faites cuire une seconde fois à la vapeur. Vous mangez ensuite vos châtaignes écrasées avec du beurre frais. – La France Gastronomique, Curnonsky et Marcel Rouff, 1921. (4)

Chestnut-la-reine-des-chataignes

Châtaignes grillées

Pour éviter que les châtaignes n’explosent, il est indispensable de leur inciser la peau dans la longueur de la base plus claire et plus tendre de la châtaigne, d’un geste bien assuré, à l’aide d’un couteau bien aiguisé. Cette méthode est plus efficace que la technique consistant à entailler d’une croix le dessus de la châtaigne.

Après avoir préparé un bon feu dans votre cheminée, mettez vos châtaignes incisées dans une poêle trouée sur de la braise éteinte. Ne la mettez pas en contact avec la flamme, les châtaignes brûleraient sans cuire. Avec le pique-feu, agitez-les jusqu’à ce que l’écorce commence à se fendiller, ou bien, faites-les sauter dans la poêle. Vérifiez, sous la pression des doigts, que le fruit se dégage bien de l’écorce. Puis, passez-les à la flamme vive, guerre plus d’une minute…

Et si vous ne possédez pas de cheminée ? Placez vos châtaignes dans le four de votre cuisinière, sur une plaque de cuisson à rebords (si possible une plaque trouée, type plaque à pizza), jusqu’à ce qu’elles commencent à noircir légèrement. Veiller à ce qu’elles ne se chevauchent pas. Remuez de temps en temps pour que la cuisson soit bien régulière. Ceux qui possèdent une cheminée les feront griller dans une poêle spéciale, dont le fond est troué. Remuez-les de temps à autre pour éviter qu’elles ne brûlent.

Plaisirs simples, plaisirs modestes, comme une dizaine de marrons grillés, dans un cornet de papier journal confectionné en un tour de main, que l’on proposait pour quelques francs, au coin des rues de Paris. (1)

On peut également griller ses châtaignes à l’ancienne. Pour cela, il vous faut une poêle à trous avec un long manche et un feu. On peut également utiliser un diable à châtaignes traditionnel en tôle d’acier, fermé, afin de pouvoir le retourner et ainsi garantir une cuisson optimale. Un volet d’ouverture latérale permet d’accéder aux châtaignes. Il donne ainsi une dorure et un croustillant sans pareil aux châtaignes et marrons.

ASTUCES :

  • Pour vérifier la cuisson : placez une châtaigne non incisée parmi les autres. Lorsqu’elle explosera, ce sera le signe que vos châtaignes sont cuites.
  • Pour les rendre plus moelleuses et plus faciles à éplucher : une fois grillées, enveloppez les châtaignes encore chaudes sous un torchon humide – ou dans du papier journal – et laissez-les ainsi transpirer environ dix minutes. Plus simplement, vous pouvez – après la cuisson – les transférer dans un plat froid. Leur épluchage sera plus facile.
  • Pour faciliter l’épluchage : n’attendez pas qu’elles refroidissent, mais veiller tout de même à ne pas vous brûler les doigts !

Châtaignes sous la cendre

Sélectionner les châtaignes bien rondes et les plus grosses. À l’aide d’un couteau les inciser tout autour. Les placer sous la cendre chaude. Les surveiller jusqu’à ce qu’elles soient grillées. Elles peuvent alors être dégustées, accompagnées d’un verre de vin blanc nouveau. (1)

Dans le cantou pour occuper les soirées d’hiver, cachez les viroles incisées sous les cendres brûlantes. Comme un éclat de rire une châtaigne éclate, projetant cendre chaude et pulpe. C’est le signal. Vous pouvez bientôt dégager les fruits avec les pincettes et les servir avec le jus de la cuve que l’on vient de couler.(5)

La purée de châtaignes

La purée de châtaignes est idéale pour accompagner les viandes rouges, les gibiers et les volailles. Voici la recette proposée par Zette Guinadeau-Franc, dans son livre Les Secrets des fermes en Périgord Noir : « Après les avoir écorcées, les blanchir par un quelconque procédé : avec le « rufadou » ou les émonder aux doigts comme des amandes ou encore, après avoir incisé écorces et tégument d’un même coup de couteau autour du fruit, les mettre dans une casserole d’eau bouillante. Après quelques minutes d’ébullition, retirez les deux peaux. Quel que soit le procédé employé, les cuire à l’eau salée ou à la vapeur, les passer finement, les travailler à la spatule en éclaircissant la purée avec du lait bouillant. Vérifier le sel, terminer avec un bon morceau de beurre ou une cuillerée de graisse d’oie ou de canard incorporée hors du feu. Excellent avec tout gibier, porc à la gelée de groseille, tout rôti, etc. » (5)


Notes et sources :

  •  (1) Les quatre saisons gourmandes d’Aquitaine, Éric Audinet, Éditions Confluences, juin 2008.
  •  (2) Extrait de l’enquête de Cyprien Brard de 1835, Dordogne Périgord, Michel Combet, Éditions Bonneton, Paris, 2004.
  •  (3) Le soir au Cantou, recueil de poésie patoises du Docteur Boissel (1872-1939).
  •  (4) La France Gastronomique, Guide des merveilles culinaires et des bonnes auberges françaises, Curnonsky et Marcel Rouff, Éditions Rouff, 1921.
  •  (5) Les Secrets des fermes en Périgord Noir, Zette Guinaudeau-Franc, Éditions Berger-Levrault, 1995.
  • La cuisine rustique au temps de Jacquou le Croquant, Guy Penaud, José Corréa, Éditions La Lauze, Périgueux, 2004.

Crédit Photos :

  • Châtaigne grillées, by Wouter Hagens (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Toma castaña, by Angel Abril Ruiz from Cehegín, via Wikimedia Commons.

LA CHÂTAIGNE DU PÉRIGORD

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