Le musette, entre cabrette et accordéon

Le « musette » est né fin XIXe, quartier Bastille, à Paris, de la rencontre de deux univers musicaux : celui de « la musette » (ou cabrette) des cabrettaïres auvergnats et celui des Italiens, joueurs d’accordéon.

Jusqu’à l’arrivée des Italiens, les Auvergnats avaient le monopole des bals populaires parisiens. La bourrée et le quadrille se dansaient alors principalement au son de la musette ou de la vielle, dans les arrière-cours des estaminets des faubourgs de Belleville, Montmartre ou Ménilmontant.

Vers 1895, passés maîtres dans la fabrication de l’accordéon diatonique, les Italiens immigrés bouleversent l’univers des bals populaires. En s’installant dans les quartiers auvergnats, ces amoureux de la musique et de la fête apportent un renouveau grâce à leur instrument, bien plus harmonieux que la musette. À l’époque, afin d’échapper à l’octroi, des guinguettes s’installent aux portes de Paris. On y sert « le guinguet », un petit vin qui chauffe les esprits et égaye les discussions entre amateurs de musette ou d’accordéon. Il n’est pas rare que cela finisse en pugilat ! Finalement, l’accordéon devient le roi du bal et les Auvergnats, troquant leur musette contre l’instrument des Italiens, participent à l’avènement du « bal musette ».

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La guerre de 14-18 met un terme aux manifestations festives qui reprendront au début des Années folles, vers 1920. La musique populaire évolue avec l’arrivée du jazz. La crise de 1929 et le krach de Wall Street mettent un frein à cette période d’insouciance

Entre 1930 et 1936, l’accordéon chromatique ouvre l’ère du style musette. La valse et la java, danses typiquement françaises, donnent l’élan et le tempo. Un peu plus tard, le paso-doble et le tango complètent le répertoire.

En 1940, l’occupation allemande pose un voile noir sur le pays. Les Français n’ont plus le cœur à festoyer sinon dans quelques bals clandestins, ici ou là… Il faut attendre la Libération pour que la France retrouve sa joie de vivre. C’est alors une véritable explosion des bals populaires ! L’accordéon donne le ton et devient l’instrument emblématique de la Libération. Ces moments de liesse marqueront à jamais la jeunesse libérée, une jeunesse dont l’enthousiasme contribue au prestige du musette et de l’accordéon… jusqu’à la fin des années cinquante.

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En 1956, le rock’n’roll envahit la France et le monde, bouleversant la mode, les mœurs et la musique, tout en creusant un fossé générationnel qui ne cessera de s’agrandir. Apportés par les G.I américains cantonnés en France, jeans et tee-shirts font leur apparition avec les premiers disques d’Elvis Presley. D’abord réservé aux initiés habitant à proximité des bases américaines, le rock’n’roll s’impose peu à peu auprès des jeunes, puis définitivement au début des années soixante avec l’arrivée du juke-box et du scopitone. Dans le même temps, Europe 1 produit la mythique émission « Salut les Copains » et son magazine éponyme. La rupture entre amateurs de musette et amateurs de rock est consommée.

Même s’il a fait le succès de l’accordéon, le musette a également participé à l’enfermer dans un style dont l’instrument a eu du mal à se défaire. Après avoir été rejeté par la jeunesse pendant des années, l’accordéon retrouve une place honorable grâce à la nouvelle chanson française. Renaud, Francis Cabrel, Patrick Bruel, Thomas Fersen et bien d’autres l’utilisent dans leurs compositions, tout comme avant eux Léo Ferré et Jacques Brel.

Aujourd’hui l’accordéon a gagné ses lettres de noblesse avec la musique classique et le jazz. Il compte de nombreux talents dont le grandissime Richard Galliano. Enseigné dans les conservatoires, il a reconquis un public : l’histoire de ce « piano à bretelles » est donc bien loin d’être terminée ! A contrario, même s’il survit encore, le style musette a perdu son aura en même temps que ses danseurs ! La musique anglo-saxonne l’a relégué au rayon de la musique fossile dont il aura du mal à s’extraire. Il est peu probable que les nouvelles générations, imprégnées de musique électronique, lui permettent un jour de redorer son image.

Christian Bourrier


Photos :

  • Bal musette de La Java, 105 rue du Faubourg-du-Temple, années 30 : Photo Albert Harlingue.
  • Le cabrettaïre, photo DR.
  • Bal du 22 rue au Maire à Paris (3e arrondissement), Maison Vidalenc, Photo DR.

Cet article a été publié dans le numéro 6 du magazine « Secrets de Pays ».

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