Il semble qu’une certaine tradition du cidre ait existé en Périgord. Après l’invasion des vignes par le phylloxéra, dans les années 1870-1880, l’économie est touchée, l’agriculture dévastée, le vignoble en Dordogne tombe de 107 000 à 21 800 hectares. Les habitants doivent faire face à la pénurie de vin… certains se tournent vers la production de cidre.
Une entreprise de battages de Pressignac-Vicq en témoigne qui proposait les services d’un pressoir ambulant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le Conservatoire variétal d’Aquitaine mentionne qu’en 1901, la Dordogne produisait 2 000 hectolitres de cidre, loin derrière la production viticole bien sûr. L’immigration bretonne dans le département, importante pendant la première moitié du 20e siècle, a-t-elle joué un rôle ? On peut le supposer.
Avec l’arrivée à maturité des plans hybrides résistants, le vin reprit peu à peu, tandis que le cidre survivait dans quelques exploitations.
L’aventure des frères Beauchamps à Pontours Haut : une belle histoire
Entourés de fidèles amis, Étienne et Georges Beauchamps cultivent ce savoir-faire : une tradition inédite en pays lindois.
Dès 1912, Pontours Haut crée sa première plantation de pommiers. Monsieur Beauchamps père produira un peu après la guerre, puis de manière épisodique par la suite.
Lorsqu’en 2006, Étienne et Georges décident de relancer la fabrication de cidre avec quelques amis et la contribution de donneurs de pommes voisins, il ne reste plus que de rares pommiers sur la propriété. Pas question de tirer quelque profit, on travaille pour le plaisir de faire et d’être ensemble. L’aventure humaine prime sur le rendement et la production est partagée ! Voisins ou amis, tous portent en eux l’amour de la terre.
En octobre 2008, Bernard Stephan, natif de Pontours, raconte : « Je me souviens de petites pommes jaunes, pas plus grosses qu’une balle de golf, produites par des pommiers de plein vent poussant dans des haies. Elles avaient un bon goût citronné. C’est avec ces pommes qu’on produisait le cidre ».
Du jus de pomme au cidre…
Tout commence effectivement par le jus de pomme. Le secret de fabrication, on ne nous le livrera pas. Nous filerons simplement vers le verger, derrière le tracteur et la remorque, pour suivre la cueillette. Pommes douces, pommes acides, pommes amères ? Ici, la coutume est d’utiliser des pommes à couteau afin d’obtenir un cidre sucré, doux, dénué d’acidité et d’amertume.
Cueillies et amenées dans la cour de la demeure, elles y retrouvent cuves, pressoir, râpe et broyeur prêts à faire feu !
Premier travail, le tri, afin d’éliminer les fruits pourris. Puis vient le broyage. Les pommes broyées sont mises au pressoir. On presse au maximum, on retire le marc puis on presse à nouveau pour recueillir le jus et le placer, frais, en cuve de fermentation. Quatre à dix jours plus tard, un chapeau brun et des sortes de bulles, un peu visqueuses, se forment. Lorsque plus aucune activité n’est constatée, on peut alors soutirer. Le jus clair est transvasé dans un fût en prenant soin de ne pas laisser entrer d’air entre le couvercle du fût et le jus. Le barboteur gère les échanges gazeux et évite les contaminations. Il ne reste plus qu’à surveiller et à peser le taux de sucre, chaque jour. Au bout de 9 à 12 semaines, quand le cidre est « calmé », après filtrage, on met en bouteilles. Dans quelques semaines, la prise de mousse sera terminée et donnera un cidre digne de ce nom !
Le bon cidre de Pontours Haut, de couleur blonde, a un je-ne-sais-quoi de subtil que seuls les initiés peuvent reconnaître. Un petit goût suave, probablement dû au charme de l’amitié de ce cercle d’amis, gardiens de nos traditions.
Texte et photos, Françoise Cheyrou
Le renouveau du cidre à Pontours Haut
Étienne raconte…
2006
Nous démarrons notre première saison dans le désordre le plus total. Rien n’est prêt. L’improvisation est de rigueur. Où trouver des pommes ? La propriété ne possède plus que quelques pommiers dispersés. Le verger du Centre de détention de Mauzac, planté d’excellentes variétés régionales, est à l’abandon. Fort de ses deux hectares, il nous tend les bras de ses pommiers chargés de fruits non traités. Après avoir obtenu l’autorisation du directeur, nous récoltons deux remorques de pommes sous une pluie battante, seule averse du mois d’octobre ! Il faut trouver des fûts, un broyeur, des bouteilles… Nous découvrons les difficultés au fur et à mesure. En guise de moulin, nous utilisons un coupe-racines, amélioré avec du fil de fer !
Nous travaillons dans la pénombre, dans un petit périmètre, le chai étant encombré aux trois-quarts par des matériaux, des tuiles, de vieux objets… Tant bien que mal, nous parvenons à remplir trois barriques. Flavien nous procure une palette de bouteilles champenoises. Nathalie ramène des capsules de Normandie. Guy, le vigneron, prête sa capsuleuse. Et en fin de compte, nous produisons un cidre un peu trouble, très vif, avec un petit arrière goût de fer, pas terrible, mais qui nous comble de fierté.
2007
Après avoir collecté des bouteilles pendant l’hiver, nous abordons la nouvelle saison avec davantage d’ordre et de méthode. Le chai est en grande partie débarrassé, l’éclairage refait. Le pressoir est réparé et, grande innovation, un broyeur véritable ramené de Normandie vient compléter notre équipement. Il subit une rénovation totale et une motorisation électrique bien venue. Nous achetons de petits équipements : pèse-cidre, éprouvette, tuyaux de soutirage, bouchons automatiques, capsuleuse…
Les pommes sont récoltées avec plus de méthode, dans des sacs de jute, par variété, afin de commencer un début de sélection. Notre zone de collecte s’enrichit de nouveaux fournisseurs, voisins et amis, qui participent à leur manière à notre aventure en fournissant des pommes.
Pour le début du pressage, une fête est organisée autour d’un repas, dans le grenier à blé, au-dessus du chai. Par un froid très vif, quarante convives partagent leurs victuailles et tournent la manivelle du pressoir aux sons de la musique du groupe « Hysope ».
Avant d’être entonné, le jus est mis à décanter dans une grande cuve. Sept barriques sont remplies. Le jus restant, mis en bouteille, est pasteurisé. Le cidre est pesé chaque semaine, afin de suivre son évolution. Il sera soutiré deux fois avant d’être embouteillé puis partagé entre les producteurs et les fournisseurs de pommes.
2008
Nous décidons de planter un verger sur une parcelle entre la route départementale et la Dordogne. Lors d’un séjour à Hédé, en Bretagne, nous prélevons des greffons chez un producteur local. Nous plantons début mars soixante quatre pommiers dans six variétés : Doux Évêque, Locard Vert, Petit Rouget de Dol, Damelot, Saint Martin, Marie Renard. Début septembre le chai est fin prêt.
Cette année-là, un gel tardif détruit les fleurs de la plupart des arbres fruitiers Grâce à une prospection forcée nous parvenons à collecter une quarantaine de sacs et découvrons des arbres tardifs, notamment un pommier à Sauvebœuf qui, à lui seul, fournit seize sacs !
2010 -2014
Chacune des années suivantes verra son lot d’améliorations ainsi que de nouvelles plantations (environ 200 pommiers). Le stockage avant pressage pose problème. Certaines variétés supportent mal le conditionnement en sac et nous avons un déchet important à l’ouverture. Il faut dire que nous pressons à Toussaint, un peu tardivement. Les fruits sont plus mûrs, le temps plus froid. Que des avantages ! Le rendement en jus est bien meilleur. Nous nous heurtons cependant à une difficulté récurrente : la décantation, le fameux « chapeau brun » ne se produit pas et nous devrons soutirer plusieurs fois afin d’éclaircir le cidre et ralentir sa fermentation. Nous remplissons deux barriques plus un fût de cinquante litres. Avec le mou restant, nous pasteurisons une centaine de bouteilles de jus de pommes. Les barriques sont maintenant équipées d’une bonde aseptique artisanale : la bonde en liège est traversée par un petit tuyau qui plonge dans une bouteille d’eau : le gaz s’échappe en glougloutant, mais l’air ne peut pas rentrer…
En 2013, un pressoir hydraulique vient remplacer l’antique pressoir à cage.
Malheureusement, 2014 voit une récolte décevante.
Malgré tout l’aventure continue, et chaque année, la production de cidre est un réel bonheur pour les cidriculteurs de Pontours Haut !
Étienne Gouyou Beauchamps