Cuisine préhistorique : Cro-Magnon à table

Il n’y a pas si longtemps que nous nous sommes penchés sur la vie quotidienne de l’Homme préhistorique, et en particulier sa nourriture. On connaissait le plus ténu de ses ossements, et on ne savait guère ce qu’il consommait. Que sait-on aujourd’hui de la cuisine préhistorique ?

Alain Bernard, ex-journaliste périgourdin, auteur de cet article consacré à la Cuisine préhistorique

Alain Bernard, journaliste périgourdin et auteur de plusieurs livres consacrés à la Truffe du Périgord, ex-localier au journal Sud-Ouest Dordogne

Outre l’engouement du grand public pour la paléontologie et la préhistoire, il est revenu à des préhistoriens curieux de faire avancer les connaissances par des rendez-vous d’archéologie expérimentale pertinents (aliments, armes, etc.), fin du siècle écoulé, de Gorge d’enfer (aux Eyzies) à Castel-Merle (à Sergeac) en passant par les sites lotois.

Comme pour les dinosaures le thème fit florès, les repas préhistoriques furent « mode » et des ouvrages émergèrent, parfois suspectés de fantaisie, voire même refusés de vente alors que pourtant leurs auteurs flirtaient avec l’audimat TV de Dechavanne. Mais la dynamique scientifique était bel et bien lancée et, au Salon international du livre gourmand de Périgueux de 1998, l’Indiana Jones du savoir, Dun Gifford (1938-2010), vantait la « cuisine préhistorique ».

Végétaux disparus

Cuisine préhistorique ou bien cuisines préhistoriques ? C’est la question initiale que pose Marylène Patou-Mathis (1), archéozoologue de haut vol attachée au CNRS, auteure de multiples ouvrages, familière du Périgord. Elle remarque que le sujet manque cruellement de repères pour la préparation des aliments, les assaisonnements et bien entendu les végétaux, à jamais oubliés.

Elle rappelle que les préhistoriques étaient des chasseurs-cueilleurs, liés aux ressources du milieu. Mais ils connaissaient bien le gibier et utilisaient, pour le traquer, les accidents naturels comme marécages, avens ou précipices.

Le choix des armes

Côté techniques de chasse, l’opportunisme, le choix délibéré de quelques espèces (dûment stylisées sur les parois des grottes, à des fins peut-être magiques) et la spécialisation cynégétique ont rendue caduque l’image de l’ancêtre chasseur arpentant la steppe froide.

Il était bien plus organisé que cela (cf. les « glacières » du plateau Paren à Neuvic) et la chasse lui a été précieuse pour acquérir bien des notions spatiales et sociales, sans oublier la fine conception de la prévision pour la gestion, certes empirique mais bien réelle, des stocks de nourriture.

Bien avant que dans les Alpes l’Homme de Similaune ne livre son arsenal de chasseur néolithique pétrifié dans les glaces avec ses lamelles de biltong (viande séchée), les hommes de Néandertal et Cro-Magnon ont perfectionné leurs armes (des pièges au départ), d’abord en pierre, puis en bois et enfin en os et ramures de cervidés : massue, javelot, sagaie, harpon, etc. Le propulseur, sorte de bras de levier, améliora largement, pour sa part, la vitesse de la flèche et donc sa pénétration dans le corps de la bête. Arcs et flèches marquèrent ensuite une grande étape.

Cuisine préhistorique : la viande et tout le reste

La viande a constitué un élément essentiel de l’évolution des sociétés anciennes, d’autant que des bêtes comme le renne fournissaient de multiples produits utilitaires lors de découpes préfigurant la boucherie d’aujourd’hui (peau, poils, ligaments, os, bois, dents…). Mais elle ne fut pas, loin de là, leur seul moteur nutritionnel.

Nos ancêtres ont en effet pratiqué l’insectivorisme en consommant fourmis, termites, abeilles, guêpes, larves de coléoptères, papillons, blattes, araignées ! Ils collectaient aussi des produits riches en protéines comme oeufs, mollusques (parfois marins, sur le littoral), tortues, miel sauvage en pillant les ruches naturelles.

Cela complétait leur recherche de vitamines par temps froid avec moëlle (en cassant les os), graisse, viscères, lard, cervelle et même lait et liquide amniotique des femelles allaitantes et gravides.Comme dit le docteur Delluc : « Les graisses se transformaient en sucre grâce à la fonction glycogénique du foie… »

Cuisine préhistorique : poissons et bouillon gras

Également charognard à l’occasion (carcasses d’animaux morts), pêcheur à l’hameçon et au harpon, souvent bon connaisseur des migrations de poissons, devenu héros d’une fameuse trilogie chasse-collecte-pêche débouchant sur salage et fumage, l’homme préhistorique a aussi bénéficié d’une invention capitale. À savoir celle ancienne du feu avec, en Hongrie, ses premières traces datant d’il y a tout juste un fort logtemps…

La cuisson du « feu sans allumettes » modifia alors la composition, la valeur alimentaire et les propriétés de digestibilité des aliments. Avec entre autres le fameux bouillon gras, vraie potion magique de notre ancêtre Cro-Magnon !

Sculpture de poisson, Abri du Poisson, Les Eyzies, Dordogne

Unique gravure restante au plafond de l’Abri du Poisson (vallon de Gorge d’Enfer, sur la rive droite de la Vézère, aux Eyzies-de-Tayac), le saumon représenté est exceptionnel par la rareté des représentations pariétales de poissons dans le monde (environ une dizaine)

Alain Bernard (2)
Auteur et journaliste périgourdin, ex-localier au journal Sud-Ouest Dordogne


À lire également les dossiers consacrés à la Gastronomie en Dordogne-Périgord


Notes :

  •  (1) Marylène Patou-Mathis est une préhistorienne française née à Paris, spécialiste des comportements des Néandertaliens. Directrice de recherche au CNRS, elle est rattachée au département Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), où elle a été la vice-présidente du Conseil scientifique de 2011 à 20141. Elle est directrice de l’équipe « Comportements des Néandertaliens et des Hommes anatomiquement modernes replacés dans leur contexte paléoécologique  de l’’UMR 7194 du CNRS. Dans le cadre de la rénovation du musée de l’Homme, elle a été membre du Comité d’orientation, du Conseil scientifique et du Commissariat des expositions permanentes.
  •  (2) Alain Bernard est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont deux conscarés à la gastronomie préhistorique : La Cuisine préhistorique I, 1992, Éditions Fanlac et La Cuisine préhistorique II, entretien avec Marylène Patou-Mathis, dessins de Pajot, 1998, Éditions Fanlac. Plus récemment, il publia trois livres consacrés à la truffe du Périgord : Les Truffes du Tsar, Truffes impériales et Les forçats de la truffe. — Pour en savoir plus : Association Arka.

Crédit Photos :

  • Propulseur à la « hyène rampante », trouvée dans l’abri sous roche de la Madeleine à Tursac, Dordogne, Aquitaine, France. Il mesure 10,7 cm. Époque Magdalénienne. Photographiée au Musée national de Préhistoire aux Eyzies-de-Tayac., By Klaus D. Peter, Wiehl, Germany (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Pointe de flèche à pédoncule et ailerons en chaille, ancienne collection d’Emile Cartailhac (1845 – 1921), Didier Descouens (Own work), via Wikimedia Commons. Harpon Azilien, Mas-d’Azil, Muséum de Toulouse, Didier Descouens, (Own work), via Wikimedia Commons.
  • Sculpted fish on roof of cave, Abri du poison, Gorge d’Enfer, Tayac, Dordogne, © wellcomeimages.org, photo number: M0015068.

2 Commentaires

  • leclerc dit :

    Bonjour, j’ai une question pour Alain Bernard. Dans l’article il site le vallon de Gorge d’enfer aux Eyzies pour la « cuisine » ou des rencontres gastronomiques…. pourriez vous lui demander de m’envoyer des informations à ce sujet ? c’est trés intéressant – Merci beaucoup, Fabrice

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