C’est le chabrol qui ravigote !

Mamie fait chabrot, © Jacques Saraben

« Coï lou tsabrol que rebiscolo ! »

Faire chabrot, ou faire chabrol, reste une tradition quasi ancestrale dont bon nombre de régions revendiquent l’origine. Il semblerait que cette coutume, bien française, se pratique partout dans l’hexagone, plus particulièrement dans les campagnes.

Ici, à la ferme, la vie s’écoule au rythme du soleil et des saisons. De l’aurore au crépuscule, la journée de labeur est longue. Pas question de repos. Alors il faut savoir reprendre des forces. Dans les campagnes périgordines, matin, midi, et soir, la soupe reste le plat essentiel. Hum ! Ça sent bon, c’est chaud, ça ravigote ! Qu’elle soit de légumes, de volaille, simple tourain à l’ail ou à l’oignon… le fermier s’en régale dès le matin, après la traite des vaches. Toujours à portée de main, sur le coin de la cuisinière, on ne s’en passe jamais, été comme hiver.

L’assiette à calotte est prête, le fond garni de tailles (pain coupé en morceaux). La soupe mijote, laissant échapper de subtiles odeurs. La femme a mis le couvert. Le fond des assiettes, en faïence épaisse, est tapissé de pain de tourte rassis.

« Femme as-tu trempé la soupe ? » Sûr, la soupe est trempée ! Le bouillon bien chaud a fait gonfler le pain et laisse apparaître quelques larges traces grasses sur le pourtour de l’assiette.

Accoudé, le buste collé à la table, le menton dans l’assiette, l’homme porte à la bouche une cuillère pleine et l’avale goulûment… Les travaux, à la ferme, ouvrent l’appétit.

Alors qu’il ne lui reste plus qu’un fond de bouillon, il se saisit de la bouteille de gros rouge et en vide une bonne rasade dans son assiette. Il ne tarde point à se former les yeux, ces petites bulles de graisse (le plus souvent de canard), signature d’une authentique et véritable soupe de campagne. Les saveurs se mêlent. Le bouillon s’est teinté d’un rouge foncé auréolé de violet. La chaleur en exalte les arômes.

L’homme tourne la cuillère puis, relevant la tête, avale bruyamment le breuvage jusqu’à plus soif. Il savoure tout en claquant la langue et essuie du revers de la manche les quelques gouttes restées accrochées à sa moustache… Voilà la forme revenue !

Le chabrol est une institution à la campagne. Selon les anciens, il efface le coup de fatigue et rend fort. Comme l’indique un dicton célèbre : « il évite le médecin et remplace le pharmacien ».

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Mamie fait chabrot
© Jacques Saraben
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Roland Manoury, musicien et poète auvergnat contemporain, le célèbre de façon originale, à l’accordéon. Il a créé une marche à la gloire du chabrot :

À la soupe ! À la soupe !
Voici l’heure du chabrot.
Nous, on a le vin en poupe
Quand on a le bouillon tout chaud
On verse un’ rasade
De vin rouge bien costaud.
Si, de plus on est malade
Pour guérir, faisons chabrot.

Aujourd’hui faire chabrot revient au goût du jour.

Mais au fait, que faut-il dire ? Faire chabròl ou faire chabrot ? C’est selon…

Chaque région lui attribue un nom particulier : en Poitou et en Saintonge, on fait godaille. En Périgord, l’occitan se dit : fà chabroù. Le Limousin cite le chabrot. Quant au Gascon, il parle de godala. Au nord de la Loire, on l’appelle le champorot. Frédéric Mistral célèbre le cabroù provençal : « boire comme une chèvre ! »…

Autrefois très courante, cette coutume se perpétue encore, dans nos campagnes, notamment chez les personnes âgées. Aujourd’hui, dans une société traversée par une forte demande de mémoire, le retour aux traditions permet de mieux se saisir du passé d’une région. De nombreux acteurs locaux font revivre les fêtes anciennes. Les savoir-faire liés aux anciens métiers et aux traditions culinaires reviennent en force.

Il n’est pas rare de faire chabrot entre amis, autour d’une bonne soupe, ainsi que dans certains restaurants « branchés » revisitant la cuisine de terroir. Associé à la convivialité, le chabrot est un moment de plaisir partagé, une certaine idée du bien vivre, une petite parcelle de bonheur que l’on ne souhaite point voir tomber dans l’oubli.


L’Académie du Chabrol en Pays de Montaigne

Au retour d’une randonnée pédestre, Patrick Brun, originaire de Traly, offre un tourain suivi du traditionnel chabrol au groupe de marcheurs. L’engouement est tel que quelques temps plus tard nait l’Académie du Chabrol. Un symbole rassemblant les valeurs chères à Montaigne devenues les principes de la charte : respect et amour de la nature, hommage au travail et à l’effort, partage du plaisir de se rencontrer autour de la table, simplicité, tolérance, authenticité, qualité de table, de vie et de goût.

L’académie perpétue le rituel du chabrol. Elle favorise également les rencontres avec des académies ou confréries porteuses des mêmes valeurs. Fidèles aux traditions, tous se font passeurs de mémoire et ambassadeurs du territoire.

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Montaigne et le chabrol

Entre la guerre de religion et la peste, l’illustre Montaigne a dû fuir son château. Considéré comme un pestiféré, il demande gîte et couvert sur sa route, dans les fermes.

Un jour, à l’heure du repas, il prend place auprès de ses hôtes, la famille Chabrol. Tous se réchauffent d’une bonne soupe. Une fois terminée, le père Chabrol rajoute du vin au fond de son assiette et l’avale prestement ! Amusé par cette pratique, Montaigne fait de même, tout en la baptisant du nom de cette famille, « Chabrol ». Depuis, le fameux « je fais comme Chabrol » de Montaigne s’est transformé en « je fais chabrol ».


« Tourain à l’ail »… ma recette !

Les ingrédients pour quatre personnes : une tête d’ail, un oignon moyen, une cuillerée à soupe de graisse de canard, deux œufs, farine, une cuillerée à dessert de vinaigre de vin, gros sel, poivre, pain de campagne rassis.

Faire revenir l’oignon et l’ail finement hachés dans la graisse de canard.
Ajouter et délayer la farine pour faire un roux ; verser délicatement l’eau (environ un demi-litre) afin d’éviter les grumeaux. Saler et poivrer.
Préparer deux bols, l’un pour les blancs d’œuf, le second pour les jaunes.
Avant la fin de cuisson battre les jaunes d’œuf en ajoutant le vinaigre. Mettre en attente.
Verser les blancs dans le bouillon en battant énergiquement.
Terminer en ajoutant la préparation jaune d’œuf/vinaigre en battant, hors du feu, à la fourchette.
Verser sur le pain rassis dans les assiettes calottes soigneusement préparées. Déguster…
Et surtout, ne pas oublier d’y laisser un fond de bouillon pour le chabrol !

Françoise Cheyrou


À lire également sur notre site : Faire chabrol, une tradition périgourdine


Cet article a été publié dans le numéro 6 du magazine « Secrets de Pays ».

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