La cuisine périgourdine par le menu

En Périgord, la bonne cuisine n’est pas l’apanage des classes privilégiées, comme en témoigne cette remarque de André Maurois, périgourdin d’adoption : « Les ingrédients de la bonne cuisine n’ont ici rien d’exotique ni de rare. Toute maison rustique les possède. Le foie gras : ne suffit-il pas de gaver une oie ? Les truffes : elles sont un miracle, une fantaisie de la terre. Le confit, la ballottine ? Tout métayer ne possède-t-il pas une basse-cour ? Le jambonneau ? Tout fermier n’a-t-il pas un porc ? En Périgord, il n’est pas rare que le repas de noces, chez les paysans, soit un chef-d’œuvre de bon goût. » (1)

S’il est vrai que les usages ont bien changé en quelques décennies — le Périgord n’échappant pas aux effets de la mondialisation et de la mal-bouffe — on est toutefois rassuré en parcourant les nombreux marchés du département : la cuisine traditionnelle a encore de beaux jours devant elle, et elle saura résister aux simplifications culinaires imposées par l’agitation de ce siècle.

La soupe

Le repas traditionnel périgourdin commence invariablement par une soupe paysanne au fumet agréable. Qui n’a pas mangé une de ces admirables soupes (qui a sa place aussi bien sur la table des bourgeois que sur celle des plus humbles paysans du Périgord) ignore un des grands plaisirs de la vie. Avant de terminer son assiette, il est d’usage de retourner la cuillère dans son assiette et de verser un peu de vin rouge par-dessus jusqu’à la recouvrir. C’est ce qu’on appelle « faire chabrol », une tradition bien ancrée en Périgord.

Si l’on fait d’aussi bonnes soupes chez les Périgourdins, c’est parce qu’ils l’aiment et qu’ils ne sauraient s’en passer. (2)

Voici un commentaire révélateur de la place que la soupe occupe dans la gastronomie périgourdine : « Un secret que je peux bien vous confier parce qu’il vous sera utile si vous avez décidé de passer des vacances gastronomiques en Périgord : si vous voulez pouvoir supporter vaillamment la riche et noble cuisine du pays, faites comme les gens du pays qui prennent de la soupe avant chaque repas. Comme elle est bonne, elle vous ouvrira l’appétit. Après quoi, vous pourrez manger les plats les plus riches du pays sans être incommodé. » — Vacances en Périgord, un guide touristique édité en 1957, sous la plume de Henri Philippon.

Voir la page consacrée aux soupes traditionnelles en Périgord : tourains, soupes aux choux, soupes à l’oignon…

Les entrées

Dans la vie courante, les Périgourdins font peu de cas des hors-d’œuvre. La soupe de midi en tient lieu généralement. Toutefois, les bons déjeuners périgourdins comportent de nombreuses variétés de hors-d’œuvre, principalement aux truffes ou à la base de foie gras. (2)

Après la soupe, les poissons de rivière sont d’ordinaire présentés comme premier plats. En effet, en Périgord, un pays de rivières et d’étangs, les poissons ne sont pas rares : le saumon au foie et aux cèpes, les truites, les sandres ou les aloses (accommodés à l’oseille), les carpes (farcies au foie gras, au confit de porc et aux truffes comme dans la Carpe à la Neuvic), les brochets et autres perches (cuits au gril, accompagnés d’une sauce au verjus), barbeaux, tanches, anguilles et lamproies. On apprécie également une simple friture de goujons. Autre particularité locale : dans les recettes traditionnelles, le poisson s’accommode souvent avec le porc comme dans la préparation du brochet aux lardons ou de la carpe au confit.

Le court-bouillon de barbeau, au vin rouge, qu’on a soin de faire flamber, est servi avec des rôtis de pain à l’ail et une omelette d’oseille. Mélange délectable, que ne comprendraient peut-être pas les gens du Nord, mais que « ceux du Midi » savent apprécier. Enfin, en au printemps, en Bergeracois, le saumon du barrage et la lamproie sont particulièrement recherchés. À défaut de poisson, on sert généralement comme entrée une omelette, omelette aux cèpes, aux girolles, aux morilles, aux boutons de scorsonères et surtout omelette aux truffes (non pas avec des débris, ou de simples pelures, mais avec de larges rondelles de truffes, copieuses et parfumées), ayant soin, s’il s’agit de truffes fraîches, de laisser la veille les œufs avant de les écraser au contact des truffes dans une soupière close dont ils prennent le parfum. (6)

Un mot encore sur la truffe qui ponctue tant de mets de ses larges taches sombres, qui règne sur tant de foies gras, pâtés, volailles, ballottines et galantines et qui sublime tout ce qu’elle touche grâce à son arôme qui imprègne si délicatement les aliments. C’est donc à juste titre qu’elle est considérée – par le gastronome Curnonsky – comme « l’âme parfumée du Périgord ».

Lorsque les poissons et l’omelette font défaut, ce sont les grillons, rillettes, pâtés de foie ou de perdrix, ballottines et galantines, gésiers de canard en salade, foies gras (aux échalotes) qui sont mis à l’honneur.

Les hors-d’œuvre sont plus substantiels et plus succulents qu’ailleurs. À l’éclat de cette ouverture, le visiteur devine déjà la vigueur des morceaux de résistance. Le foie gras truffé, en Périgord, figure parmi les hors-d’œuvre. Le manger après le rôti, avec une salade qui en dénature le goût, est tenu pour une hérésie condamnable. (3)

Les plats de résistance

Les plats cuisinés abondent en Périgord. Ils sont l’âme de la véritable cuisine locale.

Les volailles constituent une des bases de la gastronomie périgourdine. Elles sont incontournables, et dans les meilleures recettes elles sont parfois accompagnées de truffes, comme dans la dinde truffée… On les trouve également en compagnie de cèpes et de morilles comme dans la recette du magret de canard ; mais là, il s’agit d’une recette plutôt récente, le magret n’étant connu que depuis les années 1970… La tourtière ! Le triomphe des cuisinières périgourdines (poulet en sauce aux salsifis, présenté dans un pâté de croûte). (6)

Plus traditionnelle, la recette de la bécasse et ses rôtis en cocotte aux flageolets ou le confit d’oie aux pommes sarladaises à la graisse d’oie ou aillées. Le lièvre est également à l’honneur : le civet de lèvre, le lièvre en cabessal ; la « royale du pauvre », farci de porc et de veau, cuit dans une tourtière avec une sauce de vin. (6)

Les viandes sont également mises à l’honneur dans la cuisine périgourdine : citons, parmi les plats réputés du Périgord, le fricandeau ou le cou farci à l’oseille, la rouelle de veau à la cocotte aux cèpes farcis, la rouelle de veau au gratin (le veau peut être accompagné de cèpes, d’échalotes, de tomates, et même de fraises !). Le porc, quant à lui, est la fierté des fermes du pays. « Tout est bon dans le cochon ! ». Les périgourdins souscrivent à ce dicton. Les innombrables recettes en sont la preuve : l’enchaud périgourdin (truffé ou non), le cochon de lait farci, le porc aux châtaignes, le foie de porc farci, le cœur de porc braisé, le ragoût de pieds et d’oreille de porc, le confit de porc aux pommes frites, les côtelettes de porc aux céleris, les rouleaux de couennes confites… (2)

Les huiles

Les huiles jouent également un rôle important dans les préparations culinaires du Périgord. Tout particulièrement l’huile de noix, toujours fabriquée à l’ancienne par certains dans de magnifiques moulins : une grosse meule de pierre réduit les cerneaux en une pâte mise à chauffer au four à bois. Enveloppée dans une toile, cette pâte est ensuite pressée. Les résidus, appelés « tourteau », serviront d’appât aux pêcheurs. L’huile très parfumée sera alors coupée avec une huile moins aromatique pour pouvoir servir d’assaisonnement.

La salade à l’huile noix est appréciée en Périgord et, s’il s’agit de chicorée, on l’accompagne de quelques chapons (croûtons de pain frottés à l’ail). (6)

Les farces, appelées « farcis » en Périgord

Une des grandes spécialités du Périgord, ce sont les farces. On en met partout : dans les volailles, dans les lampions, et même dans la soupe. Elles sont maigres ou grasses, mais toujours bonnes. Voici la description qu’en fait La Mazille sous le nom périgourdin de « farci » :

« Le vrai farci périgourdin est celui que l’on met à l’intérieur d’une poule au pot ; ou encore celui qui, modestement plié dans une feuille de chou, va enrichir de son parfum et de ses sucs un bouillon gras ou maigre. Il est fait de mie de pain émiettée et mouillée au lait ou au bouillon et lié avec plusieurs jaunes d’œuf bien frais. Pour compléter, on hache un morceau de viande de porc, de jambon ou de lard suivant les cas, et on assaisonne de haut goût avec de fines herbes, du persil, une gousse d’oïl, une échalote, seul et poivre, le tout bien haché, bien amalgamé. Cette bonne farce est enveloppée dans une feuille de chou et on la met ainsi cuire dans le bouillon qu’elle imprègne de son arôme. On découpe après cela le farci en belles tranches, jaunes d’or, que l’on mange en même temps que la soupe, ou bien avec la volaille, si on en a garni une poule. Dans ce cas, on ajoute au mélange, le foie haché et le sang de la bête… » (2)

La poule farcie

L’article Gastronomie en Périgord, pays de la truffe, du pâté de foie et du confit, paru en 1921, dans le livre « La France gastronomique » donne les précisions suivantes concernant la poule farcie :

Choisir une poule tendre et bien grasse. La vider et mettre de côté le foie. Faire une farce composée de mie de pain rassis en quantité suffisante pour remplir l’intérieur de la poule, le foie haché, une centaine de grammes de petits lardons de lard frais, qu’on coupe en petits cubes, une pincée de fines herbes, un œuf battu, sel et poivre pour l’assaisonnement. Pétrir dans un récipient quelconque, en y ajoutant quelques cuillerées de bouillon tiède, de façon à détremper la mie de pain. Mettre cette farce dans l’intérieur de la poule et coudre l’ouverture.

Au préalable, on a préparé et mis au feu un bon pot-au-feu, avec quelques carottes entières et un petit chou en supplément. Une heure environ avant le repas (si la poule est tendre), plonger celle-ci dans la marmite et laisser cuire doucement, c’est-à-dire, bouillonner, car une forte ébullition troublerait le bouillon. Faire une soupe ou un potage avec le bouillon non dégraissé, et servir la poule avec les légumes du pot-au-feu, et, à part, des cornichons et de la moutarde.

En Périgord, on ne se contente pas de farcir la poule ; on triple, on quadruple la quantité de farce et de l’excédent, c’est-à-dire de ce qui n’a pu tenir dans la poule, on fait un farci. Pour cela, on prend plusieurs feuilles de choux, aussi grandes que possible ; on les fait bouillir pendant une dizaine de minutes, et on les étale sur une table pour en envelopper la farce. On en fait ainsi une sorte de cylindre de 6 à 8 centimètres de diamètre ; on ficelle serré, et on le plonge dans la marmite en ébullition. On laisse cuire ainsi avec la poule de 40 à 60 minutes, suivant la grosseur. Le farci se sert avec la poule, et se mange pour ainsi dire en place de pain. Les Périgourdins en sont très friands.

Le dicton populaire « Quey so fenno que copo lou farci ! » (c’est sa femme qui coupe le farci) a la même signification que « C’est sa femme qui porte culotte. »

Les sauces

Les trois principales sauces les plus fréquemment employées en Périgord dans la préparation des mets sont la « rouilleuse » (un fond de farine roussi au beurre et mouillée au vin et au sang de volaille), qui accompagne et colore la fricassée de volaille, et la célèbre sauce Périgueux (dont les principaux ingrédients sont des échalotes et des oignons roussis dans de la graisse fine d’oie ou de porc, du vin blanc et de la truffe), et l’« aliade » qui accompagne le râble de livre ou le canard rôti. On prépare également la sauce au vin rouge, la sauce aux oignons, la sauce à la moutarde, la mayonnaise à l’huile de noix, le roux au vin blanc et la sauce Madère mijotée à partir de carcasses de ces mêmes volailles, à laquelle on incorpore des truffes bien fraîches.

Une cuisine à la graisse d’oie, de canard ou de porc

La graisse pure d’oie, de canard ou de porc et l’huile fine de noix remplacent toujours le beurre dans la cuisine périgourdine. Les pommes de terre sont excellentes lorsqu’elles sont cuisinés à la graisse d’oie ou de canard (c’est l’emblématique recette des pommes de terres sarladaises). On réservait le beurre fin des Charentes pour les hors-d’œuvre et pour certains gâteaux.

« Sans beurre et sans reproche » a dit Curnonsky, telle est la cuisine du Périgord. Nous n’utilisons, en effet, jamais le beurre dans la confection de nos plats spécifiquement locaux, mais nous employons largement (trop largement peut-être pour certains estomacs délicats) la graisse d’oie ou de canard, cette graisse fine, ambrée et parfumée, qui donne son goût particulier à tous les mets qu’elle assaisonne. Peu de poivre et d’épices, mais un soupçon d’ail, parfois des truffes, évidemment !… et surtout une cuisson lente et prolongée qui permettra à la sauce de devenir onctueuse à souhait et aux arômes de se fondre en un fumet délicat qui emparadisera jusqu’à la salle à manger où nous allons maintenant pénétrer. (6)

Les fromages

Partout en Périgord on produit, depuis fort longtemps, des fromages de chèvres renommés, comme le bon « cujassou », un fromage de Cubjac que l’on pliait dans des feuilles de châtaignier. Mais les meilleurs et les plus célèbres sont ceux de Thiviers. De la grosseur d’une bonde de barrique, on les fait sécher sur du foin odorant. Leur pâte crémeuse est un régal pour les gourmets, malgré la forte odeur qui s’en dégage. (2)

On aime beaucoup le fromage en Périgord, parce qu’il fait trouver le vin meilleur encore. (2)

Et depuis 1868, on fabrique en l’abbaye d’Échourgnac, en forêt de la Double, un fromage au lait de vache très apprécié. C’est une pâte molle, onctueuse, fondante, au goût de noix, qui se déguste aussi bien froid que chaud en cuisine.

Voir la page consacrée au fromage Le Trappe Échourgnac.

Les desserts traditionnels

Autrefois, à la campagne, le dessert était réservé aux dimanches, aux jours de fête et aux repas de partage, les gerbe-baude, ces repas de clôture des grands travaux : battages, fenaisons et vendanges…

Le dessert est traité, en Périgord, avec les soins qui conviennent. (3)

Les spécialités de la région sont tout aussi généreuses que les autres préparations. Jugez-en vous-mêmes : on trouve la fougeasse, le soufflet ou la bouillie de maïs, le millia (à la farine de maïs et à la citrouille) le gâteau aux amandes ou aux châtaignes, le gâteau de miel et de noisette, la cajasse sarladaise, la frangipane de Saint-Astier ou bien encore les tartes aux noix, les tourtières aux pruneaux, les gaufres sucrées ou salées (non point légères comme gaufrettes de ville, mais à plein fer, épaisses, savoureuses et parfumées (6), les crèpes et les beignets de fleurs d’acacia, les tourteaux (crêpes de maïs), les merveilles périgourdines (sous forme de pâte au rouleau frite à l’huile : ogulhets cambos d’oulhos (6), les tortillons, les cordonnelles (ou cornouelles), les crépeaux, les dandines et les lucquettes, le massepain du Périgord (que l’on mange avec de la crème à la vanille(6), les oreilles de curé et les pets-de-nonne, les rimottes (bouillie de maïs).… Et cette liste n’est pas complète.

Les boissons

Les vins

Avant l’invasion du phylloxera, de 1865 à 1890, le vin abondait en Périgord. Le vignoble n’était pas limité à la seule région de Bergerac. Il s’étendait à l’ensemble du département, excepté sur quelques terrains cristallins et dans des fonds de vallées trop hostiles (4), soient environ 107 000 hectares (actuellement, on compte seulement 21 800 hectares de vignes).

Pas étonnant donc que la principale boisson des Périgourdins soit le vin… C’était d’ailleurs la boisson de tous les Périgourdins : adultes et enfants compris. Et, à cette époque, pas question de le couper avec de l’eau, même pour les plus jeunes ! Essentiellement destinée à la consommation courante, la production était néanmoins de qualité très médiocre.

Après la disparition des vignobles, on a planté quelques pommiers à cidre pour avoir de quoi boire et varier la boisson. Mais c’est surtout la forêt qui a repris ses droits dans la majorité des zones les moins propices à la viticulture.

Lorsqu’il n’y a fait pas de vin, on buvait essentiellement de l’eau ou de la piquette, une préparation à base d’eau et de marc de raisin. (4)

Les alcools et liqueurs

En tête des alcools figurent les eaux-de-vie de raisin, de prunes et même de pêches. Autrefois en Périgord, comme dans toutes les régions agricoles, chaque propriétaire de vignoble a le droit d’être bouilleur de cru. Il peut brûler un nombre déterminé de litre pour sa propre consommation (2). Ce privilège permettait aux exploitants agricoles de bénéficier de dix litres d’alcool pur d’eau-de-vie par an en franchise de droits. En vieillissant, ces eaux-de-vie acquièrent chaque année plus de finesse et de moelleux.

On compte également quelques liqueurs de ménage, toutes très faciles à confectionner : les ratafias obtenus par la macération de fruits, de plantes… sans parler des bons fruits conservés dans l’alcool. La liste est relativement longue : les ratafias de raisin (le riquiqui), de prunes, d’angélique, de brou de noix, de coings, de genièvre… et les liqueurs de cassis, les pruneaux à l’eau-de-vie, les cerises à l’eau-de-vie, les raisins à l’eau-de-vie…


Sources et notes :

  • (1) Petit bréviaire de la gastronomie périgourdine, Pierre-Paul Grassé, Éditions Pierre Fanlac, Périgueux 1978.
  • (2) La Mazille, La Bonne Cuisine du Périgord, Éditions Flammarion, Paris, 2013.
  • (3) André Maurois – Périgord. Les albums des Guides Bleus. © Librairie Hachette, 1955.
  • (4) Bonneton Christine : Dordogne Périgord, Éditions Bonneton, Paris 1993.
  • (5) La cuisine rustique au temps de Jacquou le Croquant, Guy Penaud, José Corréa, Éditions La Lauze, 2004.
  • (6) Science de gueule en Périgord, Georges Rocal, Éditions Pierre Fanlac, Périgueux, 1971.

GASTRONOMIE PÉRIGOURDINE ET SPÉCIALITÉS RÉGIONALES

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