Je croyais tout savoir des hivers. Qu’ils viennent en paillettes ou vêtus de rigueur.
Hivers âpres au gel, comptant et recomptant leurs réserves d’ennui. Hivers toussoteux aux fadeurs de tisanes. Hivers d’écharpes et de rafales qui collaient aux carreaux leur frimousse de pluie.
Hivers de lune et d’étoile polaire aux nuits de grand silence, quand le pas des hommes qui marchaient encore, inquiétait les échos.
Et d’autres, saltimbanques jongleurs de nuées qui offraient aux enfants la divine surprise de la neige.
Certains, francs du collier affichaient d’emblée leur naturel grand froid. D’autres encore n’étaient que seconds couteaux, traîtres en gelées tardives, soldés fin de saison, même pas deux pour le prix d’un.
C’étaient les hivers de mon enfance. Je crois les avoir vécus droit comme un fier garnement, quelle que soit la colère du vent.
Saurai-je aujourd’hui prendre à rebours l’aventure du temps pour vous conter ces hivers amoureux de nos grands-mères ? Ils leur soufflaient malice dans le cou et chahutaient à la sortie du bal leur jupon du dimanche, et leurs rires s’égrenaient comme des perles dans l’herbe blanche de givre.
Où sont donc passées ces saisons d’almanach, masques de carnaval, sapins de Noël et habits d’arlequins.
Voilà que l’on me dit que la terre se réchauffe et que le bon Saint Martin peut brader ce qu’il lui reste de manteau.
Et on me l’enfonce dans le crâne à grands coups de masse d’air et d’impérieux isobares. De quoi, convenez-en, vous faire perdre le Nord et détraquer toutes vos certitudes.
Ce matin, mon vieux canal s’étonne à noyer un ciel terne et l’oubli des étoiles dans une eau tristounette, où nageotte sans grâce un cygne mollasson. L’air tiède et poisseux abolit toute résonance.
La nature s’inquiète et je m’inquiète aussi. Je croyais tout savoir d’immuables saisons et voilà que plane l’incertitude sur l’avenir des hivers.
Texte Pierre Gonthier, illustration Marcel Pajot